Excuses des évêques : « le mal est fait »

Photo tirée du film Indian Horse

La semaine dernière, j’ai partagé la réflexion de ma collègue sur la nouvelle que les évêques du Canada, à la sortie de leur assemblée plénière annuelle, avaient formulé des excuses « sans équivoque » aux peuples autochtones et reconnaissaient que « des membres de notre communauté catholique » ont commis de graves abus « physiques, psychologiques, émotionnels, spirituels, culturels et sexuels ».

Quiconque suit un peu ces démêlés entre les différentes personnalités et instances engagées pour la réconciliation avec les autochtones, pourra se réjouir qu’enfin les évêques canadiens aient exprimé leur profond remords face à la souffrance vécue dans les pensionnats indiens sur plus d’un siècle et conséquemment sur plusieurs générations d’enfants enlevés à leur famille et à leur communauté pour être « blanchis » culturellement.

Rapidement, une amie émettait un commentaire à mon partage sur le réseau social, écrivant sans ambages : « Ça ne change rien, le mal est fait ». Le mal est fait, c’est une évidence historique clairement établie. Et les excuses des évêques canadiens arrivent pratiquement après toutes les autres institutions visées dans le rapport Vérité et Réconciliation. Alors est-ce que celles-ci peuvent encore changer quelque chose? Et changer quoi?

Les conditions du pardon

Ceci me rappelle une observation que j’avais lue il y a un certain temps. Dans les cultures des premiers peuples, le concept de pardon n’existe que comme abstraction et ne les intéresse pas vraiment. La coutume, c’est plutôt la réparation qui consiste concrètement à rétablir l’équilibre rompu par l’offense. Réparer, c’est trouver une juste compensation pour le mal commis. Une fois la mesure de réparation réalisée par la personne ou le groupe qui a causé du tort, alors la réconciliation en tant que retour au respect mutuel entre les parties devient possible.

C’est pour cela que les excuses ne suffisent généralement pas, même si, dans notre culture chrétienne, on dit souvent « faute avouée à moitié pardonnée ». S’il s’agit toujours d’un pas nécessaire, ce n’est que le premier de plusieurs autres qui, pour le moment, n’ont pas été accomplis, du moins pas par toutes les instances qui ont trempé historiquement dans le génocide culturel. Toutes les communautés religieuses ont fait des pas pour reconnaître leurs torts et certaines se sont engagées réellement dans la réparation qui consiste minimalement à écouter avec empathie les récits des innombrables victimes pour en mesurer les conséquences intergénérationnelles dévastatrices et pour prendre conscience de leurs responsabilités, ce qui ne peut mener qu’à l’engagement dans la réparation.

Jusqu’à présent, les évêques catholiques, autorités locales de chaque diocèse au Canada, résistaient à admettre collectivement la responsabilité commune de leurs prédécesseurs dans la détermination génocidaire des Blancs contre les premiers peuples. On a vu à quel point la découverte de centaines de corps d’enfants près d’anciens pensionnats a fait ressurgir l’indignation massive contre l’Église. Or, la vérité n’est pas encore faite sur l’intensité de la complicité du clergé et des motivations théologiques qui l’ont plus ou moins légitimée. Le refus des évêques de considérer cette tragédie historique de manière systémique ne peut pas contribuer à éclairer les zones d’ombres qui persistent encore à trouver le jour.

Un accroc à la sainteté du corps ecclésial

Pour réparer le passé, il faut une pleine conscience de sa responsabilité. Mais il y a cette théologie de l’Église qui affirme qu’elle ne peut pas pécher puisque, en tant que corps du Christ, elle est sanctifiée par lui. Seuls ses membres peuvent pécher. On en voit une trace dans les excuses épiscopales qui ne s’adressent pas aux autochtones en tant que la Conférence des évêques catholiques du Canada, une structure inscrite dans le droit canon, mais en tant que « les évêques du Canada », une structure qui n’existe pas formellement. La suite va de soi : les fautes reconnues ne relèvent pas de l’Église, mais « de membres ». Cette posture est choquante pour les victimes, les autochtones d’ici d’abord, mais tout autant pour les milliers d’autres dans le monde qui ont subi des abus de la part du clergé et d’organisations religieuses.

Les pressions du public et des catholiques eux-mêmes ont sans doute contribué à l’aveu collectif des évêques. Ces pressions doivent se poursuivre. En ce sens, il est à souhaiter que la conclusion de la visite annoncée d’une délégation à Rome, en décembre prochain, aboutisse à une invitation ardente adressée au Saint-Père pour qu’il réponde à l’attente répétée des premiers peuples à venir présenter des excuses au nom de toute l’Église catholique et de sa hiérarchie pour leur complicité dans le mal.

Pour que l’Église retrouve une once de crédibilité, le pape doit reconnaitre la dimension institutionnelle des abus commis. Il doit assurer les Premières Nations, les Métis et les Inuits de la ferme résolution de son institution, dont il est le symbole d’autorité, à progresser vers la réconciliation dans la foulée du mouvement de la décolonisation. Il doit enfin exhorter ses frères évêques à faire œuvre de réparation, au prix d’un dépouillement exceptionnel de l’Église canadienne et pas seulement par une collecte de fonds auprès des baptisés dont les objectifs pourraient ne jamais être atteints.

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