Ce soir j’ai honte. Depuis que les religions qu’il faudrait mettre à leur place constitue le sujet dont tout le monde parle au Québec, il ne se passe plus un jour sans qu’on entende ou qu’on nous présente des images de personnes liées à l’Islam se faire haranguer par des gens dits de souche. C’est comme si le projet de charte et la consultation menée par le Gouvernement avaient donné à une portion de la population la licence pour laisser s’exprimer la haine, le racisme et la forme du nationalisme le plus détestable qui soit, c’est-à-dire celui d’un peuple qui se ferme sur lui-même.
Des attitudes et des gestes d’intolérance
Comme la plupart d’entre vous, j’ai reçu des messages courriels mensongers à caractère haineux. J’ai vu sur mon mur Facebook des images comportant elles aussi des incitations à l’intolérance. Chaque fois que j’ai pu, j’ai tenté d’apporter de la nuance, parfois des correctifs. Mes amis ne sons pas des gens haineux, mais plusieurs font circuler de tels messages sans trop réfléchir. Lorsqu’ils sont mis devant une autre manière de regarder ce qui est en jeu, ils s’amendent souvent d’avoir contribué à diffuser l’intolérance.
Aujourd’hui, en préparant une activité visant justement le rapprochement entre les communautés musulmanes et catholiques de ma région, j’ai entendu des témoignages qui m’ont jeté à terre. Une enseignante d’une école primaire n’hésiterait pas à dire à des enfants issus de parents maghrébins qu’ils sont malpropres. Du coup, les élèves se mettent à les rejeter et à se payer leur tête. Pourtant, l’amie des parents concernés nous assure que ces enfants sont toujours bien mis et que l’hygiène ne fait pas défaut. Cette même amie nous dit ensuite qu’elle ne pourra plus vivre dans la région, considérant que ses enfants pourraient subir de l’intimidation raciste. Elle partira pour l’Ontario dès qu’elle le pourra. Au centre commercial de Chicoutimi, un homme, dans la trentaine, est passé tout près d’elle en lui disant: « sale race »! Une autre femme prend le relais et ajoute sa propre expérience toute récente: devant la Mosquée de Chicoutimi, un automobiliste a ralenti, ouvert sa fenêtre et imité le son du cochon pour ensuite filer à toute allure. Ces femmes sont toutes musulmanes. Elles portent le voile pour la plupart. Après le geste qu’on croyait être isolé contre la Mosquée, voilà que si l’on se met à les écouter, ces femmes racontent ce dont elles sont victimes. En tant qu’adultes, elles en ont l’habitude, mais lorsque leurs enfants sont des cibles potentielles, cela devient insupportable.
L’imam est établi dans notre région depuis 28 ans. Il est marié à une Saguenéenne et ont deux enfants. Il dit tout bonnement, « Je suis venu ici à Chicoutimi et je n’ai jamais eu aucune raison de partir. » Le président de l’Association islamique enchaîne:
Je suis ici depuis 35 ans. J’ai été marié pendant plus de 25 ans avec une femme d’ici. Nous avons eu deux enfants qui sont aujourd’hui des spécialistes dans leur profession. Nous n’avions jamais connu de problèmes comme ceux qui surgissent maintenant.
Aucun signe d’un Islam politique ici, mais malgré tout la peur et l’hostilité sont bien présentes. Mes collègues et moi, de « bons catholiques » d’ici, nous étions sous le choc et un seul mot nous envahissait : la honte.
Des torts irréparables
Je ne dis pas que le projet de charte du Gouvernement du Québec est responsable de tout cela. Mais il est clair qu’ici comme à Québec ou à Montréal, nous constatons une augmentation importante de ces gestes hostiles. En racontant toutes ces choses à une personne de ma famille qui n’a probablement jamais rencontré de musulmans de toute sa vie à Saguenay, celle-ci a eu cette réaction: « La charte, moi je suis pour. On se fait envahir, faut que ça cesse. » J’ai tenté quelques arguments, mais je n’avais pas le coeur à débattre, j’avais la nausée.
Il faut reconnaître collectivement que nous avons pris un mauvais détour. Au lendemain de la loi promulguant la Charte, croyons-nous vraiment que nous vivrons enfin en paix, après avoir remis tous ces étrangers à leur place? Rien n’est moins sûr.
Nous avons désiré ces immigrants parlant notre langue. Nous les avons séduits par des promesses que nous ne tenons pas, surtout au plan de l’emploi et de la reconnaissance de leurs qualifications. Nous leur avons dit que nous étions une société libre, l’une des plus accueillantes du monde. Et là, bang! Le message que nous leur envoyons est clair: « Nous vous accepterons pleinement seulement si vous cessez d’être différents, ou à tout le moins lorsque vous cesserez de montrer visiblement vos différences. »
Tout le chemin parcouru depuis 40 ans relativement à notre approche de l’intégration est actuellement mis au défi de sa vérité. Si les cultures qui s’intègrent à notre société d’accueil sont réellement considérées comme des richesses, pourquoi faudrait-il se priver de ce qui en constitue le coeur? La croyance religieuse est, pour celles et ceux qui en font le centre de leur vie, ce qui leur permet d’exprimer de la meilleure manière qui soit les valeurs fondamentales inscrites dans notre humanité. Les femmes et les hommes de foi ont construit des civilisations, élaboré des systèmes sociaux, des modèles de gouvernance qui ont marqué et qui demeurent bien ancrés dans nos coutumes, je dirais dans notre génétique socio-politique et culturelle! Rien n’a jamais été parfait, bien sûr, les personnes croyantes sont des humains « normaux » ! Mais leur demander de ne plus exprimer ce qui est soudé définitivement à leur identité revient à leur dire de taire ce qu’ils sont, tout simplement.
J’ai honte de ce que nous sommes en train de montrer de nous-mêmes. Nous, Québécois et Québécoises, sommes capables du meilleur et du pire. Je ne crois pas que ce qui ressort du contexte actuel soit le meilleur. Bien au contraire, ce n’est pas très « montrable ». J’ai toujours hésité à utiliser l’expression d’islamophobie. Je déteste l’impression de victimisation que génèrent tous ces mots finissant par « phobie ». Mais je dois me faire à l’idée, il n’y a pas d’autre mot pour décrire ce que nous sommes à même de constater.
Éduquer, encore et encore, à l’ouverture
Notre rencontre d’aujourd’hui visait justement à organiser un événement qui permettra à la population de chez nous d’entendre des témoignages comme ceux que j’ai cités, mais plus encore pour apprendre à mieux connaître les femmes musulmanes qui vivent ici et qui sont l’objet de paroles et de gestes disgracieux. Si j’ai eu le goût de tout abandonner, considérant le gâchis qui incombe en bonne partie à l’approche rigide de notre gouvernement, je me suis vite ravisé parce que je suis désormais lié à mes nouveaux amis musulmans. Il nous faut donc oeuvrer ensemble à construire une société où les gens cessent d’avoir peur de l’autre ou de subir l’hostilité des autres, en nous donnant de plus en plus d’occasions de nous rapprocher et d’apprendre à nous apprécier… Non, vraiment, nous ne devons pas laisser la haine nous dominer.
Comment réagissez-vous ?