La tension est devenue croissante de jour en jour avant l’échéance fatale. Troy Davis, condamné à mort pour meurtres malgré des preuves qui se sont effritées peu à peu, a su rallier à sa cause des dizaines de milliers de sympathisants du monde entier pour implorer la clémence de la Cour suprême de Georgie (USA). Après un suspens interminable de plus de 4 heures après le moment fixé, il a finalement reçu l’injection létale qui mettait fin à ses jours, 22 ans après avoir été jugé.
Je me suis laissé entraîné dans ce mouvement de solidarité au point d’en devenir quasi-obsédé en fin de journée et durant toute la soirée du 21 septembre 2011. Sur le fil Twitter, les tweets défilaient par dizaine. Sur le site de DemocracyNow.org, plus de 35 000 utilisateurs de partout dans le monde sont restés connectés pendant les heures d’attentes, en communion avec les centaines de manifestants qui se tenaient devant la prison de Jackson. Troy Davis a été exécuté, mais pendant des semaines, des jours et aux dernières heures de sa vie, sa cause a réuni une communauté humaine de tous les coins de la planète, de toutes les cultures, de toutes les religions. Cet homme a voulu que sa cause soit plus que la sienne, celle de tous les condamnés à mort, afin que la justice des humains n’ait plus jamais recours à la peine capitale pour punir un crime, quel qu’il soit. Il avait atteint un degré de détachement face à la mort qui faisait de lui un être « spirituellement libre » et prêt à toute éventualité. La mort est survenue, mais sa mémoire demeurera sans doute longtemps comme une tache de sang indélébile sur la feuille de route de l’État de Georgie, des États-Unis d’Amérique et du prix Nobel de la Paix qui est leur Président.
Communauté de prières
J’ai été très touché à un moment par les appels à la prière qui sont montés spontanément par de nombreux utilisateurs des médias sociaux. J’ai moi-même relayé cet appel en implorant le ciel (pour ma part, Jésus le Christ) de toucher le coeur d’une personne ou d’un groupe qui aurait eu un pouvoir d’arrêter l’exécution. Et malgré ces ondes positives, ces doses d’énergies, ces appels au divin et ces appuis provenant de toute la terre, des hommes portent désormais la responsabilité morale de n’avoir pas voulu entendre en autorisant l’injection mortelle.
Ce matin, en me réveillant tôt, j’ai eu une réaction de tristesse intense à la découverte de la fin de cette histoire. J’ai même eu un mouvement de colère envers mon Dieu qui n’a pas trouvé à intervenir pour empêcher la mort. J’ai été inquiet quelques instants pour mon image, car mes appels à la prière ont impliqué le risque que je sois jugé et raillé pour mes croyances devant un résultat si médiocre, en apparence. Mais je suis tombé alors sur les dernières paroles de Troy Davis. Selon des témoins, M. Davis a proclamé à nouveau son innocence aux membres de la famille des victimes: « Je suis désolé pour la perte que vous avez subie, mais je n’ai pas pris leurs vies, ce n’était pas de ma faute, je n’avais pas d’arme », a-t-il déclaré, en les invitant « à fouiller davantage pour trouver la vérité ». « A ceux qui s’apprêtent à m’ôter la vie, que Dieu ait pitié de vos âmes et qu’il vous bénisse », a-t-il ajouté (Cf. Le Figaro et plus complet en anglais sur DemocracyNow).
Et là, je n’ai pu m’empêcher de penser à Jésus, sur la croix, à son dernier souffle, disant « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Jésus non plus n’a pas été secouru par un bras puissant, qu’il soit humain ou divin. Jésus aussi est mort dans des conditions atroces. Et pourtant sa mort a été source de vie nouvelle, de solidarité et d’humanisation au cours des 2000 ans qui ont suivi.
Troy Davis n’est pas Jésus. Il a peut-être, lui seul le sait, tué un père et son fils. Mais comme pour le bon larron près de Jésus sur la croix, il est mort en paix. La solidarité qu’il a formée avec le monde est une bonne nouvelle. Sa soeur a déclaré qu’ « il leur a laissé comme famille le monde entier ». Voilà pour moi les fruits de la prière de milliers d’humains qui a convergé vers Jackson en Georgie.
Non à la peine de mort
Durant la même soirée, nous avons appris qu’un autre condamné à mort avait été exécuté, au Texas, le premier blanc meurtrier d’un noir, pour des motifs racistes. Il semble que la culpabilité de ce dernier était définitive. Je ne me réjouis cependant pas pour sa mort. Une mort contre une mort n’est pas et ne sera jamais la justice. Cette loi du Talion ne devrait plus exister dans une société dite civilisée. Prendre la vie d’autrui est un crime, peu importe la vie dont il est question.
Dans un contexte où l’euthanasie devient un thème récurrent et une tentation réelle pour les peuples occidentaux, où l’avortement est pratiqué massivement parfois avec une orientation eugénique et souvent sans effort pour offrir des solutions plus en accord avec le devoir de protéger toute vie humaine, où des États assassinent par dizaines des citoyens qui manifestent paisiblement, où des coalitions font la guerre sous prétexte de sauver des vies civiles et qui pourtant se font complices de morts injustes, il est plus que jamais urgent de repenser notre rapport à la vie.
Devenir « pro-vie » sans l’étiquette habituelle — intégriste, d’extrême-droite — qu’on y appose, s’engager « en faveur de la vie et de toute vie » est un combat qu’il importe de mener partout. La peine de mort est symbolique en ce qu’elle est contre-nature, c’est un geste qui supprime la vie d’autrui sous l’autorité de juristes et d’élus qui s’arrogent ce droit réservé à Dieu seul. Tant qu’il restera quelque part une seule autorité humaine qui s’auto-justifiera de pouvoir exercer un droit de tuer, alors le combat pour la vie ne sera pas achevé.
Comment réagissez-vous ?