Choisir ses combats, vraiment?

Bran et le mestre Luwin (Le Trône de fer)

Il faut choisir ses combats si on ne veut pas les perdre tous! Cet adage est devenu présent dans la vie courante et plus encore dans le domaine de l’éducation des enfants. Les intervenants aux compétences variées nous incitent à nous concentrer sur quelques aspects du comportement de notre enfant, car on ne peut pas tout réformer en même temps. Je concède qu’il faut savoir parfois nous concentrer sur quelques particularités pour avancer, mais il me semble que le risque de négliger d’autres éléments fondamentaux est très présent si nous en restons constamment à trier les combats que nous pouvons gagner plutôt que de nous lancer dans une vraie démarche de croissance, disons, plus intégrale.

Combat pour la Vie

Les catholiques semblent avoir pris depuis quelques décennies cette stratégie du choix sélectif des combats. Pensons à l’avortement. Certains militants pro-vie sont tellement concentrés sur ce combat qu’ils en finissent par ne plus rien voir des interpellations évangéliques pourtant si criantes pour plus de justice, pour l’égalité des sexes, pour l’inclusion et l’intégration, pour le respect des différences, pour la dignité au travail, pour l’accompagnement en fin de vie, pour l’éducation accessible à tous, pour l’édification d’une société où la Vie est servie avant tout par l’amour. Je me rappelle avoir interpellé directement le directeur-fondateur du magazine américain pro-vie LifeNews.com le soir où Troy Davis a été mis à mort suite à une condamnation controversée. Je lui demandais de prendre position et d’inviter ses lecteurs à se rallier au mouvement mondial qui avait cours afin de tenter d’empêcher l’exécution. Il m’avait répondu quelque chose comme: « Lorsque les opposants à la peine de mort s’opposeront à la mise à mort des foetus, je me battrai à leurs côtés. » Voilà où nous mène la sélection de nos combats lorsque cela implique le désengagement face à d’autres situations tout aussi tragiques. L’évêque de Nanterre, Gérard Daucourt, a publié ce jour une lettre adressée à ses diocésains. J’apprécie particulièrement la conclusion qui ouvre plus largement « le combat » à mener:

Notre combat de chrétiens pour la vie et pour l’homme est un. Il concerne aussi bien l’embryon que le malade en fin de vie, la famille que les chômeurs, les immigrés en difficulté que les personnes handicapées, etc. L’Eglise se sait concernée par toutes ces situations. Chaque membre de l’Eglise doit faire partout, en tous ces domaines, tout ce qu’il peut ! (source)

Cet appel d’un responsable de l’Église a de quoi nous faire réfléchir. Il est lancé dans un contexte où les catholiques français sont engagés dans un combat vigoureux contre le mariage gay et contre l’adoption par des couples homosexuels qui aurait pour conséquence, entre autres, de taire la vérité biologique que chaque être humain a un père et une mère. Tout en encourageant les catholiques à s’engager respectueusement dans un débat honnête sur ce sujet, l’évêque les appelle sagement à ne pas négliger les autres fronts. Je me sens concerné par ces choix de société qui ont déjà été mis en oeuvre ici au Canada et au Québec. Le mariage gay est désormais reconnu. L’adoption par des couples homosexuels est légitime. Il y a aussi bien d’autres « pratiques » qui ont été instaurées légalement alors qu’elles contrevenaient à l’éthique chrétienne. Qu’on pense simplement à l’accès libre à la contraception et à l’avortement. Il y en a d’autres qui risquent d’être sous peu autorisées, comme l’euthanasie et le suicide assisté. Bref, les temps sont durs pour les chrétiens qui résistent à ces nouvelles normes sociales fondées essentiellement sur une vision large des droits fondamentaux individuels, souvent à l’encontre d’une certaine idée du bien commun.

À force de perdre…

L’Église catholique a « perdu » de nombreux combats ainsi menés depuis les débuts de la sécularisation. Au-delà du fameux pouvoir d’influencer qu’elle exerçait autrefois, c’est surtout la réceptivité face à sa vision morale et son enseignement social qui fait défaut. Visiblement, les États de ce monde se laissent emporter par la vague relativiste qui donne la primauté de son destin à l’individu. Les « vainqueurs » parlent de progrès social et s’attribuent le terme de progressistes. Bien entendu, les « perdants » ne peuvent voir dans ces changements un progrès réel. Généralement, à force de perdre, les perdants finissent soit par se rallier au vainqueur, histoire de souffler un peu avant de fomenter de nouvelles alliances ou bien en se trouvant, finalement, pas si mal dans le camp adverse; soit par occuper le champ de la résistance. Il en est ainsi dans toutes les guerres. Il est donc possible, ici au Québec, qu’une bonne partie des croyants appartenant à l’Église catholique ait fini par se résigner à l’état de fait et à ne plus résister. Il est possible, qu’en ne résistant plus, ceux-ci en viennent à ne plus trouver mal ces nouvelles pratiques et même à en dégager des aspects positifs. Parfois, je me sens un peu comme ces fidèles attiédis. Parfois aussi, je me laisse attirer par la fougue des résistants! Comme dans toute « guerre », il n’est pas toujours possible ni souhaitable de rester neutre. Mais il se peut également que je me trompe de guerre…

Je me permets ici une analogie en vue de chercher une troisième voie. J’ai suivi les deux premières saisons de la série « Le Trône de fer ». On y voit sept petits royaumes combattre les uns contre les autres afin de conquérir le fameux trône, symbole de suprématie sur tout le continent imaginaire de Westeros. On y trouve une ville-forteresse pour chaque royaume. Celle-ci abrite une « noble maison » d’où est issu le roi local. Et ces villes sont sous la responsabilité d’un « mestre », l’équivalent plus ou moins d’un maire moderne, désigné on ne sait pas comment mais dont l’âge vénérable le rend presque éternel! Ces villes tombent tour à tour sous la domination d’un ennemi, mais le mestre est généralement maintenu en place par le conquérant, car il le reconnaît comme un sage respecté ayant autorité sur les habitants. Le mestre sert moins le roi que la ville à laquelle il est lié par serment, peu importe qui fixe les règles. Alors voilà: être « mestre » ne pourrait-il pas devenir une sorte de rôle qu’occuperaient l’Église et les chrétiens dans la société actuelle?

L’idée me plaît assez: que les chrétiens adoptent plus ou moins les attitudes des mestres pour leur ville, leur province, leur pays. Cela signifie d’abord et avant tout qu’ils servent honorablement leurs concitoyens et concitoyennes. Bien sûr, les mestres doivent se soumettre au pouvoir en place en faisant respecter ses lois. Certains mestres de la série « Le Trône de fer » manifestent cependant une grande liberté dans leur relation au roi, sans se montrer arrogants, parce qu’ils ont justement le respect des habitants. Ainsi donc, les mestres peuvent influencer positivement les décisions royales.

Dans mon pays, les lois concernant des situations éthiques ne sont pas absolument contraignantes. Je m’explique: personne n’est obligé d’avorter ou de se marier, même si c’est autorisé. Le mestre peut se présenter comme un conseiller, un guide, un confident pour toutes personnes aux prises avec des décisions importantes pour la conduite de leur vie et confrontées à des dilemmes lourds de conséquences. Un bon mestre devrait pouvoir accueillir, soutenir et accompagner ces femmes et ces hommes peu importe leurs choix moraux. Un mestre devrait savoir alerter le pouvoir en place lorsque des habitants de sa « ville » vivent des situations d’injustice, d’iniquité ou d’abus. En fouillant davantage ce rôle de mestre, peut-être pourrions-nous trouver notre vraie place de chrétiens dans la société…

Dans cette analogie du mestre, je vois évidemment quelque chose qui nous rapproche de Jésus et de son Évangile. Le Maître est venu pour tous, a accueilli les uns et les autres sans distinction de religion, de statut, de moyens. Il a proposé à tous un horizon de sens qui attira de grandes foules, surtout au début, et qui en laissa bien d’autres perplexes. Dans le monde qui est le nôtre, nous savons que le langage de la foi n’est pas toujours reçu avec la joie qu’il a procurée aux croyants comme moi lorsque nous avons choisi de marcher à la suite de Jésus. Mais rien n’empêche de continuer d’en vivre et de présenter une sagesse digne d’un mestre et, plus encore, digne du Maître lui-même. Pour moi, cela signifie une démarche personnelle de désarmement total. Et qui dit désarmement, dit donc qu’il n’est plus un combattant, du moins pas comme on pense. Comme notre poète et chansonnier Fred Pellerin l’écrit : « J’apprends à me tenir debout… Et puis une défaite qui vaut toutes les victoires… » En réalité, le vrai combat est bien plus grand que la victoire. Le combat des chrétiens vise la fin de toute haine pour que seul l’amour subsiste. La fin de la haine paraît plus souvent dans la défaite que dans la victoire. La fin de la haine, c’est Aimer. C’est le combat qu’a mené sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, certainement une grande « mestre » pour notre temps, et qui me permet de conclure…

Or, aimer c’est se donner;
aimer c’est se livrer ;
aimer c’est se sacrifier;
aimer c’est s’enchaîner à ce que l’on aime;
aimer c’est brûler;
aimer c’est se consumer ;
aimer c’est ne rien refuser ;
aimer c’est tout abandonner à l’amour…

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