19 avril : la famille Barlagne pourra rester au Canada
L’histoire de Rachel Barlagne a ému un grand nombre de gens la semaine dernière, alors que ses parents d’origine française ont interpellé les médias à la suite du refus du Canada d’autoriser la résidence permanente à la famille en raison du handicap de leur fille. Dans l’esprit de la loi canadienne de l’immigration, la notion de « fardeau excessif » s’applique à un enfant dont les parents veulent immigrer au Canada et provoque ainsi le retrait du droit à la résidence permanente de toute la famille. Il ne reste plus à cette dernière que le recours au ministre pour des motifs humanitaires afin de lui permettre de demeurer dans un pays qu’elle a fait sien depuis déjà cinq ans.
La question du droit et des droits
Cette notion de fardeau excessif est loin d’être récente. Elle existe depuis de nombreuses années dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Même si cela aurait pu faire plaisir à certains, ce n’est pas le gouvernement de M. Harper qui doit donc, seul, en porter l’odieux, mais tous les gouvernements successifs depuis la première adoption de cette loi en 1978 (cf. art 19.1). L’esprit de la loi est simple et rationnel: le Canada ne peut se permettre d’intégrer des immigrants dont le coût social serait supérieur à ce qu’il en coûte moyennement par citoyen, car cela risquerait de nous appauvrir collectivement. Sur cette question, toutefois, le Canada ne respecterait pas les principes de la convention internationale des Nations unies qu’il a signée.
« L’article 38.1 permet à un agent de l’immigration canadienne de rejeter un candidat à l’immigration, si après révision de son dossier, incluant le rapport du médecin désigné par l’administration, il considère qu’il représente un « fardeau excessif » pour le système de santé et les services sociaux. » (Source)
Il est important de reconnaître qu’il y a eu des améliorations à cette loi notamment un amendement au début des années 2000 pour permettre le regroupement familial et l’immigration d’enfants adoptés à l’international et qui présentent un état de santé du type de celui de Rachel Barlagne. Mais cet amendement n’a pas prévu toutes les autres situations similaires qui finissent par devenir de véritables tragédies pour les familles éprouvées. Je voudrais exposer ici pour la première fois le cas de deux de mes enfants.

En effet, j’ai été confronté à la même situation en 2003 alors que je rentrais au pays après quelques années en France, avec deux enfants présentant un handicap, tous deux légalement adoptés, mais dont la citoyenneté devait être confirmée après les différentes procédures à compléter. Dès la visite médicale chez le médecin désigné par Immigration Canada, j’ai compris que le chemin serait ardu. Celui-ci avait inscrit sur les formulaires de mes deux enfants, en feutre noir : « sévèrement handicapé ». Vous comprenez que les agents d’immigration ne pouvaient pas faire grand chose pour interpréter l’article 38.1. Nous nous sommes retrouvés, ma femme et moi, dans une situation totalement démente: nous étions citoyens canadiens de naissance, avions déjà deux enfants canadiens et nos deux enfants adoptés à l’étranger devaient être renvoyés dans leur pays d’origine avec ou sans nous! Nous avons rapidement fait appel à la clause de motifs humanitaires et tenté d’être soutenus par notre député. Malheur à nous ! Notre député était le Premier ministre de l’époque, M. Paul Martin… Celui-ci avait donc refusé, en raison de la surveillance dont il était la cible, de nous aider « officiellement », comme l’aurait fait normalement tout député, et comme l’a fait M. Thomas Mulcair dans la cause des Barlagne. Il nous aura fallu plus de quatre ans de batailles, d’appels, de lettres, de renouvellement de permis temporaires chaque fois incertains pour, au final, sans jamais savoir pourquoi ni comment, hormis la prière et la foi, obtenir la citoyenneté canadienne pour nos deux « fardeaux excessifs » . Cela signifie que c’est possible, même dans le cadre de la loi actuelle, si imparfaite :
« Le ministre […] peut, de sa propre initiative, […] étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient. » (Source)
Je ne sais même plus qui était ministre à l’époque, mais je sais seulement que nous étions soulagés de ne pas avoir à faire des choix déchirants pour notre famille. Je souhaite ardemment le même résultat à la famille Barlagne dont l’article de Rima Elkouri dans La Presse présente bien la situation et la réponse « définitive » d’Immigration Canada:
« Nous comprenons qu’il s’agit d’une décision difficile à accepter pour la famille Barlagne », m’écrit la porte-parole de Citoyenneté et Immigration Canada en reprenant la réponse administrative que l’on a déjà donnée à la famille. On y explique que l’on calcule le «fardeau» en fonction des dépenses annuelles moyennes prévues pour chaque Canadien. «Si les coûts prévus pour un demandeur sont supérieurs au seuil des coûts, le demandeur peut être déclaré interdit de territoire parce qu’il risque d’imposer un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé du Canada.
Et la journaliste de conclure : « Bref, à une question de principe qui concerne les droits fondamentaux d’une enfant, on répond en sortant une calculatrice déréglée. À mon sens, de plus en plus, c’est ce gouvernement qui représente un fardeau excessif pour la société. »
La question morale
L’auteur bien connu, Stéphane Laporte, a eu une réaction vive dans son blogue sur Cyberpresse:
La famille Barlagne est expulsée du Canada parce que leur enfant est handicapée, et tous les handicapés du monde ont de la difficulté à se lever alors le gouvernement en profite. C’est tellement facile d’expulser une handicapée, il suffit de la rouler de l’autre côté de la frontière. Les handicapés sont les derniers citoyens de seconde zone des sociétés dites évoluées.
Un pays peut décider comme il l’entend de faire entrer ou non des immigrants, leur nombre, leur allure, etc. Aujourd’hui, dans le monde actuel, il est toutefois jugé à la lumière de ce qui se pratique dans les pays dits « évolués ». Pour avoir vécu en France, la notion de fardeau excessif est là-bas une véritable aberration. Notre fils handicapé, d’origine roumaine (le grand sur la photo), avait été introduit en France parmi une centaine d’autres enfants roumains pour être soignés en France, intégrés à des familles d’accueil ou dans des institutions publiques et ce, pendant des années. On arrive difficilement à se figurer les coûts d’un tel accueil massif! Cette centaine d’enfants ne serait jamais venue au Canada car ils auraient été considérés comme des fardeaux excessifs. Même s’ils luttent actuellement pour mieux gérer leurs problèmes d’immigration, les Français demeurent une nation accueillante et compatissante. Ils prennent chaque année un nombre important d’enfants de pays en développement pour les intégrer dans leurs réseaux de soins, assumant entièrement les coûts excessifs…
Je pense que l’article 38 ne devrait plus s’appliquer aux cas d’enfants, en aucun cas, et ne plus jamais permettre qu’un seul de ceux-ci soit considéré comme un fardeau excessif. Et il faudrait que plus aucune famille n’ait à se battre devant les agents d’immigration, les médecins désignés, les tribunaux ni même à s’afficher devant les médias pour faire connaître leur situation dramatique. Si Thomas Mulcair et le NPD veulent en faire un cheval de bataille, je les soutiendrai entièrement, surtout s’ils poursuivent au-delà de l’opportunité électoraliste.
D’ici là, je vous invite à signer la pétition pour soutenir les Barlagne et faire porter aux candidats fédéraux le « fardeau excessif » de nos pressions, afin que cette famille soit, elle aussi, soulagée de notre manque d’altruisme structurel.
Comment réagissez-vous ?