Curieuses coïncidences. Aujourd’hui, je découvre une lettre d’opinion publiée dans le Nouvel Observateur Plus, écrite par une femme qui réagit vivement à la proposition d’un politicien français du Front national de « dérembourser » les avortements dits « de confort ». La dame, enceinte, interpelle le politicien ainsi: « prêtez-moi une aiguille à tricoter », voulant insinuer que sa proposition ne ferait rien d’autre que de ramener la France à l’ère des « on s’arrange comme on peut » et des « charcutages ». La même journée, je tombe sur un billet de Pascal Henrard intitulé « Vite, donnez-moi une corde », en lien avec l’actualité canadienne. Une corde de pendu et des aiguilles à tricoter, quel drôle de mélange. Pourtant, c’est P. Henrard lui-même qui m’amène à faire ce lien quand il dit « que s’est-il passé pour qu’en quelques années, l’avortement soit de nouveau un sujet de conversation? » Voilà… Dès qu’on parle de la peine de mort, on en vient d’une manière ou de l’autre à l’avortement.
Une grosse bourde
La bourde du sénateur Pierre-Hugues Boivenu, qui admet avoir toujours pensé que chaque meurtrier devrait disposer d’une corde dans sa cellule, impliquant qu’il puisse ainsi choisir de se donner la mort quand il le voudrait, a produit de nombreux commentaires et a fait jaser tout le pays cette semaine. Comme il est de mise face à de tels sujets de polémique, de profondes divisions se sont vite mises au jour. La rétractation du sénateur n’a pas eu l’effet d’apaisement escompté, au contraire. Et lui-même en a remis une couche en présentant pour sa défense qu’il disait tout haut ce que beaucoup de gens pensent, pour preuve les centaines de courriels qu’il aurait reçus en appui à sa déclaration. Morale de cette histoire: le débat sur la peine de mort n’est pas définitivement réglé au Canada. Comme le démontre d’ailleurs l’éditorialiste André Pratte, les différents sondages, à l’exception du plus récent, donnent un appui majoritaire et constant des Québécois depuis 1990 au rétablissement de la peine de mort au Canada (c’est aussi ça, notre société distincte!). Cette constance ne peut qu’alimenter les aspirations du Parti Conservateur à obtenir une occasion de légiférer et les justifier d’incendier les médias de temps en temps avec cette question… Tout comme l’avortement?
Les aiguilles à tricoter
Je lis souvent des gens réfléchis qui affirment avec fermeté que le débat sur l’avortement est réglé définitivement au Canada. J’en avais même fait un billet quand le ministre de la Santé et des Services sociaux avait été accusé d’avoir financé un organisme pro-vie. Or, les sondages montrent également une grande division au Canada sur cette question. Depuis quelques semaines, en France, le débat revient dans l’actualité, alors que ce pays a pourtant une loi très claire permettant l’interruption volontaire de grossesse (IVG) jusqu’à 12 semaines avec un remboursement à 70% des frais et l’interdisant après ce terme. Si les Français continuent de débattre de cette question alors qu’ils ont une loi encadrant l’avortement, pourquoi faudrait-il déplorer que des Canadiens et des Québécois souhaitent définir un cadre législatif dans leur pays? Car peu de gens savent que depuis le jugement de la Cour suprême du Canada en 1988, aucune loi n’est venue remplacer celle qui avait alors été invalidée. Cela signifie que « les avortements peuvent être pratiqués en tout temps pendant la grossesse et pour n’importe quelle raison. »
Les gens intelligents font des catégories
J’en ai un peu marre de voir la facilité avec laquelle les commentateurs de l’actualité font généralement des amalgames simplistes, soit: la droite = les conservateurs = pour la peine de mort = contre l’avortement. À l’inverse, ils diront: la gauche = les progressistes = contre la peine de mort = pour l’avortement.
Dans une des discussions sur l’un de mes billets, un interlocuteur (Papitibi) me confiait : « Je vais sans doute vous surprendre, mais le “go-gauche” que je suis n’en appartient pas moins à la “droite morale” ». Et il poursuivait en affirmant qu’il était contre l’avortement sauf dans des cas extrêmes. C’est bizarre, mais j’avais l’impression de trouver quelqu’un qui me ressemblait, et qui ressemblait peut-être aussi à des milliers d’autres. Les gens de gauche peuvent avoir un projet social, progressiste, égalitaire, équitable, écologique, mais pas forcément acheter l’idée d’un droit absolu des femmes à l’avortement. De même, des gens de droite peuvent avoir un projet de libéralisme économique et défendre les libertés individuelles à outrance et ne pas forcément vouloir enlever quoi que ce soit au droit des femmes à disposer de leur corps ou même vouloir à tout prix que la peine de mort soit rétablie! Pour moi, c’est là que réside la pensée unique: quand on vous enferme dans un camp ou dans l’autre sans aucune nuance.
Et finalement, la religion ?
Je crois en Jésus-Christ et je suis catholique. Je suis contre la peine de mort, dans tous les cas. En fait, je suis contre toute possibilité qu’un être humain soit autorisé à donner la mort à un de ses semblables, en toutes circonstances. Je suis donc contre l’avortement, contre l’euthanasie, contre le suicide assisté, contre les armes, contre la guerre. Comment pourrez-vous donc me cataloguer: conservateur fini ? Rétrograde idiot? Religieux intégriste? Essayez en mettant tous ces « contre » ensemble, vous n’arriverez pas à me caser autrement que comme… catholique.
En tant que tel, je suis donc aussi pour la liberté de conscience. Qu’un prisonnier en arrive à attenter à sa vie, s’il n’a bénéficié d’aucune aide, c’est une affaire entre lui et son dieu tant qu’il en confesse un. Qu’une femme en vienne à choisir d’interrompre sa grossesse, c’est bien sûr son affaire, mais une donnée supplémentaire est en cause: il y a une autre vie en jeu en plus de la sienne. Quel est le statut de cette vie? Nous n’en avons reconnu aucun à l’heure actuelle. Est-ce que poser la question nous fera revenir à l’époque des aiguilles à tricoter et des femmes mutilées? Non merci. Est-ce que cela conduira l’État à supprimer tout financement aux cliniques d’avortement pour empêcher les moins nanties d’y avoir accès en toute sécurité? Non merci. Ouvrir le débat sur l’avortement peut faire que certains groupes militants pro-vie appellent à une politique « zéro-avortement » et manifestent dans les rues, mais ça ils le font déjà. Dans un monde idéal, ils auraient tout mon appui. Dans le monde actuel, une telle politique n’est certainement pas réaliste ni rassembleuse. Il faut donc viser quelque part au centre.
Je vais donc avoir à pleurer tout ce qu’il me reste de vie chaque fois qu’une vie sera supprimée en toute conscience, n’importe quelle vie humaine, celle qui a à peine commencé ou celle qui est objet de toutes les admirations ; celle qui semble n’apporter que des emmerdes ou celle qui ne serait qu’un fardeau excessif. Je donnerai mon aval aux politiques visant à assurer la sécurité qu’il est nécessaire et raisonnable d’appliquer, tout en favorisant la réhabilitation, car je crois en une deuxième et même une troisième, voire une quatrième chance de se reprendre en main et de changer… Oui, tout comme Jésus, je crois en la personne humaine. Et si telle est ma croyance, je me dois de respecter cette femme qui, en son corps, porte une autre vie dont elle ne veut pas, qu’elle ne veut ou ne peut pas mener à terme, malgré toutes les possibilités qui s’offrent à elle, dans la mesure où elles lui ont été présentées. Nous vivons dans cette société où la liberté a été chèrement gagnée. Et la liberté aura toujours un prix. Parfois ce prix, c’est malheureusement une autre vie…
Une fois là, à moi, le catholique, qui ne veut ni corde ni aiguilles, il me reste encore la foi (la prière), l’espérance (en la miséricorde) et la charité (un amour gratuit pour toute personne au-delà de ses actes). Et ça, c’est déjà énorme…
Comment réagissez-vous ?