Ma collègue de travail et amie m’interpelle. Elle dit qu’elle aimerait « plus de moi » dans mes billets, peut-être moins de démonstration ou d’enseignement. Elle me propose de parler de mon rôle de père comme je le fais naturellement. Elle sait bien me brancher sur ce qui me fait parler, car me voici déjà au clavier. C’est vrai que j’en parle tous les jours de mes enfants et ce, depuis bientôt 20 ans.
Ça me fait tout drôle, car à peu près à la même période, fin novembre 1990, nous nous étions ouverts, mon épouse et moi, à l’idée d’une adoption. Nous faisions partie des couples infertiles sans explication. Aujourd’hui ils sont devenus si nombreux que les cliniques de fertilité ne peuvent pas fournir! Je vais oser écrire ceci: je pense que c’est heureux que les procédés de fécondation étaient encore complexes et peu performants à la fin des années 1980. C’est en vertu de ces contraintes que nous avons considéré l’adoption. Est-ce que nous aurions fait un choix différent aujourd’hui ? J’ai le regret de dire que c’est possible, compte tenu du désir d’engendrer son propre enfant. Il est d’ailleurs probable que bien des enfants abandonnés, en attente de familles, n’en trouveront plus au Québec car celles-ci ont désormais des moyens, grâce à la science, d’en « fabriquer » des tout nouveaux tout beaux, beaucoup mieux qu’eux, pas « usagés ». (Ouf ! c’est peut-être « trop de moi » ça, non ?). Attention, je ne veux pas juger ceux qui le font. Je veux seulement exprimer mon parti pris pour les enfants vivants qui se retrouvent peut-être coincés dans les centres jeunesse ou les familles d’accueil et qui n’ont pas d’autres perspectives pour leur vie.
Nous avons accueilli des jumeaux de 2 ans et 8 mois en janvier 1991. Temps de préparation et de grossesse: huit jours entre la rencontre de la maman bio et l’arrivée des enfants. Ce fut un choc. Terrible. Je me souviens des premières nuits. Un léger craquement me faisait sursauter, en panique, à l’idée que quelque chose pouvait arriver aux enfants. Je prenais conscience, après le romantisme lié à leur venue, de l’immense responsabilité que cela comportait. Notre vie avait chaviré. Notre univers était devenu centré sur deux petits bonshommes. J’étais devenu papa…
La plupart des parents ont tendance à raconter les difficultés qu’ils rencontrent dans leur rôle. Il n’est pas rare de vivre des moments où l’on raconte tour à tour les bêtises de nos enfants. Moments de rires aux éclats, de décompression. En général, mes histoires suscitent de l’intérêt. Je gagne presque à tout coup au chapitre des pires conneries. J’en profite pour remercier mes deux gars pour le pouvoir d’attraction qu’ils m’ont donné grâce à leurs écarts de conduite ! Il est vrai que ces jumeaux de près de trois ans avaient déjà un bon vécu lorsqu’ils sont arrivés dans notre famille. Ils étaient deux, complices, opposants. Non, non ! Je ne raconterai rien ici. Tant pis si vous n’êtes pas du nombre de mes amis !
Mais je veux surtout affirmer qu’au-delà de toutes les difficultés, toutes les contraintes et tous les jugements des autres parents, des profs, des directeurs d’école et même des maires (!), cette double adoption fut sincèrement et clairement une histoire d’amour.
C’est tellement vrai que nous avons continué avec un autre, et un autre, et encore un autre. Nous aurions poursuivi au-delà de l’âge « raisonnable », mais des travailleurs sociaux bien intentionnés ont fini par nous opposer un « c’est assez! ». J’avoue que leur décision, toute frustrante qu’elle fut, nous fait considérer notre vie actuelle avec un brin de recul. Nous avons encore deux petits de 5 et 8 ans avec nous alors que nous sommes déjà grands-parents trois fois. Nous sommes souvent fatigués le soir. C’est beaucoup d’énergie à dépenser. Nous devons être là pour eux encore longtemps !
Pour la plupart des parents, avec un peu de recul, les difficultés vécues avec nos enfants ne sont jamais des motifs de regretter le choix de les avoir eus. Les parents témoignent le plus souvent du bien qu’ils leur ont fait en les forçant à se déplacer d’eux-mêmes, à se tourner vers des êtres fragiles, à se donner toujours plus. Au bout du compte, les parents n’ont pas le sentiment d’avoir été « vidés », mais, au contraire, « nourris », « remplis » d’amour. Je disais souvent, au cœur des situations que je croyais sans issue, « quand ils auront 25 ans et que nous aurons des réunions de famille avec leurs conjointes et leurs enfants, nous rirons ensemble de tous leurs mauvais coups ». Et c’est exactement ce qui arrive, et bien avant la date annoncée ! Comme quoi…
Mes enfants sont des cadeaux pour l’humanité. Ils sont les cadeaux pour ma propre humanisation. Ils ont été à la source de ma prise de conscience de mes fragilités les plus secrètes, surtout par les échecs et mon impuissance. C’est une thérapie de la réalité qui m’a évité de persister trop longtemps dans mes désirs de toute-puissance et de tout réussir. Je pense qu’ils ont fait de moi un être meilleur et je rends grâce pour leur présence dans ma vie.

Je vous invite à suivre ce lien pour découvrir une petite association qui fait la promotion de l’adoption au Québec, L’Association Emmanuel, et en France, Emmanuel SOS Adoption. Deux de nos enfants ont été adoptés via ces associations, un troisième par une association apparentée. Il y a encore beaucoup d’enfants en attente qu’une famille les trouve, n’est-ce pas leur droit ? Ne serait-ce pas un cadeau à leur faire et à se faire ? Voilà l’attente que je fais mienne, en cette période de l’Avent qui débute, en ce jour de la Thanksgiving.
Comment réagissez-vous ?