Le dilemme féministe

Fille ou Garçon
Un garçon, c’est bien; une fille, c’est non !

Depuis quelques années, les avortements sexo-sélectifs sont de plus en plus révélés au grand jour dans notre pays. Ce qui était au départ l’affaire de quelques individus serait en train de prendre des proportions inquiétantes. Pour la majorité des parents, connaître le sexe de son enfant à la première et surtout à la deuxième échographie est une source de fébrilité et d’amusement. Dans nos familles, on y va souvent de pronostics quand ce n’est pas carrément un jeu de paris ouverts! Mais il ne nous est jamais arrivé de mettre en question la poursuite de la grossesse si le sexe ne correspond pas au souhait des parents. Pour le premier, cela va de soi qu’on prend « ce qui vient ». Pour le deuxième, on peut espérer que ce soit l’autre sexe. Au troisième, les attentes peuvent être plus fortes si les deux premiers sont du même sexe… Mais si c’est encore une fille, alors que le couple veut bien un enfant, personne n’imaginerait un avortement en vue d’une autre grossesse qui, celle-là, donnerait, peut-être enfin, le sexe attendu. Non, jamais !

L’importance du mâle

La chasse aux fillettes est désormais bien documentée dans quelques pays. Elle semble arrivée chez nous, au Canada et même de plus en plus au Québec. Si cette situation survenait auparavant dans quelques cas isolés, le médecin ne devait pas s’interposer dans la décision de la mère de ne pas poursuivre sa grossesse. Il est plutôt convenu que c’est le choix de la femme qui prédomine et que ses raisons lui appartiennent à elle seule. Mais quand le phénomène s’accroît au point où il devient courant, on peut comprendre que les personnes qui font parties des équipes d’obstétrique se mettent à murmurer au point d’alerter les autres que nous sommes.

On attribue généralement cette situation aux familles immigrantes asiatiques, surtout chinoises et indiennes. En Chine, la politique de l’enfant unique, pour réduire la surpopulation, a provoqué cette surenchère pour que le seul enfant qui naisse soit un fils et non une fille. Avoir un fils, c’est mieux qu’une fille, peu importe les conséquences. Inutile d’énumérer les raisons qui peuvent pousser les couples à confier leur fille à l’adoption, le plus souvent en cachette, afin de pouvoir se donner une autre chance de mettre au monde un garçon. En réalité, ici-même au Canada français, le temps n’est pas si loin où nos familles préféraient encore les garçons aux filles. Quand Monsieur Dupont annonçait la naissance de son premier, cigare « bleu » en mains, c’était une joie souvent plus grande parmi les proches que s’il avait annoncé une fille… Le premier-né, s’il était garçon, était un signe providentiel. Il allait pouvoir suivre les pas de son père, que ce soit à la ferme ou dans une profession honorable et transmettre le nom de famille. Le deuxième fils serait éventuellement prêtre. Quant aux filles, leur sort était vite réglé: ou bien elles seraient ménagères ou bien religieuses. Bref, nous n’avons qu’à nous rappeler ces temps pas si anciens pour comprendre que d’autres cultures restent encore bien accrochées à la suprématie du mâle en matière de procréation.

Mais qui décide?

Comme il s’agit de phénomènes culturels qui influencent nettement l’identité individuelle des couples, il va de soi que, dans une société qui ne procure aucun droit à l’embryon ni au foetus, la tentation de recourir à l’interruption de grossesse sexo-sélective est bien réelle. En Chine, si le premier enfant est une fille, tant pis, ce sera cet enfant et ce sera le seul. Mais au Canada, seule la décision de la mère est prise en compte dans le choix d’interrompre la gestation. Il suffit de demander pour que cela se réalise. Admettons que c’est une situation inouïe pour un couple qui croit qu’il est éminemment plus souhaitable d’avoir un garçon qu’une fille pour commencer sa famille: « Ah bon? On peut supprimer et retenter le coup? Alors oui, allons-y, supprimons celle-ci et attendons de voir le prochain. »

En réalité, la femme est rarement seule à décider. C’est avec la pression de toute la famille, du conjoint et de leur culture communes que la décision de cesser la grossesse est prise. Et on assiste donc, après les handicapés, à la suppression massive de foetus féminins.

Le dilemme pro-choix

Les femmes du Canada ont bataillé chèrement pour obtenir le droit de disposer librement de leur corps, signifiant par le fait même le choix de garder ou non l’enfant qu’elles portent, peu importe la manière dont il a été conçu. Disposer librement, c’est pouvoir décider sans pression de quiconque. La pression d’autrui est un concept bien difficile à jauger. Par exemple, lorsque toute une société met en garde les couples sur la lourdeur que représente un enfant au pronostic de trisomie 21, par exemple, et que les témoignages des parents confirment souvent cette impression alors qu’ils revendiquent, au nom de la justice et de la solidarité nationale, de l’aide pour alléger leur charge, nous pouvons nous demander s’il ne s’agit pas d’une forme de pression collective sur la femme qui doit choisir de garder ou non l’enfant dont le pronostic va dans ce sens.

En ce qui regarde le sexe de l’enfant, je fais l’hypothèse que le mouvement féministe est totalement piégé. Si les féministes continuent de lutter pour que d’aucune façon le droit à l’avortement ne soit jamais discuté ou débattu dans les parlements, elles finissent par ne plus pouvoir se montrer solidaires de toutes ces filles qui ne naîtront jamais sur la seule base qu’elles seraient plus tard des femmes comme elles. Il s’agit nettement de discrimination à l’égard des femmes, à commencer par le début de leur conception. Je trouve cela insensé. Quelle est la valeur de l’enfant à naître? Vaudrait-il plus s’il est de sexe masculin plutôt que féminin? N’y voyez-vous pas une question de société? Et lorsque nous voulons débattre de telles questions, ne revient-il pas à nos députés, en l’occurrence les femmes élues aux parlements, d’aller jusqu’au bout de leurs convictions sur l’égalité hommes-femmes en dénonçant cette vague croissante de suppression des foetus de sexe féminin?

Je suis prêt à aller au combat avec les féministes sur cette question, car je suis avec elles sur les implications de l’égalité dans toutes les dimensions de notre société.

Comments

14 réponses à “Le dilemme féministe”

  1. Avatar de Diane H.
    Diane H.

    Bonjour…

    Article intressant.

    Pour ce qui est du Canada, j’avoue ne pas avoir fait de profondes recherches sur le sujet de la slection du sexe par chographie, mais tant donn qu’il y a maintenant la grandeur de notre pays des immigrants venant de paus o l’on favorise grandement la naissance du mle et o la naissance d’une fille est vu comme une catastrophe, ce pourrait-il que ces avortements sexo-slectifs dans notre payus soient justement plutt du fait du ct culturel de ces arrivants qui amnent avec eux leur faon de penser et de faire?

    Pour preuve, l’chographie est sorti depuis des annes maintenant et bien avant la grande vague d’immigration, il n’y avait pas une telle sorte de slection parce que les familles ici en gnral accueillent aussi bien un garon qu’une fille.

    D’un autre ct, je ne vois vraiment pas comment on pourrait littralement contrler ce nouveau phnomne. Enlever totalement l’accessibilit aux chographies? Je ne crois pas qu’on fasse cela.

    Et si jamais un comit de slection tait form pour justement interdire les avortement sexo-slectifs, vous savez bien que les femmes viendront demander un avortement et l’obtiendront, se taisant simplement sur leur vrai raison et mentant.

    Pour ce qui est des pays pour qui l’importance d’un garon est primordiale cause de leurs moeurs et que la venue d’une fille est vue comme un malheur, ce sont les mentalits qu’on doit changer d’abord…. C’est assez stupide d’agir ainsi mme, ils se tirent dans le pied!

    a a l’air que certaines villes ont un gros manque de prs de 35% de femmes maintenant et les jeunes hommes doivent voyager loin dans d’autres villages et littralement *s’acheter* une pouse, tant il manque de filles!

    Pour le Canada, je doute que le phnomne devienne si grand car culturellement parlant, tant une socit o la femme est aussi importante que l’homme, je ne vois pas venir le jour o la situation serait aussi critique car les femmes qui avortent le font le plus souvent cause de la pauvret, de la maladie physique ou mentale, d’un divorce, d’un handicap chez l’enfant, de grossesses de jeunes adolescentes, de l’abandon du partenaire, de viol, d’inceste, etc. etc. ou tout simplement parce que l’enfant n’arriverait pas dans un bon moment de sa vie.

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    1. Avatar de Jocelyn Girard

      Il s’agit en effet d’un phénomène qui croît avec l’arrivée des familles en provenance surtout de certains pays d’Asie, comme je l’ai indiqué. Je comprends qu’on ne puisse entièrement le contrôler. Vous avez raison de croire que les femmes n’auraient qu’à donner d’autres motifs pour obtenir une interruption de grossesse. Il me semble quand même que nous ne pouvons pas en rester là. Une campagne de sensibilisation serait déjà un début pour marquer l’importance égale des sexes dans notre société. Si cela permettait de voir moins de ces avortements alors que les familles sont désireuses d’enfants, je serais le premier enchanté.

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      1. Avatar de diama56

        Je suis vivement d’accord avec un tel genre de campagne de sensibilisation Jocelyn!
        En plus, je crois que la deuxième génération de ces immigrants sera mieux sensibilisée car elle vivra dans un pays où la femme est toute aussi valorisée que l’homme et cela va contrer contre la pression de leur famille.

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      2. Avatar de koval
        koval

        Mais avez-vous une preuve de cette croissance? Il me semble qu’un immigrant est assez intelligent pour comprendre que les politiques d’ici sont différentes et que l’avantage d’avoir un gars par rapport à une fille ne s’applique plus au Canada!!!

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        1. Avatar de Jocelyn Girard

          Non, pas de preuve, seulement des reportages journalistiques qui le prétendent.

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          1. Avatar de koval
            koval

            Il y a d’autres reportages journalistiques qui questionnent progression….ils prétendent le contraire, j’en ais laissé un du devoir plus bas qui suspecte les conservateurs et je vous laisse cette déclaration de la FFQ dont voilà un citataion:

            « Inventons-nous un problème au Canada?

            Il n’existe pas d’études, autres qu’anecdotiques, pour déterminer avec assurance que la pratique existe au Canada. Ce qui n’a pas empêché les anti-choix de se lancer en campagne. Toutes les stratégies semblent bonnes pour réduire l’accès et le choix des femmes en la matière. D’ailleurs, les plus importantes voix pour un encadrement de l’avortement sexo-sélectif sont contre le droit à l’avortement et pour l’introduction de plus de restrictions. C’est le cas de Margaret Sommerville, de REAL women et de Rona Ambrose, ministre de la Condition féminine. »

            Quand les conservateurs s’occupent de la conditions féminine, nous les femmes on sait qu’il faut s’inquiéter. En plus, c’est une pierre deux coups, ça écorche les immigrants! Faut quasiment faire exprès pour tomber dans le panneau!

            http://www.ffq.qc.ca/2013/01/la-devoir-et-et-lavortement-sexo-selectif-notre/

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            1. Avatar de Jocelyn Girard

              Merci pour cette référence. J’aurais dû la trouver avant d’écrire mon billet. En réalité, que cette pratique soit en hausse ou non chez nous, il faut rester vigilants sur les acquis en faveur de l’égalité. Nous sommes parfaitement d’accord sur ce point !

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          2. Avatar de Éric
            Éric

            Au contraire, il commence à y avoir des preuves par les statistiques démographiques chez les immigrants au Canada. Un article scientifique préparé pour le « United States National Bureau of Economic Research » utilisant les données de recensement du Canada démontre les faits suivants concernant les immigrants asiatiques:

            – le rapport garçon/fille est de 1.09 pour la première génération (un peu plus élevé que le taux naturel de 1.05)
            – avec chaque naissance de filles comme premiers enfants, le taux devient très biaisé pour le troisième enfant:
            – il est de 1.39 pour les Chinois, Coréens et Vietnamiens
            – il est de 1.90 pour les Indiens (c’est presque un rapport de 2 pour 1!)

            Ces données indiquent fortement qu’il y a bel de l’avortement sexo-sélectif au Canada.

            ref: Douglas Almond, Lena Edlund, Kevin Milligan, « O Sister, Where Art Thou? The Role of Son Preference and Sex Choice: Evidence from Immigrants to Canada », National Bureau of Economic Research, 2009

            hyperliens:
            http://www.cmaj.ca/content/184/3/E163
            http://www.aeaweb.org/aea/2011conference/program/retrieve.php?pdfid=48

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            1. Avatar de Jocelyn Girard

              Merci pour ces données qui apportent des éléments nouveaux sur cette question.

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  2. Avatar de 香港迷你倉

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  3. Avatar de koval
    koval

    Méfions-nous au plus haut point des conservateurs!

    « Le député conservateur Mark Warawa défend devant les journalistes sa motion contre les avortements sexo-sélectifs. Cette motion est un écran de fumée au service de l’obsession conservatrice et religieuse de contrôler le corps des femmes, estime Alexa Conradi. »

    http://www.ledevoir.com/politique/canada/369697/interdire-l-avortement-sexo-selectif-un-leurre

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    1. Avatar de Jocelyn Girard

      Je ne crois pas, comme vous, qu’il faille interdire l’avortement sexo-sélectif, mais il faut trouver des manière de conscientiser les couples à la valeur de l’enfant en lui-même, qu’il soit masculin ou féminin…

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    2. Avatar de diama56
      diama56

      Je crois en effet que cette polémique est récupérée (et même inventée à un certain niveau!) pour que les provies repartent le débat!

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      1. Avatar de Jocelyn Girard

        Voici un commentaire qui reprend mon inquiétude, et qui ne vient pas des Conservateurs… http://plus.lapresse.ca/screens/4528-40c0-51a8b68f-9e8e-76eeac1c606d%7C_0.html

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