La croissance ou la mort

Chico WhitakerJ’ai eu la chance d’assister à une conférence du Brésilien Chico Whitaker, Prix Nobel alternatif 2006, et co-fondateur du Forum social mondial. Cette conférence s’est tenue à Chicoutimi, sous l’égide des Journées québécoises de la solidarité internationale (voir AQOCI). L’auteur du best-seller Changer le monde a bien évidemment parlé de la mondialisation et de ses anti-valeurs.

Il a retracé avec brio les différentes étapes d’instauration du Nouvel ordre mondial, commencé peu avant la fin de la dernière guerre mondiale, alors que les blocs soviétiques et américains se divisaient déjà le monde. Il a montré comment l’effondrement du bloc socialiste a laissé carte blanche au « monde libre » pour pousser à fond ses manoeuvres de libéralisation de l’économie mondiale. Le succès de ces convergences d’un capitalisme sauvage a conduit l’humanité à adhérer à ses anti-valeurs, notamment

  • vouloir gagner toujours plus d’argent à des fins personnelles et donc
  • être en compétition avec les autres;
  • consommer toujours plus pour répondre à des appétits creusés par la publicité intrusive.

Puisque désormais les pays sont tous programmés pour augmenter leur prospérité (création de richesse), le développement devient ainsi la priorité de tous. M. Whitaker n’a pas hésité à affirmer que si tous les pays en émergence atteignaient le niveau de consommation et de production des pays riches, dont le Canada, il faudrait alors au moins quatre planètes Terre pour y parvenir! (Voir les chroniques de Ianik Marcil qui traite bien de ces questions). Par ailleurs, la richesse créée depuis les dernières décennies n’a jamais eu pour effet de réduire les écarts entre les pauvres et les riches. Au contraire, ces derniers, très largement minoritaires, s’accaparent plus de 80% de la valeur monétaire créée. Si, globalement, la richesse est en croissance, la grande pauvreté l’est davantage. Il doit bien y avoir quelque chose qui cloche!

Croîs ou meurs

Crois ou meursCe système économique mondial est basé sur la croissance accélérée et infinie de la richesse. Les compagnies qui ne cessent de grossir veulent toujours plus de profits pour satisfaire leurs actionnaires, cachés derrières les grandes sociétés de gestion de portefeuilles, qui exigent toujours plus de dividendes. Les multinationales voient le monde comme un champ de bataille en quête d’opportunités de production aux coûts les plus bas possible, étouffant littéralement les populations qui sont dépendantes des industries à proximité pour leur subsistance. Nous l’avons d’ailleurs constaté ici même dans la région lorsque la géante RioTintoAlcan a mis en lock-out ses employés à la veille de l’échéance de leur convention collective, tout en gagnant de l’argent par le rachat forcé de l’électricité produite sans relâche durant le conflit qui a duré huit mois.

Les grandes banques sont devenues les vrais centres de pouvoir qui contrôlent pratiquement les états. Ceux-ci sont donc condamnés à produire plus de richesse pour pouvoir rembourser les dettes astronomiques que leurs créanciers leur ont consenties, tout en satisfaisant les électeurs qui en veulent également toujours plus! Tout le monde se voit contraint à consommer plus, produire plus, posséder plus. Chico Whitaker a parlé d’une servitude volontaire pour expliquer le succès de ce système. Une servitude qui laisse croire que « c’est bien ainsi » et qu’il n’y a rien qu’on peut faire pour changer quoi que ce soit… Ce serait donc la seule issue possible: la croissance effrénée ou la mort et ce, tant pour les entreprises, les états que les êtres humains eux-mêmes. Et la mort est bien présente, on n’a qu’à regarder les taux de suicide alarmants!

« Crois ou meurs ». C’était autrefois un adage qu’on prêtait à la religion dominante qui tentait ultimement de convaincre les hérétiques d’adhérer à ses dogmes. Un simple accent circonflexe en substitution d’un point sur le « i » nous aide à comprendre la symbolique totalitaire qui a remplacé l’Inquisition. Soit nous nous engageons résolument à croître, c’est-à-dire augmenter nos possessions, nos actifs, notre valeur financière, soit nous nous résignons à n’être rien qui vaille et à disparaître incessamment…

La force du nombre

Le Prix Nobel alternatif donne un portrait noir de l’état du monde, mais il a quand même suscité un peu d’espoir. À 80 ans, ne continue-t-il pas lui-même de militer et de convaincre ceux qui veulent bien l’entendre qu’un autre monde est possible? Il a donc utilisé l’image des essaims d’abeilles pour décrire le pouvoir réel des militants engagés dans l’altermondialisme. Les abeilles sont de grandes travailleuses et produisent beaucoup. Lorsqu’elles sont agressées par un intrus, qu’il soit petit ou grand, elles savent se défendre par la force du groupe et arriver à faire décamper même les ours chapardeurs les plus gros. M. Whitaker a invité les auditeurs regroupés dans une salle comble ainsi qu’à une deuxième et même une troisième par voie de téléconférence, à imiter le comportement des abeilles et à se munir d’une boîte à outils qu’il a déclinée en cinq « tiroirs ».

Le premier tiroir de l’abeille militante, c’est l’information. Contre la propagande hégémonique du système mondial, véritable Goliath des temps modernes, les abeilles doivent chercher les sources d’informations fiables qui ne masquent pas les vrais enjeux derrière les projets de développement. Les réseaux sociaux sont une source d’espoir car ils ont déjà leur efficacité face à des situations qui auraient pu ne pas être connues, comme le printemps arabe. Ne jamais se satisfaire, donc, des informations courantes données par les médias traditionnels, mais chercher à approfondir, en quête de vérité.

Le deuxième tiroir qu’il a ouvert est celui de l’objection de conscience, un acte qu’on voit surtout face au service militaire dans les pays où c’est obligatoire. Chico Whitaker dit qu’il y a plein d’autres manières de s’objecter, à commencer par notre façon de consommer! L’expérience du printemps érable cette fois-ci a été mentionnée. Les huit mois de campagne des étudiants peu à peu rejoints par de nombreux citoyens n’ont-ils pas fait reculer un gouvernement qui s’est résolu à tenir des élections qu’il a ensuite perdues?

Des communautés au service du bien communContre l’esprit de compétition qui règne dans le nouvel ordre mondial, seul un véritable esprit de coopération peut rassembler une force alternative. C’est le troisième tiroir de l’octogénaire. Le Québec a déjà été un chateau-fort du mouvement coopératif. Il fait partie de nos racines. Ne peut-on pas chercher dans notre histoire les éléments qui nous permettraient de revisiter les motivations des premiers coopérants? L’inspiration peut parfois aussi se trouver dans le passé!

Une autre force des abeilles, c’est leur capacité de choisir leurs fournisseurs! En tant que consommateurs, il existe déjà de multiples manières de consommer d’être plus écologiques. Acheter local, par exemple. Éviter les achats impulsifs. Quitter la surconsommation par la simplicité volontaire…

Enfin, le cinquième tiroir est celui de l’action politique. En tant que membres de la société civile, il est possible d’opposer une force d’influence pour contrer les politiques qui servent les intérêts économiques égoïstes. Les mouvements récents comme Occupy WallStreet en sont quelques-uns. Chico Whitaker ajoute que ceux qui ont plus « d’estomac » peuvent aussi se joindre à des partis qui défendent des politiques pour changer les choses vers un monde plus solidaire.

Prophète ou évangélisateur?

En conclusion, la conférence de cet homme engagé et inspirant a soufflé sur les braises de mon propre engagement citoyen. Juste avant la conférence, la directrice du Centre de solidarité internationale du Saguenay-Lac-St-Jean avait tenu des propos virulents sur les nouvelles politiques du gouvernement fédéral qui, tout en sabrant largement dans les subventions aux organismes de solidarité internationale laïques issus de la société civile, financerait grassement les organismes de charité qui ont des visées religieuses prosélytes. Lorsque j’ai entendu ses propos, je me suis dit intérieurement qu’il s’agissait d’une autre critique anti-religieuse pas forcément fondée. J’ai entendu tant de témoignages à propos des oeuvres missionnaires catholiques et plus encore à propos des organismes comme Développement et Paix que je ne peux me résigner à croire que parce que la solidarité tirerait son inspiration d’un certain Jésus, prophète assassiné pour sa foi et ses contre-valeurs, elle n’aurait pas autant d’intérêt.

Mais Chico Whitaker m’a rassuré lorsqu’il a mentionné l’une de ses inspirations, le célèbre Paulo Freire, chrétien engagé, avec lequel il a beaucoup travaillé en éducation populaire au sein de communautés ecclésiales de base au Brésil et en Amérique Latine. En fouillant dans la biographie de M. Whitaker, j’ai perçu qu’il était lui-même un chrétien fortement engagé dans l’humanisation du monde. Lors de sa conférence, il n’a rien dit de sa foi. Elle transpirait. Il y a donc bien deux manières d’évangéliser…

Comments

2 réponses à “La croissance ou la mort”

  1. Avatar de Anne Vaillancourt
    Anne Vaillancourt

    Bonjour Jocelyn,

    merci de m’avoir fait connaître cet homme remarquable. Je vais certainement lire sa biographie.

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    1. Avatar de Jocelyn Girard

      Bonne idée! Il est inspirant, en effet!

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