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Toute crise est d’abord une occasion! Et pour chaque individu, la réaction sera différente car personne n’arrive outillé de la même manière lorsque survient un choc. Boris Cyrulnik le claironne sans cesse : personne n’est égal face au traumatisme! Cela devrait éviter à chacun.e de juger l’autre sur sa manière de réagir qui est forcément différente de la sienne. La véritable empathie est difficile puisque ce n’est pas vrai « que nous sommes passés par là », car nous ne disposons pas des mêmes ressources, des mêmes expériences, du même bagage, etc. Bref, devant le traumatisme, il faut être humble et accepter de ne pas savoir, du moins pour ce qui concerne l’autre.
Les phases de la résilience[i]…
La résilience est un processus et non pas un état. Par exemple, on ne pourra dire « j’ai atteint la résilience », mais plutôt « j’ai vécu un processus de résilience » qui m’a conduit à traverser une crise. Il existerait quatre phases dans le processus de résilience.
La première consiste en la perte de sens. Devant l’imprévisibilité et la soudaineté de la crise, ce qui apparaissait comme des fondations solides est ébranlé. Tout s’emmêle, les certitudes s’effacent pour laisser un certain chaos. La perte de sens affecte l’efficacité de la personne, ses raisonnements, son positionnement dans le monde et sa vie personnelle.
La deuxième phase est celle de la déconstruction – reconstruction du sens. Certains individus vont tenter de s’accrocher à ce qui faisait sens « avant ». La plupart du temps, les fondations sont trop fragiles pour garantir les anciennes significations. D’autres vont plutôt se mettre à chercher ailleurs, dans d’autres directions. Au cours de cette phase, la motivation et l’efficacité personnelles peuvent soit s’étioler et rendre la personne moins fonctionnelle, soit au contraire lui servir de moteur pour stimuler ses ressources individuelles et l’entraîner vers un nouvel équilibre. C’est une période chargée en émotions quand tout semble s’écrouler. Il y a quête de sens, parfois parce qu’il n’est plus possible de le voir, parfois pour en voir naître un nouveau.
La troisième phase est l’émergence d’un scénario. Trois types de scénarios sont possibles : l’effondrement, la résilience de type 1 ou la résilience de type 2.
- L’effondrement survient chez les personnes qui n’ont pu trouver un sens porteur et qui ont tendance à éviter le réel. Celles-ci perdent leur efficacité et se trouvent dans une sorte de trou duquel elles ne trouvent pas à sortir.
- La résilience de type 1 se manifeste lorsqu’une personne met en œuvre les aptitudes à retrouver un certain équilibre qui s’approche de celui qui existait avant le choc. Même si le traumatisme a été important, il n’a pas causé de rupture fondamentale entre ce la situation d’avant et celle qui en est résulté. C’est cette forme de résilience que l’on rencontre le plus souvent.
- La résilience de type 2 marque un saut qualitatif, une rupture entre l’avant et l’après. La personne a mobilisé les énergies nécessaires à la recomposition d’un nouvel équilibre dont la plupart des repères ont dû être refondés tandis que les anciens ont dû être abandonnés.
Ce n’est qu’à la quatrième phase que l’équilibre ancien ou nouveau deviendra la nouvelle « normalité ». La crise est traversée, elle laisse des séquelles, mais celles-ci font partie de l’expérience et des apprentissages.
Certaines personnes ne se sortiront jamais vraiment d’une crise. Nous parlerons alors du syndrome du choc post-traumatique qui s’installe de manière permanente. Nous connaissons les exemples des soldats qui reviennent de situations où ils ont été confrontés à la guerre, aux violences de toutes sortes. Pour certains, la douleur a été trop forte et quelque chose s’est cassé. Cela peut se produire pour n’importe qui : un enfant face à la violence d’un parent ou ayant vécu des agressions sexuelles en bas âge et on parlera de psychose infantile; un policier spécialisé en sécurité informatique affecté aux enquêtes de pédophilie et dont la seule vue d’un ordinateur le rendra angoissé; etc. Parfois, le suicide est l’unique geste perçu comme « faisant sens » à ces personnes traumatisées.
Pour d’autres, la crise aura été un déclencheur. Elle engage la personne dans un changement. Il y a d’abord la situation traumatisante et il y a l’après. Lorsqu’elle est plongée au cœur de la crise, elle ne voit pas d’horizon, tout est embrouillé. Elle fait des choix qui peuvent l’aider à s’en sortir ou au contraire à s’y enfoncer.
Quand la crise cesse (d’elle-même ou par le fait des actions mises en œuvre), elle laissera la personne avec un « avant » et un « après ». Ce que la personne était avant risque de ne plus jamais être tel quel après. Dans ce domaine, les chercheurs ont identifié deux types de changements possibles :
- Le changement de type 1 : il consiste à reprendre ses marques, à retrouver ses repères. Il y a des choses qui ne sont plus comme avant et qui ne reviendront jamais, mais dans l’ensemble la personne demeure la même et a pu conserver l’essentiel de ce qui la situait dans l’existence. Si c’est un sinistre naturel, par exemple, il y aura des dommages matériels, possiblement d’autres pertes, mais une fois les réparations effectuées, les choses retrouvent une certaine normalité même si la peur que l’événement se reproduise se représente dès que les signes avant-coureurs de la crise semblent se manifester. On pourrait dire que la crise a entraîné une évolution.
- Le changement de type 2 : c’est lorsque la plupart des repères de l’avant ont disparu. Il peut s’agir de la perte d’un être cher, de sa maison, son travail, mais plus encore d’une guerre qui affecte directement la famille, le quartier, etc. Cela peut être plus grave pour les individus, surtout si cela affecte plus profondément le psychisme. En général, il faut une « reconfiguration » de son environnement et de ses propres attitudes pour que ce changement devienne la nouvelle normalité. Dans ce cas-ci on parlerait plutôt d’une révolution par rapport à l’ancienne réalité.
Face à ces deux types de changements, nous pouvons avoir des attitudes négatives ou positives. Le changement est toujours subi! Le changement nous provoque et il nous revient de choisir ce qu’on en fera, dans la mesure où nous disposons des ressources pour la résilience.
Si on fait l’équation entre les deux types de changements et les deux types de résiliences, nous saisissons qu’une personne vivant un scénario de résilience de type 1 (repères retrouvés) vivra un changement de type 1 (évolution). Mais elle ne disposera pas de la capacité de vivre le changement de type 2 (révolution). La personne en processus de résilience de type 2 (nouveaux repères) peut assumer un changement de type 1 ou de type 2. Elle peut soit reprendre l’existence d’avant avec quelques différences sensibles ou encore plonger dans quelque chose d’inconnu et d’y trouver un sens porteur de vie nouvelle. Dans les deux cas, elle se verra acquérir de nouvelles ressources internes qui la rendront plus forte et généralement plus apte à se saisir de cette expérience pour en partager les fruits.
Des éléments-clés qui contribuent à la résilience des individus
Selon Pascale Brillon, directrice du Laboratoire de recherche trauma et résilience[ii], il y a plusieurs attitudes qui peuvent aider à se relever d’un traumatisme : « Les études montrent que la résilience est corrélée à la souplesse (émotionnelle et cognitive), un brin de positivisme réaliste et une capacité à faire face aux événements douloureux de façon calme, mais proactive. » Elle présente aussi huit attitudes qui peuvent être « travaillées » en vue de traverser plus efficacement certaines situations, en particulier le confinement que nous subissons collectivement. Nous les résumons ainsi :
- Croire en ses forces : l’être humain possède une grande capacité d’adaptation. C’est beau de le dire, mais encore faut-il cultiver cette conviction pour soi-même. Le fait de se rappeler qu’on a déjà traversé des épreuves et qu’on s’en est sorti constitue une base de confiance pour la crise en cours.
- Se rappeler que l’épreuve est temporaire : aimer que les choses soient claires et stables est normal, mais il est important de savoir aussi tolérer l’incertitude. Ne pas savoir n’est pas un drame si on parvient à laisser du temps au temps.
- Faire confiance à soi-même et aux experts qui nous orientent sur les actions à poser : même si parfois les messages sont contradictoires, il y a une confiance à accorder au fait que si tout le monde veut sortir d’une crise, certaines personnes ont des compétences plus fines pour trouver les solutions qui conviennent le mieux.
- S’en tenir aux faits : devant l’ampleur d’une situation comme la pandémie que nous vivons en 2020, les informations douteuses pullulent. Il est facile de se laisser emporter par des affirmations qui ne sont pas soutenues par des validations et de se mettre à suspecter ce qui ne le devrait pas. Cela ne peut qu’engendrer plus de sentiments d’anxiété et d’angoisse.
- Agir sur les éléments qu’il est possible de contrôler : chacun.e à son niveau, il est possible d’identifier ce sur quoi on a un certain pouvoir. Par exemple, il est toujours possible de s’alimenter, de vivre en sécurité, de trouver du soutien, d’avoir des relations avec les autres via des moyens divers. Tout n’est pas hors de contrôle et ce qui nous échappe ne peut être changé par nos propres moyens, alors cela implique un certain lâcher-prise.
- Reconnaître ses émotions et réagir avec bienveillance envers soi-même : quiconque est plongé dans une situation qui la rend vulnérable doit jongler avec des émotions qui peuvent affecter son jugement. Devant certains excès émotifs, se donner du temps pour respirer et prendre de la distance peut permettre de mieux comprendre ses réactions et se les pardonner, point de départ pour de nouvelles attitudes.
- Prendre soin de soi et des autres : tous ont à s’ajuster aux règles nouvelles qui se définissent de semaine en semaine. Qu’il s’agisse de quarantaine, de distanciation, de port de masques, de télétravail ou autre, la souplesse est nécessaire. Si c’est parfois difficile pour soi-même, il est important de regarder aussi du côté des autres qui peuvent être plus éprouvés encore et de s’entraider. Le regard porté sur les besoins des autres peut aider à être soi-même proactif dans l’épreuve.
- S’entourer de personnes orientées vers des idées et des actions positives : dans toute tragédie, il y a toujours des clans qui se forment, entre les plus positifs qui veulent passer à autre chose rapidement et les plus négatifs qui s’enfoncent souvent dans la colère et le dénigrement des responsables. C’est un choix d’alliance qu’il est possible de faire en vue de demeurer debout dans l’adversité plutôt que de renvoyer toute responsabilité aux autres.
Ces éléments-clés d’une experte de la résilience peuvent être complétés par ce que le Dr Dennis Charney appelle « les dix facteurs de résilience ou de protection » [iii].
Selon ce spécialiste, il existe des facteurs qui permettent la résilience et qui gagnent à être développés dans nos vies personnelles. À part le premier qui est aussi présent dans la liste de Pascale Brillon, les autres nous permettent d’aller plus loin et peut-être de rejoindre la situation vécue par les personnes au sein de l’Église catholique du Québec pour lesquelles la pandémie et les mesures sanitaires s’ajoutent au traumatisme subi par les dévoilements successifs d’abus de toutes sortes. Le Dr Charney identifier ces 10 facteurs de la façon suivante :
- L’optimisme. Un verre est à demi-plein ou à demi-vide! La manière avec laquelle on considère le réel va influencer les réactions et la résolution de problèmes.
- Le sens de la moralité. Quand les repères semblent bousculés, il est important de retrouver ses propres cadres moraux pour éviter de faire n’importe quoi dont les conséquences pourraient être à long terme.
- La spiritualité. Combien de gens ont-ils partagé que c’est dans les moments critiques que la foi les a sauvés? La spiritualité est aujourd’hui multiforme, mais elle procure aux êtres un horizon de sens que la crise peut affecter, mais le propre de la vie spirituelle est d’être en mouvement plutôt que statique. Elle peut ainsi aider à « danser » avec la crise plutôt que de simplement vouloir l’éradiquer.
- L’humour. Alléger un peu l’atmosphère ne peut jamais faire de tort. Et une bonne dose d’autodérision contribue à enlever aux événements extérieurs une certaine emprise sur sa propre vie.
- Le fait d’avoir un modèle. En toute situation de crise, il peut être rassurant de considérer ce que d’autres ont fait en pareilles circonstances. Ceux et celles qui se sont sortis d’épreuves difficiles deviennent des modèles à imiter, non pas tant pour les solutions trouvées que pour les processus qui les ont menés aux solutions.
- Le soutien social. Il a été démontré que le fait de ne pas être seul et d’avoir du soutien de la part de proches ou même de la part d’inconnus peut favoriser la sortie du tunnel. Les personnes les plus isolées sont celles qui sont le plus à risque.
- La capacité de faire face à sa peur. Toute situation qui fait plonger dans l’inconnu est source d’anxiété. Se sentir effrayé est normal, mais demeurer paralysé démontre un manque de ressources internes. Plus on fait face à ses peurs, plus on est outillé pour la prochaine grande peur!
- Le fait d’avoir une mission. Les gens qui se sentent utiles et qui investissent leur « vocation » trouveront plus facilement à rebondir lorsqu’un chambardement survient dans leur vie. Être en mission, c’est être sollicité par les autres qui ont besoin d’être rassurés et cela peut donner un sentiment de mieux « surfer » sur les vagues au cœur de la tempête.
- Le fait de garder la forme physique. Une personne en santé et qui prend soin de son corps est déjà en mode de « contrôle » sur son propre vieillissement et sur d’éventuelles pertes. Il s’agit d’une attitude proactive qui prend toute sa place au cœur d’une situation qui nécessite une bonne dose d’énergie.
- Le fait de garder son cerveau occupé. Dans la même veine, les gens qui font travailleur leur ressources cognitives vont se garder plus alertes et sans doute mieux outillées pour réfléchir aux solutions lorsque tout semble s’écrouler.
On le voit, ces « éléments-clés » et ces « facteurs » favorisant la résilience devraient faire l’objet de renforcements tout au long de sa vie. Car s’il existe une certitude, c’est bien qu’un jour ou l’autre surviendra une crise plus ou moins grave. Sans l’appréhender de manière obsessive, il est impératif de s’y préparer sereinement.
Texte écrit dans le cadre d’une journée de rassemblement pour les personnes exerçant un rôle de leadership dans l’Église catholique au Saguenay-Lac-Saint-Jean, septembre 2020.
[i] Inspiré en partie de G. Koninckx et G. Teneau, Résilience organisationnelle, Rebondir face aux turbulences.
[ii] Pascale Brillon. (13 mars 2020). Maximisons notre résilience. La Presse+. https://plus.lapresse.ca/screens/3357303d-2424-4d80-b6b5-4039c6d4b1c6__7C___0.html
[iii] Sonia Lupien. (2 avril 2020). 10 facteurs pour développer sa résilience face à l’adversité [chronique radiophonique]. Pénélope. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/penelope/segments/chronique/162468/commentaugmenter-resilience-sonia-lupien-covid-19
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