L’ami d’une amie vient de se suicider. Comme tant d’autres avant lui il avait tout, selon nos barèmes : famille, amis, travail, salaire, maison, chalet, loisirs et tout ce que la vie moderne peut apporter de confort. Mais il s’est suicidé en laissant tous ses proches dans la peine et l’incompréhension.
Le Québec est parmi les meneurs mondiaux au chapitre des suicides : chaque jour, trois personnes s’enlèvent la vie.
Autrefois, alors que le niveau de vie des gens d’ici était plus modeste, voire précaire, le suicide était une rareté, un peu comme maintenant en certaines régions d’Afrique ou à Haïti. Bien sûr, avec la peur de l’enfer fortement cultivée, décider de mettre fin à sa vie comportait un certain risque, celui de ne pas pouvoir être accueilli au ciel ! Mais le ciel semble avoir perdu passablement de points parmi les motivations de rester en vie…
N’y a-t-il pas quelque chose dans l’air qui conduit à une croyance tranquille en l’au-delà ? Les gens meurent, on se dépêche de tout boucler et on se réconforte à l’idée qu’ils sont mieux qu’avant. Le travail du deuil est réduit grâce à un retour rapide à ses habitudes quotidiennes, à son confort grisant, distrayant.
Peut-être avons-nous trop bien intégré l’une des expressions de Jésus : « Le royaume de Dieu est au milieu de vous » (cf. Luc 17, 21). Notre désir d’éternité ne serait-il pas confondu avec la sensation de bien-être qu’il nous arrive parfois? Le confort de nos maisons, de nos voitures, de nos résidences secondaires, de nos lieux de travail, etc. aurait-il pour effet de nous enivrer ? Comme le clochard, saoul à longueur de jour, ne risquons-nous pas de nous engourdir face à la dureté de la vie ? Arrivons-nous à espérer encore en quelque chose de plus désirable que nous désignons la vie éternelle ?
Jésus a voulu montrer que l’éternité de Dieu s’est rendue présente en lui, dans la contingence de notre vie humaine. Depuis qu’il est ressuscité, lorsque nous goûtons à ces instants d’éternité, c’est comme si le Christ lui-même venait de passer, telle une brise légère (cf. 1 Rois 19). Ce genre de « présence » ne se crée pas, ni ne s’invente. Or, en la confondant avec le confort, la santé ou le bien-être, nous en venons à croire que nous sommes parvenus à assembler dans notre vie tous les morceaux qui suffisent à nous rendre heureux.
Mais nous le ne sommes pas autant que nous le devrions, pas assez pour ne pas souffrir. Cette souffrance intérieure, le plus souvent cachée, nous gangrène l’esprit et nous fait aspirer à la fin de cette vie. La personne veut cesser de souffrir. Elle se suicide par manque de choix, quand elle a atteint la limite de ce qui lui est supportable.
En supprimant tout désir d’éternité de notre vie, nous faisons de la « vie éternelle » un mythe apaisant. Nous aimons y voir nos proches défunts sans oser nous interroger sur la vérité d’une telle croyance. Mais qu’on ne s’y méprenne pas, l’éternité est un don du Dieu de la vie, un don que l’on peut cueillir dès à présent.
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* Il s’agit de mon 38e article de la série “En quête de foi”, publié dans l’édition de juin 2016 du Messager de Saint-Antoine. L’objectif de cette série est d’explorer les éléments de la tradition chrétienne dont les traces sont toujours perceptibles dans la culture actuelle. Les destinataires de cette série sont des gens bien enracinés dans l’Église catholique.
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