Réponse à M. Jean-Paul Simard
Cher Jean-Paul, j’ai une grande admiration pour l’homme que vous êtes et je me considère plutôt dans une relation respectueuse et amicale avec vous. C’est dans cet esprit que je me permets une réplique à votre propos publié dans le journal Le Quotidien du 9 janvier 2015 et sur votre mur Facebook.
Vous utilisez l’expression « islamisation par le terrorisme ». Si vous écoutez bien – comme je vous l’ai déjà suggéré en vous fournissant même des références – la forte majorité des voix musulmanes qui se sont exprimées à chacune des occasions où les terroristes islamistes ont frappé (dont voici un exemple local), vous ne pouvez pas avancer cette thèse. Il ne s’agit pas d’une islamisation, mais bien d’une « terrorisation » au nom d’une idéologie de puissance et de peur que les terroristes associent à une certaine acception de l’islam. Il serait donc plus juste de ne pas tomber si facilement dans l’amalgame. Ce n’est pas parce qu’un endoctriné crie « Allah Akbar » (« Dieu est le plus grand ») en assassinant des vies au hasard ou en ciblant ses victimes, qu’il peut sans discernement être associé à l’islam en tant que religion. Et rappelons-nous toujours que ce sont surtout des musulmans qui sont tués par centaines de milliers en Afrique (cf. Boko Haram) et au Moyen-Orient au nom de cette « terrorisation » beaucoup plus proche du nazisme que de la religion. Personnellement, je ne crains pas l’islamisation ni le djihad tel qu’il est compris par l’ensemble des musulmans, à savoir « faire de soi une meilleure personne ». Je crains plutôt la haine sous toutes ses formes qui peut s’exprimer par n’importe quel humain sous couvert de n’importe quelle justification idéologique ou religieuse. C’est la haine qu’il faut combattre et non la religion « des autres », même de ceux et celles que nous accueillons.
Trop accueillants?
Revenons sur ce thème de l’accueil. Vous parlez de « l’idéologie » de la « terre d’accueil ». Vous savez pourtant que cette exigence traverse la Bible et les valeurs chrétiennes auxquelles vous vous associez tout comme moi par ailleurs. Dès la Genèse, avec Abraham, par exemple, l’accueil de l’étranger et l’hospitalité sont élevés au rang de vertus. Abraham montre même qu’il faut voir dans l’étranger la présence de Dieu lui-même. Si vous en faites une idéologie, vous niez par le fait même que ces valeurs sont profondément ancrées dans l’histoire judéo-chrétienne et celle de notre civilisation… Le problème réel avec l’accueil n’est pas d’avoir accueilli des étrangers à une époque ou l’autre. Pour la France, par exemple, on compte encore trop de mauvaises expériences d’intégration. Ce ne sont pas les citoyens de première vague qui prennent les armes contre leur société d’accueil, ce sont ceux de deuxième et de troisième génération! N’y voyez-vous pas un signe que l’accueil a été jusque-là défaillant? Que la déception et la colère ont fini par affecter les enfants et les petits-enfants? Il faut chercher les causes et ne pas s’arrêter aux symptômes. Je vous connais trop brillant pour ne pas chercher à approfondir. Et parmi les causes, il faudra bien un jour que nous fassions notre examen de conscience. La colonisation européenne et l’impérialisme américain auquel le Canada participe allègrement sont, pour l’essentiel, responsables de l’état actuel du monde et de la frustration grandissante des populations dominées par nos ambitions économiques et notre idée d’un « ordre mondial » à notre image. Ce sont nos politiques qui ont écrasé ces populations en conditionnant chez eux un désir de révolte. L’extrémisme actuel trouve sa source dans les inégalités économiques et l’arrogance géopolitique de l’Occident.
Et qui, au Québec et à Ottawa, s’est fait la main meurtrière d’un « islam radical »? Des Algériens ou des Yéménites? Pas du tout… Ce sont des citoyens d’ici, nés ici, devenus perméables à des thèses erronées sur Dieu telles qu’elles s’expriment largement par des aliénés d’une religion sanguinaire qui est autre que l’islam. Il y a là aussi réflexion à mener sur le vide spirituel qui peut conduire des jeunes adultes à des attitudes violentes et meurtrières envers leurs pairs au nom d’une certaine idée de la religion embrassée, quelle qu’elle soit.
L’expansionnisme religieux
Vous prétendez savoir qu’un nombre indéfini de « modérés » rêveraient de voir se réaliser ici l’expansionnisme de l’islam. Scrutez donc au fond de vous-même. N’avez-vous jamais fait ce rêve d’une terre entière devenue chrétienne? Ne l’avez-vous pas chanté dans vos assemblées dominicales? N’avez-vous pas soutenu nos missionnaires à l’étranger? Le prosélytisme est inhérent à la religion. La leur comme la nôtre. Nous nous réjouissons à chaque fois qu’une personne se convertit à la nôtre. Il en est de même pour eux. Et il en est de même également pour un athée qui convainc un croyant de l’absurdité de sa foi! Ce n’est donc pas un argument pour justifier un regard réprobateur adressé aux musulmans. Il y a des attitudes antireligieuses partout dans le monde: d’une religion envers une autre; de laïcs militants envers toutes les religions. Et les chrétiens ne sont pas à l’abri de persécutions. Jésus lui-même en a averti ses disciples! Même en cessant d’être chrétiens, nous ne serions pas à l’abri de « l’humanophobie », car le monde est ainsi fait que la différence de l’autre est potentiellement une agression contre la nôtre, et vice-versa.
Vous craignez le « métissage général ». Mais ne voyez-vous pas que notre pays est déjà une mosaïque culturelle? Sur un plan canadien, en commençant par les premières nations que nous avons spoliées et exploitées, nous retrouvons les européens anglo-saxons et français, ceux de l’est ou du pourtour méditerranéen, et les asiatiques qui arrivent par milliers, etc. Vous ne pouvez pas ne pas les considérer comme des citoyens à part entière. Ils sont Canadiens ou Québécois selon la perspective que nous retenons. Notre société s’est enrichie de ces diverses cultures accueillies puis intégrées le plus souvent en nous changeant nous-mêmes, en nous « améliorant »!
Pour une civilisation de l’amour
Venons-en maintenant à votre solution. Vous n’envisagez que l’amour inconditionnel. C’est le terrain où nous nous rejoignons. Mais l’amour inconditionnel n’attend rien de l’autre. Il n’exige pas la réciprocité, au contraire (cf. le Bon samaritain). Jésus ne demande pas de nous en tenir à l’amour de nos proches. Il demande d’aimer nos ennemis, de les aimer assez pour qu’ils puissent agir librement, au risque de notre propre perte! Si nous voulons vivre en tant que disciples du Christ, il nous faut embrasser le risque de la croix. Croire, espérer, aimer, comme vous dites, peut avoir des conséquences pour notre vie. La solution est effectivement l’amour inconditionnel. Nous faire les « prochains » des musulmans d’ici et leur tendre la main pour une fraternité inclusive est l’unique avenir possible ici comme ailleurs. Ainsi, plutôt que de nous perdre en tant que peuple, nous nous sauverons peut-être en réalisant quelque chose de la civilisation de l’amour…
Comment réagissez-vous ?