Depuis l’affaire Ghomeshi et jusqu’à peu, il ne s’est pas passé une heure, sur mes différents fils de réseaux sociaux ou dans d’autres médias, sans qu’une femme surgisse de mes abonnées ou amies ou connaissances et se mette à exprimer ou raconter qu’elle « en est », elle aussi. Je vois passer ces témoignages d’intimidations, d’abus, d’agressions, de viols que je lis ou écoute avec la gorge nouée, les yeux parfois mouillés. Incapable de commenter ou de dire quoi que ce soit, je me contente d’un +1, d’un pouce en l’air ou d’une étoile! Parfois je retweete ou je partage, mais je ne sais même pas si c’est ce qu’il faut faire. Oui, comment faut-il nous comporter, nous hommes, devant ce phénomène collectif à l’ampleur insoupçonnée? Certains s’y sont essayés en se trompant plus souvent qu’autrement.
J’ai appris non sans difficultés, avec Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus, qu’une femme qui exprime sa détresse, sa souffrance, ses états d’âme même, a simplement besoin qu’on l’écoute. Combien de fois je me suis fait dire: « Je ne veux pas que tu me trouves une solution, je veux juste que tu entendes ce que j’ai à dire! » Et ensuite de me reprendre et de me taire.
C’est ce qu’il faut faire, nous les hommes: nous taire. Mais pendant que nous nous taisons d’un silence respectueux, d’un non-dit rempli de tendresse, d’une pause de mots vides, mais d’attitudes justes, nous pouvons nous mettre ensemble et parler entre nous. C’est ce que je crois devoir faire, à ce moment-ci.
Pendant que je me tais du côté des femmes, je parlerai donc aux hommes, à mes semblables.
Nos histoires à nous
Très tôt à l’adolescence, j’ai été attiré par les « filles ». C’est normal, c’est important, c’est même rassurant pour certains. Très tôt également, le désir sexuel m’a pris au ventre. Je voulais connaître l’amour que je confondais certainement un peu (ou totalement) avec le sexe. Je me rappelle, à 14 ans, avec une fille de 15 (quelle conquête!), durant un de ces moments où la seule chose à faire ensemble est de s’embrasser sans arrêt, des heures durant! Parce qu’on ne sait pas quoi dire, parce qu’on n’a rien à dire, qu’il faut bien combler le temps et qu’on a les hormones dans le plafond! Un peu éreinté en raison de la posture que j’avais endurée trop longtemps, j’ai eu un geste de relever le bras droit vers l’épaule de ma copine. Je ne voulais rien faire d’autre, mais elle a vu autre chose, elle a cru que j’allais poser ma main sur son sein (je crois). Elle a eu un réflexe. Elle m’a saisi le poignet et l’a repoussé vivement en disant: « Non! Tu me toucheras pas! » N’ayant pas compris sa réaction, j’ai bien tenté d’expliquer que ce n’était pas mon intention (hum… sauf si… non, non, vraiment) mais rien n’a pu la convaincre. Notre petite soirée était terminée. Terminée aussi pour son amie et le mien qui étaient dans l’autre coin noir du sous-sol! Notre histoire d’amour ne s’est pas poursuivie…
Pendant longtemps j’ai été traumatisé par ce « non ». J’ai cherché à la revoir, à lui expliquer de nouveau, mais quelque chose avait été brisé. Pas de retour en arrière. Les années qui ont suivi m’ont amené à réfléchir sur la notion de consentement. J’en étais si marqué que je devais paraître complètement idiot lorsque venait le temps de demander à une fille et plus tard à une jeune femme si elle voulait « commencer une relation privilégiée » avec moi! Je me rappelle des expressions sur les visages de l’une comme l’autre à la suite d’une demande aussi inattendue alors qu’un simple « veux-tu sortir avec moi » aurait suffi… Que de malaises vécus juste à chercher le mode d’emploi! Et tant de relations qui n’ont, finalement, jamais commencées…
Ce n’est qu’à 20 ans que j’ai pu enfin trouver une jeune femme qui s’est montrée touchée par ma grande fragilité à demander… Et ce fut une belle histoire d’amour qui débuta. J’étais un jeune homme respectueux et bien décidé à la patience, mais le désir de ma compagne avait tôt fait de me décider à passer à l’acte! Visiblement, elle avait déjà une certaine expérience. Mais quelque chose n’allait pas. À chaque fois, à un certain moment, je sentais un malaise, quelque chose qui ne s’exprime pas mais qui est dans l’air. J’ai cru deviner qu’il n’y avait pas que des souvenirs heureux et que certains gestes de ma part pouvaient faire que son corps se remémorait et se crispait. Aujourd’hui, je crois bien qu’elle ferait partie de ces femmes qui disent tout haut ce qui était coincé quelque part au fond de leur être.
Ma seule autre expérience amoureuse est celle que je vis toujours avec la femme que j’ai épousée à 22 ans. Avec elle, tout semblait parfait (au lit, je veux dire). Tout, sauf lorsqu’elle dormait! Vous savez bien, vous les hommes, comme il est bon d’arriver dans un lit déjà chauffé et de se coller tout doucement contre l’être aimé! Pour moi, c’était à mes risques et périls! À chaque fois que mon bras se posait sur ses hanches, même dans la plus grande douceur, je recevais un coup ou bien mon poignet en sortait marqué. Pour elle, c’était donc durant son sommeil que ça s’était passé… Et depuis qu’elle dormait toutes les nuits avec un homme, son corps s’était mis à réagir aussi lorsqu’elle était éveillée. Combien de fois me fallut-il renoncer à mes envies non pas parce que ce n’était pas le bon moment, ni la bonne façon, mais simplement parce que le corps se fermait à toute sensation? Et ce fut donc un long apprentissage du respect, des limites réelles dans le non-dit, avec aussi des transgressions de ma part ou des détours pour y arriver quand même, parce que j’étais un homme et qu’un homme en veut toujours…
L’amour plutôt que le pouvoir
Il est probable que toutes les histoires qui nous sont racontées ces temps-ci où l’on comprend que des gars comme nous, peut-être nous-mêmes, se font révéler en pleine face comment ils n’ont pas été à la hauteur de ce qu’un homme doit faire dans le cadre d’une relation homme-femme au XXIe siècle, s’avère la meilleure thérapie collective qui nous soit offerte afin de trouver un nouveau sens à notre masculinité.
Il est temps de prendre conscience que nous ne sommes plus à l’époque lointaine où la femme était comptée parmi nos possessions; que nous ne sommes plus à l’époque des courtisans qui voyaient dans le refus d’une dame une invitation à la conquête; et que tous les moyens à notre disposition aujourd’hui – notre force physique, l’attrait que nous exerçons, nos positions de pouvoir, nos avances insistantes, nos drogues (!) et même l’amour que l’autre nous porte – ne doivent jamais nous permettre de transgresser la puissance d’un « non », qu’il soit dit par la bouche, par une attitude de refus ou ultimement par un corps qui se braque.
J’ai appris à cesser d’être macho, après des essais et erreurs, mais surtout beaucoup d’amour. J’y ai gagné l’amour incessant d’une femme qui me comble depuis plus de 30 ans. Je ne crois pas qu’il y ait quelque chose de plus grand que d’être aimé jour après jour par la même femme, celle qui nous connaît sous tous nos mauvais plis et toutes nos grandeurs. Être aimé jusqu’au bout, là est le bonheur de l’homme, quand il a appris lui-même à aimer et à respecter sa propre femme. Voilà ce que j’avais à dire à mes frères masculins.
Comment réagissez-vous ?