
Ce mur qui s’élève jusqu’à 10 m de haut, érigé progressivement depuis 2004 sur plus de 700 km pour séparer les frontières de l’État d’Israël et de ses colonies qui s’étendent dans les territoires occupés de Cisjordanie, est certes l’un des plus grands scandales de notre temps. Si l’intention du gouvernement israélien de protéger sa population est totalement légitime, le moyen de ce mur comporte des conséquences inacceptables en brimant de manière irréfutable des droits fondamentaux, comme l’accès à la nourriture, au travail, à l’éducation et à la libre circulation. Ce sont des milliers de familles palestiniennes qui en sont affectées dans leur quotidien et qui paient le prix pour quelques groupes terroristes qui s’opposent à la puissance occupante par la violence.
Alors qu’il réalise sa visite au Proche-Orient pour se rendre aux différents lieux saints du christianisme, le pape François, en ce 25 mai 2014, se dirige en voiture ouverte de Bethléem vers un camp de réfugiés. Sur cet itinéraire, nul ne peut rester insensible à l’immense « barrière de séparation » qui longe la route. Soudainement, François fait arrêter le cortège. La scène a de quoi troubler: il descend du véhicule et se rend, sous les yeux étonnés de la foule, des agents de sécurité et dans la ligne de mire des soldats israéliens postés dans le mirador à proximité, pour toucher le mur et y poser son front, dans un silence émouvant.
Politique ou religieux?

Le pape François a sans cesse réitéré que sa visite n’avait rien de politique, qu’elle n’était que religieuse. Mais il y a quelque chose qui n’est pas beaucoup diffusé par rapport à l’endroit exact où il s’est arrêté. Un graffiti récent lui était directement destiné : « Pope we need someone to speak about justice Bethlehem look like Warsaw Ghetto » (« Pape, nous avons besoin de quelqu’un pour parler de la justice, Bethléem ressemble au ghetto de Varsovie »). C’est sous ce graffiti que François est allé prier en silence. Son geste, à cet endroit précis, parle plus fort qu’un discours politique, mais n’est-ce pas quand même un acte à caractère politique?
Les religions juive, chrétienne et musulmane ont ceci en commun qu’elles ne peuvent envisager de séparation entre leur relation à Dieu et leur vie concrète. Le Dieu du Livre est un Dieu engagé dans l’histoire. Il veut la justice et la paix pour tous les humains. Parler de la justice peut très bien se fondre dans une attitude révérencieuse envers ce Dieu qui réprouve toute domination de l’homme par l’homme. Dès que des peuples se jettent l’un contre l’autre avec une intention malveillante, le Dieu d’Abraham ne cesse de susciter en ses enfants une conversion et un éveil. Conversion pour que la paix soit plus importante que la haine, pour que la justice soit plus urgente à instaurer et à faire respecter que toute velléité de puissance et de domination. Éveil aussi pour que des êtres humains animés d’un feu intérieur se lèvent et donnent à leur quête spirituelle des bras et des mains pour mettre en oeuvre la justice et la paix.
Avec Jésus, « le dieu de la nation » ou « le dieu d’une religion en particulier » n’existe plus. Ne subsiste que « le Père de tous ». Un père ou une mère ne veut que le bien de ses enfants, de tous ses enfants! Et ce qu’il voit, ce Père céleste, c’est la séparation qui nous éloigne, c’est la haine qui nous divise et qu’on ne cesse d’aggraver partout sur la terre. C’est la désespérance qui se transforme si souvent en incidents violents et meurtriers. Pour le pape François, le geste posé sur ce mur est religieux (il est allé prier), mais les conséquences sont politiques, car il est de cette foi qui ne supporte pas que l’injustice règne en notre monde. Je trouve une sorte de confirmation de ceci dans la lecture de l’Évangile du jour: « Et même, l’heure vient où tous ceux qui vous tueront s’imagineront qu’ils rendent un culte à Dieu. Ils feront cela parce qu’ils n’ont connu ni le Père ni moi. » (Jean 16, 2-3) Connaître le Père – et donc le Dieu commun aux trois religions monothéistes – , c’est ne plus jamais croire qu’il puisse se réjouir du sacrifice d’un seul être humain. Connaître le Père, c’est se résoudre inlassablement à faire grandir l’amour entre les humains, c’est ne jamais renoncer à la paix.

Le pape François, en quelques minutes, a su attirer l’attention sur la volonté unique du vrai Dieu pour que le monde vive: l’interpellation adressée à tous ses enfants pour qu’ils cherchent et réalisent la justice et la paix. Et cette volonté ne peut passer que par des engagements politiques fermes. Voilà le message que je comprends. Ainsi, tous les murs que nous érigeons ne seront jamais que les signes de nos échecs les plus lamentables à réaliser le projet divin d’une humanité réconciliée.
Comment réagissez-vous ?