
Il y a différentes manières de vivre comme il y a divers types de personnalités. Les adultes généralement équilibrés ont ceci de particulier qu’ils n’aiment pas être pris pour d’autres qu’eux-mêmes, ni se voir affubler d’une étiquette de « catégorie ». Un jeune adulte, récemment, me faisait part d’un article diffusé largement sur les réseaux sociaux dans lequel l’auteur décrivait trois types fondamentaux de personnalités selon qu’on arrive dans une famille en étant l’aîné, le cadet ou le benjamin. Il me disait: « C’est frustrant! On pense avoir bâti sa personnalité, ses préférences, sa manière de se comporter et dans un petit paragraphe quelqu’un te décrit comme s’il t’avait fréquenté toute ta vie! » Il n’a vraiment pas aimé…
Le moule des pratiques uniformes
Il n’y a pas si longtemps, l’Église « enseignante », celle des clercs, avait mis des étiquettes sur les fidèles. Cette catégorisation les mettait en permanence du côté de l’Église « enseignée ». La seule passerelle possible était la « vocation ». On était donc soit de l’une, soit de l’autre. Mais, surtout, la première avait assemblé un « kit » de pratiques et de rites identiques pour tous les fidèles sans exception. Il en était ainsi pour le dimanche: un bon catholique se devait d’aller à la messe, non sans avoir d’abord passé par le bain et mis ses habits réservés; en s’assurant que son estomac était vide pour laisser toute la place à l’hostie sacrée. Le fidèle devait aussi être exempt de péché mortel sinon, avant la communion, il devait passer par le confessionnal. De telles pratiques, standardisées à outrance, étaient particulièrement indiquées pour les « temps forts » de l’année, en particulier l’Avent et le Carême. Pour ce dernier, après le mardi-gras où (presque) tous les excès étaient tolérés, le lendemain marquait le temps de la retenue qui allait durer 40 jours. En plus des vendredis, le Mercredi des Cendres était un jour de maigre jeûne: pas de viande ni boissons alcoolisées ni autre plaisir! L’interdit d’alcool valait pour les adultes tout au long du Carême alors que petits et grands se voyaient privés de dessert. Même discipline pour tous! Les fidèles étaient aussi tenus de « faire leurs pâques » qui incluait l’obligation de se confesser. Il est donc facile d’imaginer la fête, le Samedi Saint, à midi, moment où l’on « cassait le Carême ». Nous savions qu’à peu près tout le monde avait plus ou moins manqué à son devoir, mais le plus important c’était d’avoir tenu le coup du mieux possible jusqu’à la fin.
Il y avait beaucoup de pratiques, imposées à tous et à toutes, mais, au terme du Carême, est-ce que les fidèles s’étaient rapprochés de la personne de Jésus, du mystère de sa Passion, du don de sa vie par amour infini? Possible. Mais pas certain.
Faire « son » temps fort
Il existe des cycles dans une relation amoureuse tout comme dans l’amitié. Dans une même année, il y a des temps de rapprochements, des moments de solitude, parfois des tensions génératrices d’ajustements, des reprises, des décisions. Un couple peut se donner un temps ensemble pour faire le point. Pour certains, un simple souper au restaurant suffira, alors que pour d’autres un weekend de détente ou encore une semaine au chaud sur la plage fera l’affaire. J’ai senti le besoin d’une session de huit jours, il y a quelques années. C’était « un temps fort », non pas parce qu’il arrive de manière cyclique, comme la St-Valentin ou notre anniversaire de mariage, mais surtout parce que nous avions décidé, ensemble, qu’il en serait ainsi.
Que Mercredi des Cendres tombe le 5 mars cette année, ce n’est pas cela qui fera de ce jour et des 40 suivants un temps fort. Ce le sera si je veux qu’il en soit ainsi et que j’agis conséquemment. Et cette période sera intense non pas parce que je reproduirai les pratiques traditionnelles qui peuvent être vides si je ne les investis pas de sens, mais parce que je puiserai à même le réservoir des expériences humaines celles qui pourront correspondre avec ce que je vis et ce que je suis. La Bible indique trois pistes générales pour accomplir un temps fort, soit la prière, le jeûne et l’aumône. Ces grandes sources spirituelles ont démontré leur fécondité dans la vie de milliers de personnes qui nous ont précédés. Je vous soumets une manière toute personnelle de les explorer.
On associe souvent la prière à une seule forme, celle de réciter des formules toutes faites. En réalité, la prière se nourrit du silence et de la pensée (ou de la non-pensée comme dans certaines formes de méditation). Elle est « présence » à soi, à Dieu, de Dieu! Depuis quelque temps, on trouve de plus en plus de gens sur les réseaux sociaux qui font appel à leurs relations pour avoir une pensée positive ou une prière en faveur de telle ou telle personne qui traverse une épreuve. La confiance règne à propos de la compassion qui s’exprimera de diverses manières. En ce qui me concerne, en plus de mes courtes incartades quotidiennes auprès de Dieu, je prévois marcher davantage au cours des six prochaines semaines. Quand ce sera possible, je marcherai vers le lieu de mon travail plutôt que d’utiliser la voiture. Le froid du matin peut être glacial, mais il peut aussi être rempli de l’amour chaleureux de Dieu si je lui en donne l’occasion. En marchant, je verrai les choses différemment sur mon passage et j’aurai le temps de saluer l’un ou l’autre que je croiserai. Ce sera comme un supplément de nourriture spirituelle et écologique en plus!
Pour le jeûne, je n’ai jamais été très bon… Je suis du genre à succomber facilement aux bonnes choses qui se présentent! En février, une maison de thérapie pour les personnes alcooliques a proposé un mois de sobriété solidaire. Juste un mois, alors que pour éviter la descente aux enfers, de nombreux alcooliques doivent s’abstenir toute leur vie! Ma sœur a répondu à cet appel et a jeûné d’alcool pendant tout un mois sans se douter que c’était comme… faire Carême! La privation de plaisir est associée à la maîtrise de soi dans la plupart des spiritualités. Parmi tous les plaisirs que la vie me donne de profiter, j’en ai choisi un dont je me priverai pour que le Carême me soit un temps fort. J’espère ainsi que ma vie n’en sera que plus fructueuse.
Pour l’aumône, il y a tant de causes à soutenir que c’est plutôt simple à mettre en oeuvre! Beaucoup de gens donnent à longueur d’année. Mais peu importe le moment où on le fait, donner du superflu demeure relativement facile. Le vrai sens de l’aumône est le partage qui trouve son sommet dans le don de soi-même. C’est plus « méritoire », comme on disait autrefois, de partager ce qui nous est essentiel. Avec le récent phénomène de la « smartnomination », on a vu plein de gens accepter de faire quelque chose de bien pour répondre au défi lancé par un proche. Si plusieurs ont fait un don en argent à un organisme, d’autres ont choisi de cuisiner un plat ou d’offrir de leur temps. Ces petits gestes ont leur importance non seulement pour ceux et celles à qui ils sont destinés, mais d’abord et surtout pour ceux et celles qui prennent le temps d’ouvrir leur cœur à autrui. Même si je donne déjà du temps et parfois quelques dollars à certaines œuvres, je vais m’assurer de trouver une manière originale et personnelle de donner un peu plus de moi-même, de manière totalement gratuite. D’une façon ou de l’autre, la générosité finit toujours par se retourner en notre faveur, comme dans « donnez au suivant ».
Vous l’aurez compris, je ferai Carême à partir du 5 mars, comme me le demande l’Église. Mais je me fixerai des « pratiques » qui seront, pour moi et peut-être pas pour d’autres, un dépassement de l’habituel et du standard. Et ce ne sera pas pour être plus religieux ou pour me soumettre à une quelconque prescription, mais bien plutôt parce que je sais qu’il y a un temps pour chaque chose. Et le Carême, 40 jours avant de célébrer les jours de la Passion et de la Résurrection de Jésus, peut devenir, sans trop d’effort, un véritable temps fort pour moi, et pour vous aussi, si le cœur vous en dit.
Comment réagissez-vous ?