Euthanasie: un sursaut de conscience

Vendredi dernier, je me suis présenté, en compagnie d’un collègue, au bureau de M. Stéphane Bédard, mon député et également leader parlementaire du Gouvernement et président du Conseil du Trésor, afin de l’entretenir de mes « arguments ultimes » contre l’adoption du projet de loi 52 « Mourir dans la dignité ». Je me permets ici de vous les soumettre  pour discussion. Ils ne sont pas religieux, mais tout à fait rationnels, à mon avis… Et je formule une demande spécifique que vous retrouverez en fin d’article et à laquelle je suggère que vous donniez votre appui.

Information précise?

Depuis le début des discussions sur « l’aide médicale à mourir », il semble évident que tous ne comprennent pas la même chose, d’où la nécessité d’une information précise et comprise. Les sondages montrent que les gens ne savent pas de quoi on parle. Ainsi,  67% des Québécois ne répondent pas correctement à la question « Qu’est-ce que l’aide médicale à mourir » (Ipsos, septembre 2013 ). Sur le mot « euthanasie » comme tel, 61% seulement arrivent à dire ce que c’est…

Avec cette loi telle que formulée, nous serons bientôt le seul État au monde qui détourne l’expression « soins de vie » en y incluant la mort. Même la Belgique, les Pays-Bas osent nommer les choses par leur nom (cf. Dr Yves Robert qui dit « Il faut appeler un chat un chat, l’aide médicale à mourir, c’est de l’euthanasie »). Nous allons également intégrer dans la définition des « soins de fin de vie » l’euthanasie et les soins palliatifs, c’est-à-dire deux « soins » qui ont exactement des buts contraires! La vaste majorité des médecins en soins palliatifs (88%) ne peuvent accepter cela, car c’est contraire à toute leur pratique.

Fin de vie?

Nulle part, dans le projet, on ne définit clairement le critère de la « fin de vie »? Combien de temps dure-t-elle? 15 jours… 2 ans? Sur le plan biologique, nous sommes tous plus ou moins en fin de vie, car notre mort est déjà une certitude. Mais pour une personne dont la maladie incurable et mortelle serait diagnostiquée et dont la perspective de la souffrance lui serait intolérable, sans pouvoir identifier le temps qu’il reste, n’en viendra-t-on pas à pouvoir administrer la substance mortelle à sa demande? Qu’est-ce qui garantit que la fin de vie ne durerait vraiment que les quelques jours qui précèdent la mort naturelle?

Nous ne pouvons pas non plus négliger la forte probabilité d’élargissement futur des critères. On a même déjà, dans le projet de loi amendé, prévu qu’un tiers puisse consentir au nom d’un mineur de 14 ans et plus au refus de soin (cf. article 6). Il ne reste plus qu’à ajouter, lors d’un amendement éventuel, qu’il puisse aussi le faire pour un soin de fin de vie. C’est d’ailleurs ce qui arrive en Belgique, ces jours-ci. Dans 5 ou 10 ans, les membres de ce gouvernement devront assumer aussi que cette première brèche, causée par cette loi, aura été effectivement élargie, car les procédures juridiques auxquelles nous pouvons attendre vont peu à peu la « gruger », comme pour toutes les lois.

Nos aînés ont été éduqués à se prendre en charge, à ne pas être un poids pour les autres. Nos parents en âge avancé sont systématiquement construits de cette façon: s’il leur fallait être un fardeau pour leurs enfants, autant en finir plus vite, par amour! La perspective de l’euthanasie ne peut faire autrement que d’ajouter de la pression sur nos aînés pour disparaître plus rapidement. Est-on vraiment libre quand cette opportunité est rendue possible et qu’elle nous pousse à faire un choix aussi définitif?

Enfin, on l’a beaucoup dit, c’est aussi un changement radical du rapport avec le médecin : cet homme ou cette femme pourra désormais nous soigner, ce qui inclut que nous pourrons lui donner le pouvoir de nous tuer! Ce qu’on a moins entendu, cependant, c’est que nous allons créer de nouveaux traumatismes chez les professionnels de la santé et parfois au sein des familles des mourants. C’est une sagesse millénaire que celle qui donne à penser qu’on ne sort jamais indemne d’avoir causé la mort d’autrui. C’est ce que nous commençons à percevoir, notamment en Belgique où c’est déjà documenté, lorsque des médecins, des infirmières, sous anonymat, affirment que leur état mental est affecté par cette pratique: culpabilité, dépression et même pensée suicidaire. Imaginons seulement être à la place d’un médecin apprenant qu’un nouveau traitement vient d’arriver quelques jours après l’euthanasie d’un patient et qui aurait pu prolonger sa vie de manière confortable!

Soins palliatifs?

Le projet de loi, dans son intention, vise à étendre l’offre de soins palliatifs. L’histoire nous montre pourtant que la même intention n’a pas été suivie en Belgique et aux Pays-Bas après que l’euthanasie ait été rendue légale. Au contraire, même, le recours à l’euthanasie s’est multiplié par dix sur les dix dernières années alors que les places en soins palliatifs n’ont pratiquement pas progressé. Je m’inquiète même d’une chose: le projet de loi ne va pas imposer aux maisons de soins palliatifs privées de fournir à leur clientèle le « soin de fin de vie » qui consiste à causer la mort du patient. Mais qu’en sera-t-il des nouvelles accréditations? Le ministre Bédard m’a « garanti » qu’une éventuelle future maison dans notre région ne serait pas obligée d’offrir ce soin auquel les autres vont très probablement se soustraire. Pouvons-nous avoir confiance?

TuerTueLes médecins travaillant en soins palliatifs à qui j’ai parlé sont formels: les demandes d’euthanasie disparaissent quand la douleur est soulagée et que les conditions pour la fin de vie sont « facilitantes » (lieu de vie, accès à la famille, etc.). En améliorant la fin de vie, il devient inutile d’y mettre fin prématurément. Cela permet aux familles de faire leur deuil jusqu’à la fin naturelle. Cela donne l’occasion aux pardons de se demander mutuellement, aux bons mots d’être échangés. Qui n’a pas eu cette expérience d’être au chevet d’un proche et d’en sortir profondément touché, positivement?

J’ai une dernière inquiétude. À l’occasion de la commission parlementaire, un amendement a été voté à l’article 45. Il s’agit d’un recul sur les directives médicales anticipées qui désormais vont exclure « l’aide médicale à mourir ». Cela signifie qu’une personne ne peut pas indiquer dans un testament de fin de vie qu’elle souhaite avoir accès à l’aide médicale à mourir dans l’éventualité où elle répondrait aux critères retenus et dans le cas où elle deviendrait inapte. Mais,  a contrario, cela ne semble pas protéger contre le fait que des proches (via la personne mandatée en cas d’inaptitude) puissent prendre la décision de l’euthanasie alors que la personne pourrait ne jamais avoir donné son assentiment… Cela se passe déjà dans les pays cités…

Exigeons un vote libre

Redisons-le clairement: l’aide médicale à mourir qui sera bientôt disponible au Québec constitue une rupture radicale par rapport à un interdit fondamental qui a traversé le temps… On pourra désormais mettre fin à la vie, sous certaines conditions, d’une personne qui le désire… Je vous le demande sincèrement: pour qui nous prenons-nous pour modifier de manière aussi prétentieuse un interdit millénaire? Dans le contexte d’un gouvernement minoritaire, élu avec moins de 32% des voix exprimées, il s’agit d’un changement beaucoup trop fondamental pour forcer l’adoption selon la ligne de parti.

C’est pourquoi il m’apparaît comme une obligation morale que la Première Ministre du Québec ordonne que la Loi 52 soit l’objet d’un vote libre des députés afin qu’ils et elles puissent voter selon leur conscience et non pas selon la ligne de parti. Un changement moral exige un engagement moral en conscience. À cette demande particulière, M. Bédard m’a répondu qu’il allait y penser. Exigeons que les 125 députés de l’Assemblée nationale du Québec prennent le soin d’interroger leur propre conscience sur ce changement sociétal afin de déterminer leur position et d’en assumer personnellement les conséquences.

Bientôt, lorsque la députée à qui j’ai demandé de la déposer m’aura répondu, vous trouverez ici un lien vers une pétition adressée à Mme Marois.

Comments

2 réponses à “Euthanasie: un sursaut de conscience”

  1. Avatar de fem_progress
    fem_progress

    C’est aussi une excuse pour ne pas investir dans les soins palliatifs.

    Et quand on regarde la répartition des frais médicaux sur la vie une personne moyenne, la plus grande partie des dépenses sont vers la fin. Je crains qu’on n’incite ou même force les médecins à libérer des lits et contrôler les dépenses…

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    1. Avatar de Jocelyn Girard

      Vous avez sans doute raison. J’ai déjà évoqué à quelques reprises cette orientation en faveur de l’euthanasie qui supprime l’urgence de développer les soins palliatifs. Ceci est avéré dans les pays où l’euthanasie a été légalisée où l’on ne constate pratiquement aucune amélioration du dispositif des soins palliatifs depuis la légalisation et, au contraire, une augmentation annuelle effarante des euthanasies.

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