Le Saint-Siège (État du Vatican) a reçu un blâme très sévère de la part de l’Organisation des Nations Unies relativement à la gestion des nombreuses affaires de pédophilie qui ont eu cours et que, souvent, l’institution est jugée pour avoir couvertes. En effet, le Comité sur les droits de l’enfant reproche au Saint-Siège, membre en règle de l’ONU et signataire de la Convention sur les droits de l’enfant, de n’avoir « pas reconnu l’étendue des crimes commis, [ni] pris les mesures nécessaires pour traiter les cas d’abus sexuels sur enfants ». Le comité attaque la loi du silence et le fait que plusieurs pédophiles n’ont jamais été renvoyés vers la justice criminelle. Le Comité va plus loin en réprimandant le Saint-Siège relativement aux traitements violents sur des enfants qu’il n’a pas systématiquement dénoncés et que le droit canon risque même d’encourager en n’établissant pas clairement la primauté des droits de l’enfant sur les lois internes à l’Église. De plus, il en profite pour déclarer que le Saint-Siège ne fait pas ce qu’il faut pour éliminer toute discrimination qu’elle soit basée sur le genre, sur le type de famille dans laquelle vit un enfant (notamment homoparentale) et sur l’orientation sexuelle des enfants et des adolescents. Il y va, enfin, d’un soufflet supplémentaire en dénonçant la rigidité des règles interdisant tout avortement même dans les cas de viol ou de grossesse mettant en danger la vie de la mère mineure, citant notamment l’affaire de la jeune brésilienne de neuf ans. Bref, une bonne fessée pour le Saint-Siège, que le Comité ne s’est pas privé de lui administrer, sa cible étant assurément assez vieille pour être considérée majeure!
Mets ça dans ta pipe
Un de mes profs au secondaire disait souvent, lorsqu’il parvenait à nous clouer le bec: « Tiens, mets ça dans ta pipe! » Malgré les représentations du Saint-Siège devant le Comité, le 16 janvier, le rapport publié aujourd’hui est accablant. Tout en reconnaissant poliment les efforts déjà accomplis par le petit État du Vatican, il estime que ce dernier n’a pas suffisamment pris en compte les recommandations qui lui avaient déjà été adressées en 1995 sur les mêmes sujets. Qu’on soit de l’Église ou non, qu’on l’aime ou non, il faut reconnaître que cette adresse est une véritable gifle à un moment où l’Église tend pourtant à changer ses règles internes.
Il me semble que la question touche plus particulièrement celle de la reconnaissance. Comme les actes qui sont visés se sont généralisés à une époque en plusieurs pays, dont ici même au Canada et au Québec, il importe, selon le Comité, que le Saint-Siège se montre cohérent pour justifier son appui à la Convention sur les droits de l’enfant. La fameuse tentative plus ou moins ratée de Mgr Marc Ouellette, en novembre 2007, de demander pardon pour tout le mal causé par des catholiques et certains membres du clergé avant 1960, au Canada, marquait pourtant un début de cette reconnaissance que l’Église doit pouvoir réaliser afin de retrouver une certaine crédibilité en matière de respect des droits de l’enfant. Là encore, cette insistance à ne pas aller au-delà de 1960 avait été perçue comme un déni des actes postérieurs à cette époque alors que d’autres victimes ont continué d’être abusées et que des prêtres suspectés n’étaient toujours pas conduits devant les tribunaux.
Pour les membres du Comité, le Saint-Siège doit reconnaître qu’au sein de l’Église persistent des situations non réglées que la loi du silence ne permet toujours pas de dénoncer. Les victimes doivent pouvoir être indemnisées et, dans la mesure du possible, trouver réparation des actes commis à leur endroit qui ont laissé des séquelles souvent désastreuses. Il va jusqu’à recommander que le Vatican amende son propre code de droit afin d’établir plus clairement les repères qui garantissent les droits de l’enfant à être reconnu pleinement comme sujet. Ce blâme est certes très grave et difficile à recevoir, mais le Saint-Siège a annoncé qu’il analyserait les « observations conclusives » du Comité avec minutie et qu’il y répondrait le temps venu.
Les choses ont-elles vraiment changé?
Il est vrai que depuis quelques années, l’Église s’est donné des moyens concrets pour combattre la pédophilie. La politique Zéro de Benoît XVI et sa lettre aux évêques d’Irlande ne laissent aucun doute quant à l’intention. Pour l’ex-pape, toujours vivant, la seule conclusion à laquelle il était parvenu était qu’il fallait éradiquer complètement ce mal qui a corrompu l’Église de l’intérieur. Il s’est montré particulièrement exemplaire avec les Légionnaires du Christ, en condamnant les agissements de leur fondateur, le père Maciel, même s’il n’est pas allé jusqu’à lui imposer un procès canonique alors qu’il était mourant. Son successeur François n’y est pas allé de main morte non plus depuis son installation. Les mesures prises au cours des derniers mois, si elles ont été reconnues par le Comité des droits de l’enfant, ne paraissent pas avoir convaincu ses membres.
Il me paraît, humblement, que l’Église est en bonne voie de se réformer sur ces questions où elle s’est montrée autrefois davantage préoccupée de sauver sa réputation et celle du clergé que de compatir sincèrement avec les victimes. Les congrégations religieuses qui ont abrité des pédophiles, une à une, s’y sont résolues par la force des choses et les poursuites intentées contre elles, en indemnisant les victimes à grands frais et en hypothéquant sérieusement leur propre avenir. De nombreux diocèses ont emboîté le pas en assumant leur responsabilité d’avoir caché les actes reprochés en transférant les prêtres visés dès que de nouveaux soupçons commençaient à surgir. Il importe de terminer le grand ménage et de collaborer avec la justice pour montrer clairement que tous ces gestes à l’encontre de personnes mineures et vulnérables ne peuvent demeurer impunis. Il reste donc beaucoup à faire, selon le Comité, pour reconnaître, indemniser et réparer.
Une conversion attendue
En tant que baptisé, membre de cette Église, je m’attends à ce que le pape François et les évêques de mon pays réagissent avec une réelle humilité devant les accusations portées. J’aspire à ce que l’Église devienne pauvre au moins en esprit et c’est ce qui lui arrive de toute façon. Ainsi dépouillée, lorsqu’elle aura à choisir entre sa réputation et la vérité, elle saura trouver la vraie liberté (« La vérité vous rendra libre »). À l’image d’un autre François, d’Assise celui-là, qui dénonçait la grandeur et les richesses de l’Église comme la cause de ses tourments, le pape François devra trouver les moyens d’inciter ses collaborateurs du Saint-Siège à une conversion personnelle et collective, comme à nous, les fidèles. La conversion, celle qui implique l’aveu de ses fautes et l’intention de s’amender, est une condition de la paix de l’esprit. Elle est un préalable à une véritable justice. Elle est la seule voie qui permet à l’amour de reprendre ses droits. J’espère donc en une Église qui saura retrouver la pertinence de ces simples mots qui sont ses points cardinaux: Vérité, Amour, Justice et Paix.
Mise à jour du 13 juillet 2014: Voici le texte de l’homélie prononcée par le pape François à l’occasion d’une messe et de la rencontre avec des victimes d’abus sexuels par des prêtres… Par ce geste, il invite l’Église à suivre la voie qui me paraît la seule possible.
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