
Henry Morgentaler est décédé aujourd’hui à 90 ans. Lorsqu’il a commencé son combat pour le droit absolu des femmes à disposer de leur corps librement, dans les familles traditionnelles comme la mienne, il était jugé comme un véritable monstre. Comment pouvait-on imaginer tuer des bébés dans le ventre de leur mère? Mes parents étaient révoltés lorsque ce médecin affichait ses convictions, soutenues par les groupes féministes purs et durs à coups de manifestations qui montraient une autre image de la femme que celle habituellement valorisée!
Enfant, j’étais révolté tout comme mes parents. Lors du jugement de la Cour Suprême en 1988, je n’arrivais pas à comprendre comment on pouvait célébrer l’exécution annoncée de tous ces foetus, moi qui fut élevé dans une famille de huit enfants voulus, désirés, aimés.
Une certaine ouverture
Ma vie d’adulte allait me conduire à rencontrer ces femmes qui pensaient autrement que dans mon milieu familial. D’abord des professionnelles dont la vie de travail paraissait fondamentale, tout autant qu’à moi. Celles qui étaient ouvertes à l’enfant le souhaitaient au moment favorable. Elles affichaient l’importance de la planification des naissances. La contraception faisait « naturellement » partie de leur vie. Avec ma conjointe, nous avions fait le choix de nous en passer. Nous voulions des enfants, point. J’étais donc en contradiction apparente avec mes collègues sur ces questions tout en respectant leur choix.
Le premier choc de l’avortement nous frappa alors que l’anxiété commençait à nous envahir face au fait de ne pas parvenir à procréer. Nous apprîmes qu’une jeune cousine était partie à l’extérieur de sa région pour subir une interruption de grossesse, à l’encontre de l’avis de ses parents, des catholiques pratiquants et très engagés. Je me rappelle avoir pleuré avec ma femme au moment où nous parlions avec sa tante et la priions de convaincre sa fille de laisser naître l’enfant en nous engageant à l’adopter ou à en prendre charge jusqu’à ce que sa maman le puisse et le veuille. Rien à faire. C’était un vrai drame pour notre couple infertile. Cependant, nous avons été touchés par le témoignage de ses parents qui, après toutes les tentatives de persuasion auprès de leur fille, s’étaient résignés à la laisser faire sans pour autant jamais la renier. L’amour était plus fort que le crime commis.
Au plus profond de moi, je le confesse, toutes les raisons évoquées ne me paraissent jamais vraiment inéluctables, car elles ont toutes une solution réelle et envisageable: l’adoption. N’avons-nous pas, ma femme et moi, adopté cinq enfants qui sont nos véritables amours? Pour cela, il a bien fallu qu’ils naissent! Et c’est cette générosité de la femme qui accepte d’accoucher et de confier son enfant à l’adoption que nous avons souvent célébrée, ma femme et moi, parce qu’elle nous offrait ainsi la chance d’être parents. Et c’est pour cela aussi que nous nous sommes engagés dans une association qui fait la promotion de l’adoption des enfants les moins « désirables« . Mais je vois que cette solution est rarement prise en compte par les femmes qui choisissent l’interruption de grossesse… Je dois donc accepter ce choix par respect de la liberté et de la conscience.
Avec le temps et la minimisation de ma culture machiste au sein de groupes de travail équitables, j’ai commencé à mieux saisir le dilemme qui envahit une femme aux prises avec une grossesse non désirée. Je crois comprendre de mieux en mieux (du mieux que je peux serait plus juste) le trouble qui envahit une femme lorsqu’une altérité s’installe et se met à jouer avec ses hormones. Mon observation des changements hormonaux est assez aiguisée avec les années de mariage (oups, ça c’est le macho qui remonte en moi)! Bref, j’en suis venu, avec le temps et peut-être une certaine compassion, à au moins ne plus m’objecter à ce qu’une femme, une fois qu’elle a toutes les données en main, puisse faire le choix – malheureux quoi qu’on en dise – de supprimer cette vie en devenir.
La première raison qui me porte à cela, c’est que je suis un homme et que jamais je n’aurai à faire ce choix. Je ne pourrai jamais le comprendre totalement. M’y opposer, en tant qu’homme, ne semble pas recevable, même si en tant que père potentiel (n’oubliez pas que j’adopte des enfants), je revendique le droit de me sentir concerné. La seconde raison est plus philosophique. Mener une guerre à coups de pancartes, de manifestations et de slogans ne peut que nous diviser davantage comme peuple et susciter la haine viscérale de l’autre camp. C’est d’ailleurs un peu la leçon que je tire de la dernière année des Français autour du mariage gay. L’opposition s’est tellement cristallisée qu’il faudra des années et peut-être des générations avant que les blessures ne guérissent et que le respect revienne peu à peu. L’amertume des « perdants » dans cette cause est palpable. La vindicte de l’autre camp l’est tout autant. Ce n’est pas ce je que souhaite pour mon pays.
Un respect pour l’homme
Bref, le Dr Morgentaler ne peut pas être identifié à un monstre car c’est une cause humaine qu’il a défendue alors que très peu d’hommes ne l’auraient fait comme il l’a fait. Il a été vu comme un héros par un grand nombre de femmes. Pour moi, il ne le sera donc qu’à moitié même si, aujourd’hui, c’est cette figure qui semble célébrée alors qu’on annonce son décès. Sur les médias sociaux, je vois à quel point il a su gagner le respect d’une grande partie des femmes et de toutes les féministes. Cependant, pour moi, maintenant, c’est l’humain que j’aimerais reconnaître. Je voudrais lui demander pardon de l’avoir jugé comme un monstre, même si je déteste, sans pouvoir rien y faire, l’idée d’imaginer qu’on aspire ou qu’on découpe un foetus, un être-humain-en-devenir conçu dans une rencontre sexuelle qui n’a pas suffisamment pris en compte la possibilité qu’il fasse partie de l’équation… Le Dr Morgentaler restera pour moi un homme qui s’est battu pour ses principes, ses convictions, au service d’un grand pan de l’humanité, la moitié en fait, afin qu’elle puisse avoir le droit de dire non et d’être traitée avec respect dans un contexte médical de qualité. Voilà, quand même, un être humain qui a de la valeur…
Vous le sentez, chacun des mots qui précèdent est difficile à écrire. Et c’est bien là que réside mon malheur: pour chaque femme qui fait le choix d’interrompre sa grossesse, une vie humaine est supprimée. Malgré toute mon ouverture, je ne peux taire cette douleur qui revit en moi, chaque fois que je viens à savoir qu’un avortement a eu lieu… Heureusement que je n’ai pas cette conscience pour les 100 000 qui ont lieu chaque année au Canada et près de 30 000 au Québec seulement. C’est un fait et c’est sans doute irréversible.
Alors peut-on, à tout le moins, réclamer tous ensemble qu’une véritable éducation à la sexualité et à l’amour soit mise en place et qu’elle valorise la prévention plutôt que la solution fatale? J’aimerais bien qu’un nouveau (plutôt une nouvelle!) Dr Morgentaler se lève pour défendre cette cause-là, aussi.
Comment réagissez-vous ?