Le mieux est l’ennemi du bien

La famille idéale
La famille idéale ? (Photo: http://www.cote-momes.com)

Par intérêt personnel, j’observe chaque jour de mon Québec séculier la situation française où le débat fait rage autour du projet de loi sur le mariage gay et l’ouverture à l’adoption par deux papas ou deux mamans. De mon pays, où cette situation existe depuis plus de 10 ans, je tente de voir le changement anthropologique majeur que nous aurions dû vivre et je n’y parviens pas. Ou si peu. Et là, devant la radicalisation des tensions en France, je me demande sincèrement si ce combat en vaut le coup. Je suis choqué surtout par la démagogie des discours et les invectives réciproques. On a déjà vu un peuple français plus réfléchi, plus inspirant aussi dans sa capacité d’analyser les situations et les risques, et dans sa facilité à débattre de grands enjeux s’en se mettre à frapper son adversaire aussi bassement qu’à travers tout ce qu’on peut lire de la part des deux camps… Peut-être me suis-je fait une image idéalisée de ce pays. Pour l’heure, je serais incapable de m’associer ni à l’un ni à l’autre des camps en présence.

Dans le rêve, il y a le mieux…

En réfléchissant à tout ceci, je me suis mis à imaginer un monde idéal dans lequel tous les enfants conçus naîtraient. Dans un tel monde, pour qu’ils arrivent à trouver le bonheur, il vaudrait mieux que tout soit parfait…

  • Il vaut mieux que les parents ayant conçu un rejeton l’ait fait dans un contexte d’amour authentique, engagé et durable.
  • Il vaut mieux qu’un enfant ne soit jamais importuné durant toute sa grossesse, ni par les comportements à risque pour son développement (fumée, alcool, substances, etc.); ni par l’angoisse de sa mère qui pourrait être allée jusqu’à penser le supprimer; ni encore par le désir de cette dernière qu’il soit autre chose que ce qu’il est déjà, à savoir une fille, un garçon, dont l’orientation soit tournée vers le même ou l’autre sexe, avec ou sans anomalie génétique, éventuellement autiste ou déficient intellectuel, bref, qu’il ne serait pas parfait…
  • Il vaut mieux que les circonstances de sa naissance soient optimales: un père aux côtés de sa maman, l’ayant soutenue durant les mois qui ont précédé afin qu’elle soit au meilleure de sa condition physique et psychologique; un accouchement sans problème; les premiers souffles de vie au sein d’une famille dont l’accueil et l’amour sont déjà à leur sommet.
  • Il vaut mieux que le papa et la maman de cet enfant demeurent unis tout au long de sa croissance et même après, et qu’ils l’éduquent juste comme il faut sans jamais trop le corriger, afin de lui assurer une parfaite stabilité affective et qu’il se développe au meilleur de son potentiel.
  • Il vaut mieux que sa famille soit équilibrée, avec juste assez de frères et soeurs pour lui permettre de développer des habiletés sociales, un sens du partage et de l’entraide, et que jamais un accident ou la maladie ne vienne briser cet authentique paradis terrestre.
  • Il vaut mieux que le papa gagne beaucoup de sous et que la maman ait tout le temps nécessaire et plus encore pour s’occuper de lui, le cajoler, répondre à ses besoins, le sécuriser, lui apporter tout ce que la vie moderne a inventé afin qu’il soit heureux et que sa croissance soit harmonieuse.
  • Il vaut mieux qu’il n’ait que des succès scolaires afin qu’il développe la meilleure estime de soi et qu’en grandissant il lui soit toujours possible de réaliser le meilleur de lui-même.
  • Il vaut mieux qu’il soit clairement hétérosexuel et que cette orientation soit reconnue très tôt dans son enfance afin qu’il se développe selon les attributs de son genre et qu’il sache se positionner en face des autres, en tant qu’homme ou en tant que femme, inspirant ainsi le respect de tous.
  • Il vaut mieux qu’il décroche un emploi qui correspond parfaitement à ses rêves et à la formation qu’il s’est donnée et que ses patrons sachent le valoriser, le promouvoir et l’assurer d’une sécurité qui le rendra serein et performant.
  • Il vaut mieux que la maladie ne vienne jamais affecter le cours de sa vie, ni les ruptures, ni les deuils, car ces expériences de souffrance pourraient brimer son potentiel et le rendre inquiet.
  • Il vaut mieux que sa vie soit sans failles: un amour qui arrivera de la manière la plus romantique, des enfants qui naîtront dans un contexte tout aussi parfait que le sien, une fierté de les voir grandir et se développer, la joie de finir ses jours entouré des siens, en laissant, avec son dernier souffle, un profond sentiment d’une vie bien remplie et heureuse…

On pourrait ajouter bien d’autres éléments d’une vie parfaite. Mais la vie n’est jamais comme ça, jamais complètement en tout cas.

Dans la vie, il y a ce qui est…

  • Il arrive que bien des enfants soient conçus d’un désir confus, d’un amour flou, parfois même dans la violence; que l’enfant ne soit pas attendu pour lui-même, qu’il soit accidentel ou même utilitaire dans une tentative de recoller les morceaux d’un couple en dérive. 
  • Il arrive que la vie intra-utérine soit marquée par de nombreux incidents: le choc d’apprendre que cette vie s’installe dans le corps d’une femme à un moment inopportun; le souci financier car la situation est précaire; le stress et l’anxiété poussant la mère à continuer ce qu’elle faisait déjà, parfois avec plus d’insistance (boire, fumer, consommer des substances, travailler dans un cadre défavorable, etc.); l’angoisse de cette mère devant les possibilités que l’enfant ne corresponde pas à ce qu’elle voudrait; devant l’éventualité d’un accouchement difficile; devant la perspective de choisir entre l’enfant et le conjoint; de se retrouver seule et sans soutien… Bref, il arrive que « la vie avant la vie » ait déjà marqué fortement l’enfant avant qu’il ne voit le jour.
  • Il arrive que le couple n’est pas à son meilleur au moment de son arrivée, qu’il se soit déjà défait et que la maman soit abandonnée ou bien réengagée avec un autre conjoint; que les frères et soeurs, ou demi-frères et demi-soeurs, ne soient pas disposés à partager l’espace et le coeur de leurs parents déjà bien occupés; qu’un grand frère ou une grande soeur soit atteinte d’une maladie ou d’un handicap qui occupe toute l’attention des parents; que cet enfant arrive lui-même avec une différence et qu’il suscite des réactions diverses, allant du choix de l’abandonner à la charge d’autres (adoption) à celui de l’assumer, parfois avec des efforts qui grugent la capacité de manifester son amour.
  • Il arrive que les conditions financières soient désastreuses en raison d’un emploi perdu, d’une situation d’appauvrissement chronique, une rupture précédente coûteuse; et que l’enfant n’a parfois même pas le nécessaire pour assurer son développement de base.
  • Il arrive que l’enfant soit confus dans son rapport aux autres alors que des attentes face à son orientation sexuelle lui imposent d’être autrement que ce qu’il « sent »; et qu’il devienne ainsi l’objet de rejet, d’intimidation, de haine; qu’il soit alors si marqué par tout ceci que son estime de soi descende à zéro, que son avenir devienne inexistant, que sa vie soit un enfer.
  • Il arrive que la santé se dégrade ou qu’un accident survienne, parfois même dans l’enfance, et que tous les rêves s’effondrent.
  • Il arrive que, suite à une série de situations comme celles qui précèdent, un jeune arrive à la  maturité avec de grandes carences affectives ou développementales, qu’il ne sache pas se comporter comme un adulte libre et responsable; qu’il fasse des choix malsains et parfois malicieux; qu’il se retrouve dans un groupe aux comportements non recommandables; qu’il devienne un véritable cauchemar pour ses parents.

Il arrive ce qui arrive et le mieux n’est pas toujours au rendez-vous! Par exemple, le début de la vie n’a pas été au mieux pour mes cinq enfants adoptés, nés dans un monde inadéquat pour les accueillir tels qu’ils étaient. Elle n’a même pas été parfaite pour moi qui suis né dans une famille traditionnelle, car il eut mieux valu, selon mon analyse, biaisée, que tant de choses aient été différentes… Un professeur de philosophie au collège nous avait cité ce fameux proverbe afin de nous sensibiliser aux dangers du perfectionnisme: « Le mieux est l’ennemi du bien ». En ne voulant que d’un monde idéal, on risque de n’être plus en mesure de voir le bien dans l’imparfait. Car il est réellement présent, le bien, dans le monde actuel, tel qu’il est. On trouvera toujours des témoins qui viendront affirmer qu’ils ont vécu plus ou moins l’enfer à cause de leurs parents ou de la société et qui soutiendront la thèse du mieux plutôt que de faire le meilleur avec ce qui arrive:

  • « Si je suis comme ça, c’est à cause de mon père alcoolique… » 
  • « Si je suis comme ça, c’est à cause de ma mère dominatrice… »
  • [Ajoutez ici vos propres] « Si je suis comme ça, c’est à cause de… »
  • Et, pour arriver à mon sujet: « si je suis comme ça, c’est parce que j’ai eu deux papas (ou deux mamans) qui m’ont privé d’une mère (ou d’un père)… »

Nous avons probablement tous rêvé un jour d’avoir d’autres parents que ceux que la vie nous a donnés. Nous portons des marques psychologiques et affectives de leurs faiblesses et de leurs erreurs, parfois de leur incapacité à aimer pleinement. Et nous voudrions recommencer notre vie d’enfant dans un contexte idéal, en imaginant qu’ainsi nous serions différents de ce que nous sommes devenus et qu’alors nous nous aimerions davantage tels que nous serions! La vie idéale n’existe pas. Nous naissons sans l’avoir demandé. Après coup, peut-être que certains d’entre nous auraient préféré que leur mère choisisse l’interruption de grossesse, mais ce n’est pas arrivé puisque nous sommes là. Nous devons vivre dans un monde de finitude, d’imperfection, de fragilités. Chaque jour, nous vivons sous l’influence des autres qui sont tous et toutes, eux aussi, des êtres vulnérables. Pouvons-nous, alors, choisir le bien que nous avons plutôt que de passer notre vie à regretter le mieux qui n’est pas arrivé? Deux papas ou deux mamans n’est peut-être pas le mieux. Mais un papa et une maman non plus ou pas toujours, sinon sur papier. J’ai à décider que mes parents, ceux que la vie m’a donnés, sont ce qui est bien pour moi. J’ai à les regarder tels qu’ils sont, à les honorer pour la vie qu’ils m’ont donnée, à les aimer et à vivre ma vie du mieux que je peux. J’ai surtout à devenir l’être humain que le meilleur de moi-même m’appelle à être, peu importe ce qui m’a fait ou défait. Et pour cela, j’ai besoin des autres quels qu’ils soient, tels qu’ils sont. Ne pouvons-nous pas tenter de faire un monde meilleur, à partir de ce qu’il est et du bien que nous pouvons en tirer, plutôt que regretter sans cesse le mieux qu’il n’aura jamais été?

Comments

Une réponse à “Le mieux est l’ennemi du bien”

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