
On nage en plein délire en cette énième veille de fin du monde. Un prêtre m’a confié avoir reçu des appels de personnes déroutées, à la recherche de réconfort. Des amis m’ont demandé si je publierais un billet avant la fin du monde et j’en ai bien ri. J’ai répondu que je n’écrirais rien de nouveau que ce que j’ai publié il y a déjà un an! Mais je me suis amusé à écouter quelques-unes des interprétations données par les divers spécialistes des religions. Ceux-ci sont souvent invités par les médias à commenter toute cette atmosphère apocalyptique. Même la NASA a fait son truc en diffusant depuis quelques jours une vidéo intitulée « Pourquoi le monde ne s’est pas terminé hier » pour qu’on comprenne bien qu’ils avaient prédit la non-fin du monde! Bon, au moins, la NASA rapporte des données scientifiques, ce qui n’est pas toujours le cas pour d’autres.
Peu importe la religion qui est citée, toutes ont une vision du temps actuel, du début du monde et de sa fin. Les religions annoncent une destruction finale et les images qu’elles proposent n’ont rien de bien rassurant. Ce matin, par exemple, sur Radio-Vatican, un spécialiste se montrait virulent contre les personnes crédules qui donnent du crédit à la thèse de fin de calendrier maya signifiant que le monde se finirait alors. Il a aussi parlé du Nouvel Âge qui annonce une ère nouvelle après la destruction du monde actuel et de toutes ses dérives. Mais il a surtout terminé par le rappel de la version chrétienne de la fin du monde, en citant notamment cette référence au livre de l’Apocalypse où l’on mentionne la vision de cette Jérusalem céleste (Cf. Apocalypse 21). J’ai eu froid dans le dos, car cette présentation d’un mythe en remplacement d’autres mythes ne me semble en rien aidante pour exprimer la vision chrétienne du monde, si on ne sait pas replacer les morceaux et surtout décrypter les symboles.
Les images de fin du monde : des métaphores!

Le mythe de l’Apocalypse, tel que présenté dans le livre qui porte son nom, est un genre littéraire, et non pas une prophétie qui décrirait avec précision comment vont se dérouler les temps de la fin. Depuis longtemps, les exégètes ont compris qu’il s’agissait surtout d’une description des souffrances des chrétiens persécutés à la fin du premier siècle et l’expression de leur aspirations à la justice et au droit de s’épanouir librement selon leurs croyances. C’était, pour faire moderne, une aspiration à la laïcité face à un État qui obligait tous les citoyens à adorer l’empereur et ses dieux! Bien entendu, les symboles qui y sont décrits et les visions du futur peuvent donner une orientation à notre vie présente car celle-ci est toujours en tension avec la fin certaine du monde. Mais y voir une description plus juste que celles qu’apportent les autres religions serait ramener le christianisme à une croyance mythologique où tout ce qui est écrit dans la Bible devrait prendre figure de vérité au sens littéral. Ce n’est pas de cette manière que l’Église catholique envisage son rapport aux Écritures, et heureusement!
Le jour où un mythe tiré de la Bible ou des Upanishads ou des Mayas ou de l’Égypte antique ou du Coran se réaliserait tel que décrit exactement dans les prophéties de la source la plus proche des faits, nous n’aurions d’autre choix alors que de croire à tout ce qui le contient, d’où la bataille des mythes!

Cela nous conduit très loin de la spiritualité chrétienne. Pour cette dernière, rien n’est pourtant plus important que le présent! C’est le seul temps qui est. Le passé est déjà fini et l’avenir n’existe pas tant que nous n’y sommes pas arrivés. En effet, nous sommes toujours à tenter de rattraper la seconde suivante, mais dès que nous y sommes, elle est passée! Dans la Bible, il y a cette notion reprise des philosophes grecs qu’on appelle le « moment favorable » (Kaïros).
S’il n’y a qu’une façon de faire le bien, il est bien des manières de le manquer. L’une d’elles consiste à faire trop tôt ou trop tard ce qu’il eût fallu faire plus tard ou plus tôt. Les Grecs ont un nom pour désigner cette coïncidence de l’action humaine et du temps, qui fait que le temps est propice et l’action bonne: c’est le Kaïros, l’occasion favorable, le temps opportun.*
En christianisme, cette notion de temps opportun est reprise amplement dans le Nouveau Testament. Il y a un temps pour chaque chose, pour les semences et pour la moisson… Mais sur une base plus spirituelle, le Kaïros se présente aussi comme le moment où Dieu se manifeste. Les chrétiens partagent cette conviction que leur Dieu se rend présent à chaque instant. Chaque souffle de vie est rempli de sa présence. Il revient donc à l’humain de répondre à cette présence en se rendant lui-même présent à la Présence, pour ainsi recevoir et se nourrir de la Vie divine.
Rien à voir, donc, avec la crainte du futur, qu’il se termine à la façon des Mayas, des Hindous ou des Chrétiens. D’ailleurs, avec les 180 fins du monde annoncées et qui ne se sont pas réalisées à partir des mythologies religieuses, ne devrions-nous pas enfin comprendre que les religions ne sont pas compétentes pour déterminer cette fameuse date d’expiration? Revenons-en donc, de la fin du monde, et attardons-nous résolument au présent. Il y a tant à faire pour l’humanité à laquelle nous appartenons tous et toutes et pour la planète qui nous nourrit encore. Cessons de nous accrocher désespérément à la fin, car ce n’est rien d’autre qu’une fuite en avant!
Maranatha! 😉
* Pierre Aubenque, La prudence chez Aristote, Paris, PUF, 1963, pp. 96-97, cité dans l’Encyclopédie de l’Agora.
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