
Cette semaine, la presse internationale annonçait que le Père Roy Bourgeois, membre de la congrégation américaine Maryknoll (missionnaires engagés dans des actions de justice et de paix), avait été renvoyé canoniquement de sa fonction de prêtre de l’Église catholique et simultanément démis par sa congrégation. Il avait été excommunié de facto (latae sentenciae) en 2008, après avoir participé activement à l’ordination de Janice Sevre-Duszynska sous les hospices du groupe Roman Catholic Womenpriests. Une conclusion que je trouve difficile à avaler.
Cet homme était engagé depuis 40 ans au sein de l’Église catholique en tant que prêtre. Sa feuille de route est éloquente. Il s’est particulièrement donné au service de la justice, notamment dans la défense des droits fondamentaux auprès des populations appauvries en Amérique Latine. Il a même fait plus de quatre ans de prison pour ses opinions dont une participation à une manifestation pacifiste en faveur de détenus. Bref, un homme indigné qui ne s’est pas arrêté à exprimer ses opinions, mais qui a engagé sa vie en droite ligne avec sa conscience. Comme dirait ma collègue: il avait les bottines en cohérence avec les babines!
Le Père Bourgeois me fait beaucoup penser à un autre prêtre de ma région, Clermont Rainville, décédé récemment et à qui je rends hommage. Selon les témoignages de tous, Clermont était un homme résolument indigné et engagé. Clermont avait lui aussi des positions souvent en dissidence avec l’Église. Ceux et celles qui le connaissaient savent bien que Clermont se serait prononcé en toute conscience pour l’ordination des femmes! Mais Clermont n’a pas été excommunié ni renvoyé de son service ecclésial. Le dialogue avec son évêque n’a jamais été rompu, preuve qu’il est possible de ne pas être unanimes.
Entre l’obéissance et la conscience
L’Église a toujours mis en valeur l’importance de la liberté de conscience en tant que droit humain fondamental. Elle est prompte à défendre ce droit là où les menaces sont grandes contre les dissidents de régimes autoritaires. Elle défend également la liberté de religion partout où elle est brimée. À l’échelle internationale, l’Église catholique compte certainement parmi les instances très influentes pour défendre ces droits.
Or, dans cette Église existe également une autre règle qui s’applique à l’interne, aux baptisés (ceux qui sont officiellement membres), soit la reconnaissance de la suprématie du magistère (la hiérarchie) et de l’infaillibilité du pape lorsqu’il s’exprime au nom de toute l’Église. En théorie, ces principes ne s’opposent pas à la liberté de conscience car le magistère est réputé savoir discerner et reconnaître ce qui est vrai de la révélation divine et du droit naturel. Suivre l’enseignement moral et social de l’Église suppose donc que la conscience n’a rien à objecter… En pratique, toutefois, ce n’est pas si simple. Pensons à quelques sujets de morale sexuelle pour nous en convaincre.
En ce qui a trait à l’ordination des femmes, aucun pape avant Jean-Paul II n’était allé aussi loin pour mettre un terme aux revendications des groupes militants qui la réclamaient. Le prédécesseur de Benoît XVI a publié en 1994 une Lettre apostolique aux conséquences très lourdes. Ordinatio sacerdotalis est un document qui, dans les officines vaticanes, a valeur d’infaillibilité, même si le pape n’a pas eu recours à ce terme exact. Voici comment il conclut cette lettre:
C’est pourquoi, afin qu’il ne subsiste aucun doute sur une question de grande importance qui concerne la constitution divine elle-même de l’Église, je déclare, en vertu de ma mission de confirmer mes frères (cf. Lc 22,32), que l’Église n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l’Église.
Malgré cette déclaration impossible à contourner, certains groupes toujours enracinés dans l’Église catholique ont continué à revendiquer une position moins rigide et la poursuite d’une réflexion théologique. C’est lorsqu’il fut « prisonnier de conscience » que Roy Bourgeois acquit la conviction que l’ordination des femmes ne devait plus être empêchée. Depuis toujours, l’Église a la conviction profonde que l’appel au sacerdoce vient de Dieu lui-même. Le rôle de l’Église est d’en discerner les fondements et d’accompagner la personne dans son cheminement. Or, l’Église, au moins après le 1er siècle, s’est toujours empêchée de croire qu’il était possible que Dieu appelle d’autres personnes que des mâles aux ministères ordonnés (évêque, prêtre, diacre). Dans son livre My Journey from Silence to Solidarity, Roy Bourgeois écrit ceci :
En prison, une personne a de nombreuses occasions pour réfléchir et prier longuement. […] Ce que je crois, c’est que nous avons besoin de la sagesse, de la sensibilité, des expériences, de la compassion et du courage des femmes dans le ministère sacerdotal, si notre Église veut demeurer saine et entière. (traduction libre)
Un message ambigu
En ces temps de grande confusion pour l’Église catholique qui se voit continuellement attaquée et qui est constamment soumise à la colère des uns et des autres de par ses positions controversées et surtout par les scandales de pédophilie qui sont révélés au grand jour, il va de soi qu’une communication plus positive avec le monde est non seulement souhaitable, mais vitale. Le renvoi d’un prêtre, certes critique, mais dont l’engagement sacerdotal n’a fait l’objet d’aucun doute et dont le comportement humain semble exemplaire, ne peut que susciter une nouvelle suspicion à l’égard de cette institution. Oui, il est vrai que l’ordination de cette femme à laquelle Roy Bourgeois a participé pleinement comportait un caractère symbolique fort et nettement provocateur, appelant Rome à une réaction claire. Mais la seule porte qui fut présentée à Roy Bourgeois fut celle de la dissociation complète de toutes ses allégeances avec les groupes favorables à l’ordination des femmes. En toute conscience, Roy Bourgeois ne pouvait pas reculer sans trahir celles qu’il avait choisi d’accompagner. Il avait été de toutes les luttes pour la justice selon sa conscience. Il ne pouvait certes pas renoncer à celle-ci, même au risque de se voir désavoué et mis à la porte.

Quand on sait que de nombreuses Églises protestantes ont ordonné des femmes, ne pourrait-on pas tenter au moins d’aller voir comment les choses se passent de leur côté? J’ai connu à L’Arche, lors d’une rencontre de théologiens avec Jean Vanier, au moins deux femmes catholiques passées à l’Église anglicane de Toronto pour suivre le cheminement vers la prêtrise. Celles-ci avaient rêvé que leur « vocation » ou leur « appel » puisse être reconnu par l’Église catholique, mais à défaut d’une quelconque ouverture, leur sentiment d’être appelée étant plus fort que la résistance catholique, elles ont fait le choix de passer chez les Anglicans et s’y sont trouvées, finalement, très bien. Secrètement, l’une d’elle me partageait qu’un jour l’Église catholique reconnaîtrait peut-être aussi les femmes ordonnées de l’Église anglicane, comme elle le fait pour les prêtres mariés et qu’ainsi elle pourrait revenir à la communion avec Rome!
J’ai vécu une autre expérience au sein de L’Arche qui reste méconnue dans l’Église catholique, même si elle s’est passée dans un de ses sanctuaires les plus visités du monde. Je parle ici d’Assise, la ville de saint François et de sainte Claire. En 2005, L’Arche y tenait son assemblée internationale avec 350 représentants des cinq continents. Auparavant, dans ces assemblées, il y avait toujours une prière commune le matin, pour tous, et des offices particuliers en fin de journée selon les confessions et les religions. Chacun était libre d’aller où il voulait. Mais à Assise, dans l’esprit de la rencontre qu’avait présidée Jean-Paul II en 1984, tous les participants étaient invités à une seule célébration selon un rite particulier, afin de manifester la communion de toute la Fédération. C’est ainsi que le rite de l’Église unie du Canada fut célébré en l’église Sainte-Claire d’Assise. Les religieuses cloîtrées avaient accepté que cette célébration eucharistique soit présidée par une femme prêtre en y participant elles-mêmes par un chant de joie derrière leur clôture. Voilà un geste criant de solidarité de la part de femmes tenues (librement) au silence par leur retrait du monde, mais qui parlait à tous de l’égale dignité des hommes et des femmes. Imaginez les nombreux touristes qui étaient de passage à cette période de l’année… Ils entraient, prenaient conscience qu’une « messe » était commencée et s’avançaient vers l’avant pour découvrir que la présidente d’assemblée était une femme!
Cette célébration ne fit que creuser en moi la conviction que le mystère eucharistique n’en était pas moins exemplaire lorsqu’il était présidé par une femme-prêtre… Elle venait confirmer ce que j’avais souvent pensé, surtout lorsque des femmes à qui j’enseignais me confiaient non sans une certaine gêne, qu’elles avaient toujours senti un appel à la vocation de prêtre. Qui étais-je pour leur dire que ce n’était pas réel et qu’elles se berçaient d’illusions? Heureusement pour moi, le discernement des vocations ne fait pas partie de mes charges…
Mais je regrette que cette histoire ait mal tourné. En une époque où les gestes malfaisants de plusieurs prêtres, pères et frères catholiques sont rendus publics grâce aux témoignages de nombreuses victimes enfin libérées de leurs souvenirs, il est dommage de constater qu’une grande partie de ceux-là auront pu poursuivre leur ministère tranquillement jusqu’à leur mort, alors que Roy Bourgeois, un prêtre solidaire des assoiffés de justice à la manière de Jésus, n’y sera plus autorisé et devra vivre avec la réprobation de son Église pour le reste de sa vie.
Bon. Il est possible, après avoir publié ceci, que je sois sermonné, un peu. J’assumerai. Mais je risque seulement un emploi. Ça se trouve. À Roy Bourgeois, on a retiré tout ce pour quoi sa vie avait du sens durant plus de 40 ans…
Comment réagissez-vous ?