J’ai écrit ce texte pour Le Préambule, un petit journal de l’Association des agentes et agents de pastorale laïques de mon diocèse. J’ai pensé qu’il s’intégrerait bien à ce blogue.
Quand mon épouse cherche à se rapprocher plus intensément de Jésus par des chemins, disons plus traditionnels, comme la prière monastique et l’adoration eucharistique; ou quand je le cherche moi-même dans des lieux en apparence moins balisés, comme une discussion sur la laïcité ou une implication dans le conflit étudiant : en réalité nous avançons tous les deux dans un même élan, celui que notre désir nous donne à suivre… Notre but est le même, mais nos chemins sont variés. Nous suivons chacun nos désirs, notamment ceux qui sont les plus profonds, mais nous ne formons pourtant qu’un seul couple. Quand l’un des mes fils, à l’aube de ses 18 ans, a opté pour la rue et ses addictions, il aspirait à y trouver une lumière; quand son frère jumeau s’est réfugié au même moment dans sa belle-famille et qu’en moins de temps qu’il n’en faut il est devenu père et responsable de trois enfants, il cherchait un cadre lui permettant de calmer ses angoisses… Tous ensemble, avec nos chemins différents, nous suivons la voie de nos désirs respectifs, plus ou moins conscients, plus ou moins épurés, mais nous formons quand même une seule et même famille dans le pire comme dans le meilleur!
Quand l’humanité circule dans tous les recoins de l’univers, chacun et chacune à sa manière, elle met simplement en œuvre ce qui est le moteur existentiel unique de la quête spirituelle de tout être humain : le désir. Quand les croyants et les croyantes d’une même tradition religieuse fouillent dans des voies en apparence contradictoires pour s’approcher de la divinité, ils ne s’opposent qu’en surface, car le divin est un et ses accès sont multiples. Alors, quand l’Église catholique propose divers chemins pour marquer la rencontre avec l’une ou l’autre ou toutes les « personnes » de la Trinité – Père, Fils, Esprit – elle ne fait que répondre à la diversité des approches (actives ou contemplatives, trinitaires ou christocentriques, engagées ou mariales, traditionalistes ou post-conciliaires, etc.); à l’immense variété des expériences, heureuses ou malheureuses; ou encore à la multitude des formulations des doctrines, savantes ou simplifiées. Cette complexité est la conséquence d’une cause unique : la quête spirituelle liée au désir! Ces chercheurs tous azimuts sont pourtant bien de la même Église!
Chemins de traverse ou autoroute?
Dans le domaine de la spiritualité, je ne crois pas qu’il existe des voies rapides et d’autres lentes, en autant que nos choix soient propulsés par notre désir et qu’ils répondent à ce que la vie nous amène à expérimenter. J’aime beaucoup comment saint Augustin a traité du désir en tant qu’essence de l’être humain. Pour lui, le désir ne peut que (finir par) conduire au Créateur : « … tu nous as faits orientés vers toi et […] notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi. » (Confessions I, i, 1) Ainsi donc, il suffit d’un peu de bonne volonté pour admettre que ce qui bouge en nous, ce qui nous pousse constamment à chercher du bonheur ou de la satisfaction, n’est rien d’autre que cette aptitude déposée en nous à l’origine. Le désir nous pousse constamment à chercher Dieu en toutes choses, que nous en ayons conscience ou non. D’une satisfaction éphémère à une autre, nous en venons à orienter plus ou moins radicalement notre désir vers sa finalité et à opérer les choix qui vont nous y aider.
Cela me ramène à un Colloque sur le catéchuménat tenu à Québec, en octobre 2011. Le bibliste Alain Gignac commentait la fameuse visite de Pierre à Corneille (cf. Actes 10) alors que l’Apôtre demande aux émissaires du Centurion : « Quel est le motif qui vous amène? » À travers une relecture de certains passages des Lettres de Paul, Alain Gignac en vient à soumettre une autre version de ce que pourrait être la question de Pierre (le premier pape!), basée sur quelque chose de plus branché sur le cœur : « Quel est le désir qui vous mène? »
Toute expérience humaine, quelle qu’elle soit, a pour vocation de nous «ramener» ultimement à Dieu. Je crois donc que tout chemin emprunté par un humain, qu’il soit de traverse ou autoroute, peut – et même ne peut que – conduire à celui qui est le début et la fin de tout, notamment de notre vie… Qu’est-ce donc qu’évangéliser (c’est quand même un peu mon travail) dans un tel cadre symbolique? Je vous fais cadeau d’une citation savoureuse d’une érudite de la pensée d’Augustin:
Au lieu de parler d’« évangéliser » […] on devrait dire « faire découvrir à chacun le lieu de son désir », car évangéliser ce n’est que savoir entendre en chacun le cri de son désir, et peut-être, avec beaucoup de douceur, et surtout beaucoup d’émerveillement, l’accompagner sur le chemin où il pourra enfin dire son désir – que souvent il n’ose pas formuler ! Cette révélation, action de l’Esprit qui fait que chacun peut prendre la parole pour dire qui est « Dieu » (ce Dieu qui est avec nous et en nous, ce Dieu si proche), suppose toujours d’avoir trouvé le lieu du désir. « Là où est votre trésor, là aussi sera votre coeur. » (Luc 12, 34) Marie-Christine Hazaël-Massieux*
Pour saint Augustin, cela revient à dire que « Là où est ton désir, là aussi sera ton Dieu ». Cela me conduit non seulement à respecter mais plus encore à m’émerveiller des innombrables chemins entrepris par l’un comme par l’autre, plutôt que de m’inquiéter de certains d’entre eux qui pourraient ne pas être « la bonne voie ». En effet, c’est ma conviction, tous les chemins mènent à Lui! À charge de l’Église de se faire accompagnatrice partout où les désirs cherchent leur expression… Tiens, ça me rappelle un chant de John Littleton : Allez-vous-en sur les places…
* J’ai découvert son site au long de mes vagabondages sur le web. Professeure de patristique, elle rend gracieusement ses cours accessibles : http://peresdeleglise.free.fr/index.htm.
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