Je voudrais courir au milieu des belligérants armé d’un drapeau blanc. Avec l’énergie du désespoir, je voudrais les repousser de chaque côté afin d’ouvrir entre eux un espace blanc. Juste assez pour qu’ils puissent inspirer, expirer, prendre du recul et tout reconsidérer, encore une fois, avec l’infime espoir qu’il est toujours possible de changer la fin si prévisible de ce film décidément mauvais…
Avant qu’il n’y ait mort d’homme (ou de femme, bien sûr), ne serait-il pas temps de poser un geste ultime et responsable d’apaisement? Je vois venir le weekend des 4, 5 et 6 mai à Victoriaville avec ce congrès du parti Libéral combiné au mot d’ordre lancé par les étudiants. Pauvre ville! Il va de soi que les signes des temps ne paraissent pas du tout favorables. Quand le numéro deux du gouvernement, ministre des Finances, affirme qu’il n’envisage plus aucune discussion et que seule une élection permettra de mettre un terme à ce conflit, je suis réellement inquiet pour les jours qui viennent. Un ami, père de deux jeunes engagés dans la mouvance de la contestation populaire, faisait le lien avec sa propre expérience. La situation n’est-elle pas, me disait-il, comme si un père furieux contre son fils lui disait « Tu nous donnes ce qu’on te demande et tu rentres dans ton trou ou bien tu dégages ». La tension est telle que le jeune peut décider d’affronter le père ou choisir de lui tourner définitivement le dos. Les parents savent tous que survient, un moment ou l’autre, le temps où ce genre d’arguments ne peut plus tenir s’ils veulent éviter une rupture aux conséquences néfastes. C’est le plus souvent aux parents qu’il revient de se repositionner autrement, non plus selon une ligne strictement autoritaire, mais plutôt comme des partenaires du développement de l’autonomie de leur enfant.
Faire de la jeunesse des ennemis
Ce même ami me disait à quel point il était indigné de voir que notre gouvernement a choisi de considérer notre jeunesse comme l’ennemie du peuple. Lorsqu’un gouvernement, disait-il, montre du mépris à l’endroit d’un groupe organisé de la société comme un syndicat de professeurs ou de fonctionnaires, il s’arrange avec les conséquences de ses choix. Mais un gouvernement peut-il encourager une partie de la population à traiter la jeunesse comme l’ennemie de la société? Lorsqu’un ministre de la Sécurité publique pointe du doigt un leader, allant jusqu’à insinuer que la police pourrait éventuellement avoir affaire à lui, il pointe à travers lui des dizaines de milliers de jeunes qui ont choisi des moyens de pression dérangeants, certes, mais généralement exemplaires quant à leur déroulement pacifique et non-violent. Quand une ministre de l’Éducation s’acharne à stigmatiser une association pourtant légitime en visant à créer systématiquement la division. Quand un premier ministre se moque de la mobilisation à plusieurs reprises, y compris de la manifestation du Jour de la Terre, comme si la solidarité des foules n’avait aucune importance sur l’ordre normal de ses priorités. Quand tout ceci arrive, la réaction en face ne peut que devenir celle que tous les parents connaissent lorsqu’ils choisissent de ne pas vouloir discuter avec leur grand adolescent. Les moyens de pression ne peuvent que se durcir et en venir là où personne ne voudrait qu’ils aboutissent. C’est là que toutes les éventualités peuvent survenir, une provocation excessive, un geste malheureux, un accident aux conséquences irréversibles.
Pas n’importe quelle paix
Je souhaite comme tout le monde que ce conflit en vienne à une conclusion qui laissera le moins de conséquences négatives possibles. Nous en sommes là, car des séquelles il y en aura. L’histoire se rappellera du printemps 2012 comme l’année où il aura fallu le plus grand nombre de semaines de grèves étudiantes pour arriver à… À quoi en fait? La fin n’est pas encore écrite et c’est là que nous pouvons intervenir, un peu comme les fans des séries à succès qui parviennent à modifier le destin prévu par l’auteur de certains de ses personnages.
Alors comment voulons-nous qu’elle se termine, cette histoire? Plus que jamais, il est temps de nous mettre au service de la paix sociale. Non pas une paix imposée à coup de matraques et de répression. Non pas une paix où l’autorité se serait aplatie en renonçant à toutes ses décisions. Plutôt une paix qui commence par la création d’un espace commun de dialogue. En communication non-violente, c’est la condition préalable à toute médiation. Il n’est pas possible d’envisager un dialogue authentique si les adversaires ne s’engagent pas résolument à chercher une voie pacifique pour dénouer la crise.
L’heure n’est plus à choisir un camp ou l’autre. C’est la troisième voie qu’il faut choisir, la voie de la paix, avec la maturité nécessaire pour entrer dans un tel processus. Le braquage du gouvernement doit être assoupli. Qui pourra l’en persuader, sinon un fléchissement de l’opinion publique? Tant que la majorité semble soutenir le gouvernement qui veut casser le mouvement étudiant, elle le supporte dans son durcissement et dans les conséquences sur le terrain des manifestations. Il faut demander à ce gouvernement de modifier son attitude. Pour cela, il faut une vraie trêve, comme dans une guerre qu’on veut terminer, sans véritable vainqueur, sans véritable perdant.
Souscrivons donc aux pressions de certains « sages » qui se sont déjà exprimés, à savoir qu’il faut un moratoire sur la hausse décidée par le gouvernement. Quelques mois, une année, je ne sais pas. Mais sans cette trêve plus qu’urgente, la paix sociale que nous attendons sera reportée d’autant, jusqu’à une élection, et là, rien n’est assuré non plus.
Je ne veux plus voir des policiers cogner sur des jeunes. Je sais bien qu’ils ne font que répondre à des ordres. Je ne veux plus qu’ils reçoivent l’ordre de dégager la place, quitte à casser des jambes, à brûler des yeux, à embarquer des jeunes qui ne sont pas des criminels, mais des « comme nous » qui rêvions, à une époque, de changer le monde. Ces jeunes, ce sont les miens, les vôtres. Mes neveux et nièces, les vôtres. Vos petits-enfants. Voulons-nous vraiment les mâter ou bien leur ouvrir un avenir où ils pourront, à notre suite, poursuivre la construction d’une société plus humaine? J’ai choisi mon camp. Je porterai désormais le carré blanc, signe de paix. Et je prie l’Esprit Saint d’éclairer toutes les personnes en mesure de poser les gestes qui contribueront à établir cette paix sociale. La paix? Ce serait une belle fin, n’est-ce pas?
Comment réagissez-vous ?