
Pratiquement tout a été dit ou écrit sur les manifestations des étudiants contre la hausse des « droits » de scolarité au Québec. Tous les arguments peuvent facilement être trouvés, énumérés, expliqués, défendus. Je n’ai rien d’autre à ajouter que mon appui personnel au mouvement qui perdure et qui montre un aspect de la jeunesse jusque là assez peu manifeste, du moins pour un observateur de ma génération, soit sa capacité de s’engager et de se montrer solidaire.
Le sociologue Guy Rocher, considéré par tous les sociologues formés depuis 40 ans comme un grand maître du domaine, a pris la plume pour exprimer clairement ce qui marquera sans doute les consciences dans les prochaines décades, lorsque l’on reviendra sur les événements actuels.
« Je suis très impressionné par le fait qu’il y a en ce moment, dans le milieu étudiant, un assez grand nombre de personnes qui partagent le même point de vue, la même opposition, la même résistance aux politiques actuelles. À cet égard, c’est novateur », a-t-il conclu. « C’est révélateur d’un changement d’attitude dans une partie de la jeunesse, qui voit dans la hausse des droits de scolarité autre chose que seulement la hausse des droits, mais qui voit aussi des politiques sociales et une conception de la société à changer. » Une société qui aurait tout intérêt, selon lui, à être de cette «lutte juste» qui n’est pas celle de la «juste part». (Source, voir à la fin du texte)
Et Lise Payette de renchérir jusqu’à « voter » Guy Rocher:
La hausse des droits de scolarité, imposée par le gouvernement Charest, ne serait acceptable que pour les étudiants issus de milieux aisés. Tous les autres qui risquent de s’endetter encore davantage pour mener à terme des études qu’ils auront choisies, seraient placés devant des choix difficiles qui représentent une injustice dans notre société. Moi, je vote Guy Rocher. (Source)
L’Évangile et la justice
Une autre lettre, sans doute moins relayée par les uns et les autres, publiée dans Le Devoir du 7 avril dernier, nous entraîne à considérer des éléments d’inspiration qui ne sont pas sans rappeler un certain Galiléen:
Ce que nous percevons dans le mouvement étudiant, c’est le surgissement d’un questionnement fondamental sur ce qui nous relie les uns aux autres. Car loin d’être seulement une question d’argent, les demandes des étudiants se réfèrent à la justice sociale, aux valeurs collectives, à la critique de l’individualisme néolibéral. Elles en appellent au bien commun et à l’équité entre les générations. (Source)
Les sept jeunes auteurs n’hésitent pas à établir les liens entre ce qu’ils voient dans le mouvement étudiant et l’inspiration qu’on peut trouver dans l’Évangile. C’est justement cette dimension qui m’apparaît intéressante dans le mouvement actuel. Je sors à peine d’un Forum ouvert réalisé en trois soirées dans ma région autour de la génération Y. Les quelques 70 participants ont généralement reconnu qu’il existe un réel fossé entre les jeunes et les générations plus âgées. Celles-ci ont même exprimé une certaine détresse à constater l’absence apparente d’un besoin chez les plus jeunes de recourir à eux, à leur expérience, à ce qu’ils aimeraient transmettre aux générations nouvelles. Les différentes études montrant les caractéristiques de la génération Y ne pointent pas forcément vers la tendance à l’engagement, à la militance, même si on voit aussi beaucoup de jeunes s’investir dans des activités humanitaires et écologiques.
Ces mêmes personnes issues de générations plus éprouvées par le temps, ont aussi été majoritairement confrontées à l’enseignement de Jésus à travers une fréquentation assidue de la pastorale scolaire, des mouvements d’action catholique, des homélies du dimanche. Pour ces personnes dont je suis, l’Évangile de Jésus-Christ est une bonne nouvelle tout d’abord pour toutes celles et ceux qui luttent pour la justice (voir Matthieu 5,6). Depuis le printemps arabe, les marches des peuples grecs et russes, le mouvement mondial des indignés et maintenant la lutte pacifiste — non sans raté — que mènent les étudiants québécois, il y a quelque chose de frais qui circule, une brise qui fait du bien. Pour les affamés de justice, cette grève a comme un goût de lait et de miel, une saveur de terre promise. Tout n’est pas exempt de failles, de quêtes égoïstes ou de marques d’irrespect. Mais en général, pour un récent cinquantenaire comme moi, cette persistance des jeunes à réclamer la justice, le souci du bien commun, des valeurs sociales qui bâtissent une société et son avenir notamment par un accès pour tous à l’éducation, est une source de joie.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice ! Heureux, non pas ceux qui sont repus, ceux qui se cramponnent à leurs illusions et à leurs privilèges, ceux qui n’attendent rien des autres, rien de Dieu. Mais heureux ceux dont toute la vie est habitée par la passion que l’homme soit debout et que le monde réussisse. Ceux pour qui le combat de la justice est l’expression de leur fidélité à Dieu. Ceux qui n’ont pas peur de prendre des risques. Ceux qui ne se contentent pas du froid équilibre des droits. Ceux qui livrent la justice à la miséricorde de Dieu. (Source)
Les auteurs contemporains de la lettre du 7 avril disent en mots d’aujourd’hui la même chose:
[À la suite de Jésus], il nous revient donc de mettre en place et de maintenir les conditions d’une solidarité soucieuse des plus pauvres, des plus fragiles et des plus vulnérables. C’est là une des interpellations radicales que nous discernons actuellement au coeur du mouvement étudiant. Un mouvement qui nous convie à remettre en question le fatalisme économique et politique, afin de recommencer à croire en notre capacité de faire des choix collectifs porteurs d’avenir, d’égalité et de liberté pour toutes et tous.
Après avoir discerné moi aussi les signes qui sont perceptibles dans le mouvement actuel, je comprends mieux pourquoi les jeunes peuvent ne pas sentir le besoin de la foi ou de l’expérience des plus anciens. Ils sont capables, par eux-mêmes, d’expérimenter ce qui, dans leur humanité, est de l’ordre des forces de vie qui conduisent à plus de justice. Qui dit plus de justice, dit aussi plus d’amour, en acte. J’ai confiance en cette génération pour ce qu’elle est en train de nous montrer.
Je dis donc bravo aux étudiants et à tous ceux et toutes celles qui les supportent. Il y a de la foi dans l’air! Une foi dans l’avenir, une foi dans la cause, un espoir que le monde peut retrouver un peu de solidarité et d’imagination au service du bien commun dans ce qui se passe ici et maintenant. Et si la foi, dixit Jésus, peut déplacer des montagnes, alors pourquoi ne pourrait-elle pas aussi ébranler une tour d’ivoire où se sont réfugiés des élus, une ministre et un premier ministre… Moi, j’y crois.
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La citation qui suit était dans mes courriels du jour au lendemain de la publication de cet article. Il me semble qu’elle est tout à fait dans le ton. Je vous l’offre simplement.
Je crois que la jeunesse, avec son désir d’authenticité, de générosité et d’accueil, peut apporter des remèdes au désespoir et au matérialisme du présent, à cette recherche de confort et de jouissance. Elle aura le dynamisme et l’appel pour créer des communautés de paix et d’espérance, très profondément unies, qui peu à peu, de l’intérieur, changeront notre société. Jean Vanier, Ouvre mes bras, Fleurus, p.9
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