À l’émission Tout le monde en parle du 1er avril, Mgr Christian Lépine était certainement une personnalité « attendue » par l’équipe d’animateurs et leur galerie d’invités à ce moment précis. Les positions de l’Église catholique sur un certain nombre de questions délicates allaient assurément être mises sur la table, l’occasion étant trop belle. Le nouvel archevêque de Montréal ne pouvait pas ne pas s’attendre à la confrontation d’idées. Malheureusement, malgré le calme qu’il a su garder tout au long de l’entrevue, sans doute un peu trop néophyte des médias télévisuels, l’homme d’Église n’aura visiblement pas passé le test de l’image publique devant le million et demi de téléspectateurs généralement bien campés dans des attitudes rigides, soit pour soit contre l’Église et son clergé.
Dans la soirée, sur Twitter, un gazouilli de Mme Jocelyne Robert, sexosophe réputée, a fait la une par le nombre de fois qu’il a été relayé. Voici ce qu’elle exprimait :
Et plus tard, sur Facebook, Mme Robert « développait » davantage sa pensée :
Mme Robert exprime ainsi une opinion largement répandue dans notre société. À raison plus qu’à tort, l’Église récolte ce qu’elle a semé ici comme ailleurs. La libération de la parole en notre pays a, en effet, fourni à une majorité silencieuse l’espace de liberté pour dire ce qu’elle pense du joug imposé par l’Église pendant des dizaines d’années. Habituellement, j’apprécie beaucoup les affirmations fondées rationnellement et les opinions nuancées de Mme Robert. Ses positions sur les gens d’Église sont généralement plus tranchées, ce qui se confirme avec les citations qui précèdent. Son opinion est valable. Je regrette cependant le raccourci qu’elle a fait cette fois-ci en accusant l’évêque et à travers lui toute l’Église et tous les fidèles, de ne plus pouvoir être « pour », c’est-à-dire en faveur de l’être humain, s’ils affirment des positions qui vont à l’encontre de certains comportements (contraception, avortement) ou « états » (homosexualité). On a longtemps reproché à l’Église de prononcer des anathèmes (condamnations) envers et contre tout. Heureusement, cette période de l’histoire est terminée. Quand un prélat ose manifester une attitude aussi rigide, il est généralement repris par ses supérieurs qui viennent adoucir les « vérités » que le « radical » tentait de rappeler avec force en oubliant la compassion. C’est arrivé notamment avec cet évêque de Recife, au Brésil, qui avait excommunié les médecins et la mère d’une très jeune fille enceinte à la suite d’un viol. Toutefois, cela ne signifie pas que toutes les attitudes et tous les comportements deviennent acceptables pour l’Église et qu’elle devrait fermer les yeux sur ses convictions pour faire croire qu’elle est arrivée (enfin) en 2012.
Contre la facilité à condamner
Le réflexe de condamner semble s’être transmis chez les Québécois en général depuis qu’ils ont les moyens de s’exprimer publiquement. C’est ce que je reprocherais à un certain nombre de commentateurs sur les réseaux sociaux, notamment Mme Robert lorsqu’elle y va des sophismes cités et surtout de son anathème contre l’archevêque qu’elle dit respecter comme personne mais dont elle vomit les prises de position.
Bien entendu, on ne peut pas demander à tout le monde de s’entendre sur toutes les valeurs humaines qui sont défendues par des personnes ou des groupes humains ou religieux. Il y a des valeurs qu’on peut estimer essentielles, prépondérantes, mais là encore, aucune unanimité possible. Certains vont défendre bec et ongles que la vie est sacrée au-delà de toute autre considération et seront même prêts à mourir pour cette cause, au risque de brimer le droit des femmes à disposer de leur corps. D’autres défendront la liberté de l’individu et le droit à disposer de son corps comme des absolus opposables à tout autre précepte, au risque de brimer le droit à la conscience et à la liberté de religion. Je suis assez d’accord avec le caractère fondamental des valeurs exposées dans ces deux exemples. Comment alors les concilier? Voilà tout le problème. Et la majorité le résout en se réfugiant dans un camp ou l’autre plutôt que de chercher activement comment trouver, pour chaque situation particulière, ce que pourrait être le choix le plus éclairé, le meilleur ou le moins mauvais selon les circonstances.
Le nouvel archevêque de Montréal a tenté de démontrer à Tout le monde en parle qu’il n’y a jamais de réponse simple en matière de positions morales. Lorsque Dany Turcotte l’a interpellé vivement pour qu’il répondre si oui ou non l’homosexualité est une maladie, Mgr Lépine a glissé sur des considérations qui, dans un contexte plus favorable, auraient pu alimenter un dialogue honnête. Regarder la personne dans sa totalité et non pas uniquement son orientation hétéro ou homo est un point de départ recevable. Accueillir toute personne quel que soit ce qu’elle est ou ce qu’elle fait est un mot d’ordre qui traverse toute l’Église, même si un nombre important de ses représentants n’y arrive pas toujours de la bonne manière.
La fameuse langue de bois
L’Église a cette fâcheuse habitude de présenter la règle avant de démontrer qu’elle est en mesure d’accueillir réellement de façon inconditionnelle. En se campant derrière les concepts théologiques et la discipline qui en découle, elle affiche le caractère exigeant de son enseignement alors que si on le prend dans sa globalité, avec tout ce qu’il comporte, on peut graduellement en venir à comprendre, dans un premier temps, peut-être même adhérer partiellement ou entièrement aux valeurs profondément humanistes qu’elle défend.
Sur le terrain, les prêtres, les diacres, les religieuses et les religieux, les agentes et agents de pastorale et les bénévoles engagées veulent d’abord suivre Jésus en cherchant à se laisser inspirer par ses attitudes, la principale étant qu’il s’est montré ouvert à tous: riches ou pauvres, hommes ou femmes, coreligionnaires ou étrangers, en santé ou malades voire handicapés, savants ou incultes, adultes ou enfants. Les évangiles ne disent rien sur l’orientation sexuelle. On ne sait pas si Jésus a été mis en contact avec des personnes homosexuelles même si c’est assez probable. Mais compte tenu de ce qu’on voit de lui dans toutes les histoires qu’on relate à son propos, il est évident qu’il aurait manifesté envers une personne homosexuelle la même attitude d’accueil inconditionnel qui le caractérise. Jésus est surtout préoccupé du salut des âmes et de leur relation à Dieu. Il rappelle les exigences devant des situations flagrantes d’injustice. Mais de façon habituelle, lorsqu’on relate des récits de rencontre, c’est seulement après que la relation de confiance se soit installée, comme par exemple avec cette femme samaritaine (cf. Jean 4), qui a eu cinq maris et qui est « accotée » avec un sixième. Ce dévoilement de sa vie intime ne survient qu’après que cette femme se soit montrée ouverte à chercher avec lui la vérité sur la religion, sur la vie, sur elle-même.
Avec tout le respect que je lui dois, une réponse possible aux diverses questions posées à Mgr Lépine aurait pu être quelque chose comme ceci:
Ma religion, c’est l’amour. C’est aimer comme le Christ a aimé. Une personne n’est jamais une maladie, elle est un être à aimer, à accompagner dans tout ce qu’elle a à vivre, tant dans ses bonheurs que ses souffrances, tant dans ses choix qui m’apparaissent compatibles avec mon Église que ceux qui confrontent mes valeurs. La jeune femme qui se fait avorter est une personne à aimer. La mère qui choisit la contraception est une personne à aimer. L’homme ou la femme qui se vit irréversiblement attirée par une personne du même sexe est elle-même une personne à aimer.
Avec n’importe quelle personne qui se présente à l’Église, nous pourrons parler de nos valeurs réciproques lorsque nous serons en relation de confiance, donc de reconnaissance mutuelle. Tant que cette relation n’est pas engagée, tout ce que je pourrais dire sur nos conceptions ne ferait que nous éloigner, ce qui est contraire à la visée même du christianisme, c’est-à-dire accueillir, aimer, rassembler et permettre la rencontre de Dieu qui, dans le prisme de son amour infini et du projet qu’il caresse pour chaque être humain, demeure le seul juge ultime de nos actions, nos pensées, nos omissions.
Pour arriver à soupçonner l’idée d’une telle relation au divin, encore faut-il un début de foi…
Comment réagissez-vous ?