
Dans le film Il faut sauver le soldat Ryan, un petit groupe d’infanterie est chargé de retrouver un simple soldat et de le rapatrier derrière la ligne de front afin qu’il soit épargné de la mort. Ses trois frères ont déjà été tués et le président des États-Unis souhaite en faire un exemple de compassion pour la mère endeuillée à qui il ne reste que ce fils. Le groupe de soldats réussit sa mission, au prix de plusieurs sacrifices humains. Le capitaine Miller, au moment de mourir, dit au soldat Ryan à peu près ceci: « J’espère que ta vie vaudra toutes les vies qui ont permis que tu sois vivant ». Vous imaginez peut-être le poids que cela représente, d’être « le sauvé » d’une guerre où la mort se répandait à profusion. Vivre avec le statut de « privilégié » comme le fut James Ryan ne doit pas être évident.
Un autre événement marquant s’est passé au cours de la même guerre. Un groupe de 10 prisonniers du camp de concentration d’Auschwitz avait été sélectionné pour mourir d’inanition, en représailles à une évasion. L’un d’entre eux, François Gajowniczek, mari et père de plusieurs enfants, a été sauvé par le sacrifice d’un autre homme, Maximilien Kolbe, prêtre catholique, qui s’est offert en substitution pour aller mourir avec le groupe de prisonniers. Le commandant du camp, stupéfait par une telle offre, signala à ses hommes d’échanger les deux prisonniers. Le prêtre alla donc avec les autres et mourut à la place du père de famille.
Une vie à la hauteur du sacrifice d’un autre
Le soldat James Ryan et François Gajowniczek ont sans doute médité longuement sur leur salut et ont certainement dû rendre grâce au ciel pour leur vie sauve. Mais mener toute sa vie avec le poids de se montrer à la hauteur du sacrifice d’un autre ou de quelques autres a pu être culpabilisant, puisqu’aucune vie ne peut en valoir une autre. Personnellement, je pense que j’en aurais fait une obsession, ce qui semble avoir été le cas du soldat Ryan:
La séquence finale […] du film est celle où on voit un vieux vétéran de cette guerre, avec ses enfants et ses petits-enfants, au cimetière militaire américain de Colleville-sur-Mer, dans le Calvados. Face à la tombe du capitaine Miller, James Ryan demande à sa femme de lui confirmer qu’il a vécu une vie digne et qu’il est un homme bien. Ainsi, le sacrifice de Miller et des autres n’aura pas été fait en vain. Ryan, alors rassuré, salue avec gravité et respect la tombe du capitaine Miller, tombé au champ d’honneur pour le sauver. (Source)

Le père de famille sauvé par le père Kolbe a vécu lui aussi avec la conséquence d’une vie offerte à la place de la sienne. Il survécu au camp de concentration et retrouvé sa femme et ses enfants, grâce au sacrifice d’une autre vie offerte gratuitement, sans même qu’il ait eu à le réclamer.
Quand j’y pense, il y a plein de gens qui, d’une manière ou d’une autre, donnent quelque chose de leur vie pour d’autres. Les parents se décentrent d’eux-mêmes pendant les 20 ans que dure l’éducation de chacun de leurs enfants. Et ce n’est jamais fini, demandez aux grands-parents! Être parent ne tue pas, c’est certain. Mais ça empêche certainement de ne penser qu’à soi et à ne chercher qu’à combler ses propres désirs.
Il y a aussi ces héros qui acceptent généreusement de partager un organe pour sauver la vie d’un frère, un enfant, voire même un étranger! Donner un rein ou de la moelle osseuse pour sauver une vie, c’est accepter de rendre sa propre vie plus vulnérable. N’est-ce pas un bel exemple d’altruisme?
Et il y a aussi tous ces aidants, dans la rue, dans des centres de désintoxication, des centres pour femmes, des maisons de soins palliatifs, etc. Ou encore simplement une femme ou un homme qui choisit de se dévouer quelques années à la maison pour le bien-être de sa conjointe atteinte de maladie dégénérative. Tout ceci représente des dons de vie.
Je dois la vie à un autre
Quand je réfléchis encore plus loin, je ne peux m’empêcher de penser à Jésus de Nazareth, mort il y a environ 2000 ans. Cet homme qui s’est révélé être Fils de Dieu, a accepté de se laisser mener au supplice et à une mort certaine. Et il l’a fait en voulant que ce soit un sacrifice offert pour tous les hommes et toutes les femmes de tous les temps. Je fais partie de ces gens pour qui Jésus a offert sa vie en échange de la mienne. Concrètement, grâce à lui et au don de sa vie sur la Croix, toutes les générations qui ont suivi et même les précédentes si on en croit les évangiles, ont vu une brèche s’ouvrir sur une vie nouvelle, une vie qui se transforme après notre mort terrestre, une vie éternelle. La mort régnait sur le monde puisque rien ne laissait croire qu’il y avait autre chose après elle. La foi chrétienne avance que Jésus a vaincu la mort par sa Passion et en se montrant Vivant à un grand nombre de témoins. Il a remporté son combat contre la mort non pas pour lui seul, mais pour tous ceux et toutes celles qui veulent y croire. Oui, le seul prix à payer, en échange de cette vie, c’est de croire en Jésus.
Sa vie donnée pour que je vive, moi, vous et l’humanité tout entière. Voilà le mystère de la substitution divine. Par amour pour sa création, pour les hommes et les femmes qu’il créa à son image et à sa ressemblance, par une miséricorde infinie, Dieu-Père accepte de livrer son propre Fils pour que celui-ci vive une vie d’homme et la vive jusqu’au bout, jusque dans la mort. Et parce que cet homme fut un prophète, un guérisseur, un homme qui soulevait les foules en apportant une parole neuve, empreinte de liberté, d’espérance et d’amour, le monde ne l’a pas reçu. Au contraire, il l’a rejeté en le livrant aux mains d’une parodie de justice qui s’est conclue par une condamnation inhumaine.
Je suis bénéficiaire d’une promesse de vie éternelle qui a été gagnée par la mort et la résurrection de Jésus. Car en le ressuscitant, Dieu-Père l’a reconnu comme son Fils unique et accrédité comme le Sauveur du monde.
Comment puis-je être à la hauteur d’un tel don? Ce don a plus de valeur que celui de l’escouade du capitaine Miller ou de Maximilien Kolbe, car tant James Ryan que François Gajowniczek en seront venus tôt ou tard à mourir eux aussi. Le don offert par Jésus ouvre sur une vie qui ne finira jamais. Il me suffit de l’accueillir et de me mettre à aimer, aimer encore, aimer toujours plus. « La seule mesure de l’amour, disait Bernard de Clairvaux, c’est d’aimer sans mesure. »
Un jour, lorsque je sentirai ma vie charnelle tirant à sa fin et que je demanderai, un peu comme James Ryan, si le sacrifice de Jésus sur la Croix aura valu la vie que j’ai menée, j’espère que la réponse de ce dernier sera seulement: « Mon enfant, tu as aimé, entre dans la joie de ton maître. » En ce début de Semaine Sainte, comment ne pas méditer de nouveau sur le don extraordinaire que nous a offert un homme libre, libre d’aimer au point de donner sa vie plutôt que de se la faire prendre. Pour moi, pour vous, pour la terre entière dans les siècles des siècles…
Comment réagissez-vous ?