
Un nouvel archevêque vient d’être nommé à Montréal. Mgr Christian Lépine n’était évêque auxiliaire que depuis quelques mois que déjà il est promu à la tête de l’Archidiocèse de Montréal, qui compte 1,5 millions de baptisés. Dans le contexte du Québec, le siège de Montréal est certainement l’un des plus importants pour le rayonnement de l’Église. Les Léger, Grégoire et Turcotte ont tous laissé leur marque personnelle. Le dernier en titre laissera moins le souvenir d’un grand communicateur intellectuel que celui d’un homme accueillant, bienveillant, à l’écoute de son peuple tout en ayant été capable de garder son diocèse en communion avec l’Église universelle alors que l’Église catholique du Québec subissait une débâcle sans précédent.
Les bravos et les huées
Bien entendu, la nouvelle de la nomination de Mgr Lépine a fait sa traînée de poudre. La conférence de presse du 21 mars aura permis à tous les journalistes et les animateurs de découvrir cet homme assez peu connu et y aller de leurs commentaires. La plupart des médias au Québec ont une tendance critique à l’égard de l’Église. On le comprend aisément à la suite des nombreuses situations troublantes qui ont été déterrées depuis une trentaine d’années surtout. Le pouvoir et l’influence des évêques au Québec se sont littéralement affaissés au point que les médias les tiennent pour négligeables dans le meilleur des cas et complètement rétrogrades et dépassés dans les cas les plus habituels. Même l’animateur attitré aux nouvelles religieuses de la télévision publique, Alain Crevier, fait preuve d’une distance critique qui peut paraître parfois hostile quand, sur son blogue, il ouvre des débats qui permettent à de nombreux lecteurs-commentateurs de laisser libre cours à leurs ressentiments. Disons qu’en général, on a été bons joueurs avec le nouvel évêque, en lui permettant dans les diverses entrevues d’exprimer qui il est et comment il entrevoit son nouveau rôle.
On a dit de Christian Lépine qu’il est plus à droite que Jean-Claude Turcotte, qu’il est de la même mouture que le cardinal Ouellet dont le passage à l’Archevêché de Québec a laissé dans l’esprit de plusieurs le souvenir d’un homme peu apte à lire les aspirations et les espoirs de son peuple et dont la communication médiatique a le plus souvent été évaluée négativement. On a dit aussi de Christian Lépine qu’il est applaudi par les mouvements radicaux comme Campagne Québec-Vie, car voilà un évêque dont on dit qu’il se montre plus ardent à dénoncer l’avortement, la contraception et l’homosexualité, un prêtre intègre qui ne fait pas de concession à l’esprit du temps, un théologien qui a vu dans la théologie du corps, très soutenue et développée par Jean-Paul II, une voie d’excellence pour les baptisés interpellés par le plan d’amour de Dieu pour les humains.
Dans les milieux d’Église, les commentaires sont plutôt modérés. Les quelques prêtres et collègues avec qui j’ai parlé se montrent plutôt neutres, un peu comme en attente de voir… Il faut dire que les aspirations de nombreux catholiques, parmi les plus engagés et le personnel permanent, ont été largement déçues par le mouvement d’ouverture et d’espoir, dans la foulée du concile Vatican II, et le recentrement graduel, voire les projets de « restauration » de l’autorité du magistère qui ont marqué le pontificat de Jean-Paul II et du pape actuel.
Les regrets et les espoirs
Il se trouve que j’ai « commis » une thèse de doctorat sur « La participation du peuple au choix des évêques » en 1997. Les recherches que j’ai menées dans ce cadre m’ont donné l’occasion d’interroger longuement en 1988 un évêque auxiliaire sympathique du nom de Jean-Claude Turcotte ainsi que cinq autres de ses collègues. Unanimement, les évêques interrogés se montraient assez favorables à un processus de nomination qui comprendrait une certaine participation des baptisés. Dans ma thèse, je dresse un portrait assez dramatique d’une situation vécue à Gatineau-Hull, après la mort de Mgr Adolphe Proulx, où un mouvement important de consultation s’était mis en branle afin d’offrir au nonce apostolique des éléments complémentaires à sa propre consultation. À l’époque, le nonce avait agi de manière très autoritaire, en interdisant la publication des résultats de la consultation diocésaine, ce qui fit l’objet d’une grande indignation parmi les groupes et les personnes consultées.
Dans les faits, les évêques qui ont été nommés depuis, quoi qu’on en pense, ont la plupart du temps été identifiés à une aile de plus en plus conservatrice au sein du clergé québécois. Un prêtre comme Raymond Gravel, par exemple, n’a certainement jamais été identifié comme un candidat idoine à l’épiscopat! Dans les années 1970, pourtant, quelques évêques dont l’expérience était plus pastorale, souvent issus du monde scolaire, avaient donné une couleur plus sociale à l’épiscopat. Même si les évêques nommés récemment sont plus « théologiens » et « spirituels » que « sociaux », cela n’empêche pas pour autant que le visage de l’Église au Québec demeure encore beaucoup plus à gauche qu’un grand nombre d’épiscopats nationaux.
Dans ma thèse, je qualifiais de conservateur Mgr Ebacher, nommé évêque de Gatineau-Hull en 1988. Or, il aura été jusqu’à son remplacement en début d’année un pasteur aimé par les gens de son diocèse. Même si les circonstances qui avait troublé l’Église locale avant son élection n’ont pas aidé à son intégration, il aura lui-même été « travaillé » de l’intérieur par son ministère épiscopal au sein de cette Église très proche des personnes appauvries et des enjeux sociaux. Un doctorat Honoris Causa lui a même été décerné pour son implication sociale et communautaire, alors que rien de ce qu’il avait fait avant ne pouvait laisser présager un tel souci des plus pauvres.
Que Christian Lépine soit de droite ou de gauche ou du centre ou d’en-bas ou d’en haut, finalement, qu’est-ce que cela changera vraiment? L’Église catholique propose avant tout une rencontre avec Jésus de Nazareth, mort et ressuscité. Cela s’exprime diversement, à gauche comme à droite. Tous les évêques qui se montrent fidèles au peuple dont ils ont la charge finissent par s’imprégner de ses valeurs, sa culture, ses préoccupations. N’est-ce pas là le rôle d’un « bon berger »: de connaître ses brebis et que ses brebis le connaissent? Quand Mgr Oscar Romero, par exemple, a été nommé évêque de San Salvador en 1977, il était considéré comme un ultra-conservateur. Des événements qui ont eu cours dans les premières années de son épiscopat ont changé radicalement la vision qu’il avait de son rôle. Il est devenu un évêque engagé auprès des pauvres et un modèle pour un grand nombre de catholiques. Ceci devrait simplement nous indiquer que l’étiquette qu’on appose sur un nouvel évêque ne devrait jamais l’enfermer dans une anticipation téméraire de ce qu’il sera et de ce qu’il fera.
Pour un chrétien, ceci est attribuable à un acteur discret mais efficace qu’on désigne comme le Saint Esprit. Pour moi, même si je signerais de nouveau presque chaque page de ma thèse de doctorat, ma confiance va davantage dans ce que l’Esprit dit aux Églises et à leurs chefs que dans les hommes eux-mêmes. Dans les années à venir, Christian Lépine sera confronté à son peuple. Il aura à écouter ses misères et ses espoirs. Il fera sans doute des erreurs et pourra se montrer maladroit en certaines circonstances. Mais dans sa prière humble et confiante, il s’en remettra à l’Esprit Saint. C’est là que tout devient possible. C’est uniquement dans cette relation intime qu’un successeur des apôtres peut se laisser convertir et devenir peu à peu le bon pasteur pour son peuple.
La conversion permanente n’est pas seulement un souhait que nous pouvons faire en pensant à nos évêques. C’est aussi un devoir qui revient à chaque croyant. En ce qui me concerne, tant à droite qu’à gauche, j’ai encore beaucoup de chemin à faire…
Comment réagissez-vous ?