La semaine dernière, la Cour suprême du Canada a tranché définitivement: le programme Éthique et Culture religieuse restera obligatoire pour tous les élèves du primaire et du secondaire car il ne brime pas la liberté de conscience et de religion. En soi, c’est une victoire importante pour le Gouvernement du Québec, mais faut-il nous en contenter? Il y a une grande variété de positions qui ont été exprimées.
Tentons d’abord de comprendre le point de vue des parents qui ont été déboutés et avec eux, les membres déçus d’une coalition qui auraient bien souhaité que leurs enfants ne soient pas mis en contact trop tôt avec les croyances des autres traditions religieuses. Je crois pouvoir assez bien comprendre ce point de vue. Une religion ne se considérera jamais égale à une autre, ce qui conduirait au relativisme. Demandez à un musulman, un juif, un bouddhiste ou un hindou de supprimer les « détails » de leur religion pour la réduire à un dénominateur commun. Vous aurez rapidement les prémices d’une nouvelle guerre mondiale! Une religion ne se confond jamais dans une autre, ni ne peut faire l’objet de compromis sur ses doctrines. Celles-ci reposent essentiellement sur des expériences historiques avec lesquelles nous n’avons plus aucun lien. Nous ne pouvons pas changer l’expérience d’un individu ou d’un groupe de fondateurs religieux vécue en leur époque, selon les connaissances et les contextes qui leur étaient propres. Les diverses traditions qu’ils ont fondées ont par la suite évolué avec des expansions remarquables, des successions de responsables, des ramifications, des schismes, etc.
Le catholicisme, par exemple, malgré certaines perceptions, a fait l’objet d’importantes adaptations grâce à de nombreux apports, notamment ceux des sciences en général et les sciences humaines en particulier. J’entendais l’autre jour à Maisonneuve en direct, une historienne affirmer, de mémoire: « Si nous nous trouvions ensemble à une même table, les fondateurs de Montréal et nous, il y a de forte chance que nous éprouvions un certain malaise devant leurs perceptions du monde et leur vision ultra-religieuse. » Pourtant, ils étaient bien catholiques, Paul de Chomedey de Maisonneuve et Jeanne-Mance! Mais leur catholicisme était imprégné de la culture de l’époque et vice versa. Et le malaise qu’ils éprouveraient à côtoyer des catholiques de 2012 serait tout aussi grand!
Ce qui constitue une religion
La démarche d’une religion ne se réduit jamais à ses seules manifestations extérieures. Celles-ci ne sont, en fait, que la pointe de l’iceberg. Une religion est toujours affaire de sens. Elle opère dans un univers symbolique qui fait appel à des formes variées d’intelligence (émotionnelle, sensorielle, cognitive, spirituelle). Elle est reliée irrémédiablement à des évènements fondateurs qui ont « fait » sens et qui présentent un caractère déterminant, assez pour que des dizaines, puis des centaines et jusqu’à des millions de personnes se soient mis à y adhérer peu à peu ou de manière soudaine. La démarche religieuse est d’abord une inspiration intérieure intimement liée à la conscience de la personne.
Voilà pourquoi des enseignements qui ne font que montrer la dimension culturelle des divers cultes ne permet pas d’en comprendre le sens et la portée. Ils peuvent à la limite appeler au respect des pratiques comme expressions d’attitudes: ces gens agissent comme ça, à l’occasion de telle fête ou de telle activité, parce qu’ils célèbrent ainsi tel évènement de leur histoire, qu’il soit aujourd’hui considéré comme un mythe ou qu’il ait véritablement existé. Savoir cela devrait inviter au respect, pas aux railleries. Ainsi, pour un bouddhiste traditionnel, le Bouddha a bel et bien atteint « l’état d’éveil » sous un arbre et c’est en cela qu’il est devenu un maître et un guide pour des générations qui ont cherché à sortir du cycle infernal causé par l’idée de l’existence. Pour un juif, Moïse est redescendu de la montagne avec les tables gravées de la loi et a scellé une alliance définitive avec Yahvé qui engage toutes les générations successives. Pour un chrétien, Jésus n’a pas échoué sa vie lumineuse avec sa mise à mort sur une croix, car des témoins ont rapporté l’avoir vu vivant, confirmant ainsi qu’il était Fils de Dieu. Pour un musulman, le prophète Mahomet a reçu une révélation qui « corrigeait » les doctrines juives et chrétiennes et les portait à un nouveau sommet de foi et de justice. Aucun croyant de l’une ou l’autre de ces traditions ne saurait accepter sans sourciller les affirmations d’une autre tradition et y « prêter » foi… Il est impossible d’entrer dans la démarche croyante d’une tradition sans abandonner quelque chose, voire la totalité de sa propre foi. Il est impossible également à un athée de comprendre ce qui anime en profondeur un croyant. Mais le respect de l’expérience de l’autre est possible pour tous.
Il est clair que l’intégration à une tradition religieuse repose non pas sur des connaissances, mais sur la confiance qui se crée à l’intérieur d’un cercle qui approfondit ses origines avec un « crédit de foi ». Je pense par exemple à Chantal Jolis, qui s’est convertie à l’Islam il y a quelques années. Cette célèbre animatrice, une femme rationnelle, féministe, a été touchée par des femmes d’Afrique du Nord et par leurs convictions profondes. Elle ne connaissait pas vraiment les tenants et les aboutissants de la doctrine de l’Islam, mais elle a choisi d’y entrer progressivement pour se faire l’une d’entre elles, en choisissant de « sentir les vérités » plutôt que de les rationaliser. Voilà une démarche de conversion à proprement parler qui appelle au respect. Il est possible de développer une telle attitude si vous on vous enseigne honnêtement ce qu’est le ramadan ou le carême et à quoi sert la ménorah.
Pour le vivre ensemble
Certains, comme Richard Martineau, souhaiteraient le retrait complet de l’enseignement sur les religions de l’école. La religion, c’est l’affaire des parents s’ils veulent inculquer quelque chose de ce genre à leur enfant… Le chroniqueur va plus loin en suggérant même de retirer le volet éthique pour traiter de domaines plus pertinents, ce à quoi un autre blogueur, Patrick Lévesque, lui répond que, au contraire, il faut plutôt valoriser l’éthique, en pointant des sujets chauds actuellement qui visent des positions politiques tout à fait d’actualité. On n’a pas fini d’en débattre alors !
En ce qui me concerne, je me réjouis qu’un effort soit consacré à favoriser le vivre ensemble auquel nous sommes « condamnés » si nous ne voulons pas sombrer dans des divisions de plus en plus radicales et douloureuses. Un cours qui donne les connaissances de base sur les religions doit permettre d’en accepter les manifestations sans pousser à craindre pour ses propres croyances. Le fait de côtoyer d’autres univers symboliques de croyances ne peut pas nuire à mes croyances si elles reposent sur une adhésion personnelle en toute connaissance de cause. Or, ce n’est pas la caractéristique première des enfants de pouvoir faire de tels choix, d’où cette opposition des parents et cette cause jusqu’en Cour Suprême. Ces parents doivent prendre acte que notre société est devenue multiforme et donne une place importante aux minorités quelles qu’elles soient.
Les enfants qui grandissent dans la diversité ont plus de chance de développer les attitudes de respect des différences, c’est un fait! Alors plutôt que de regretter cette mixité de valeurs et de croyances, il me semble que c’est un monde meilleur que nous bâtissons en permettant ces échanges dès le plus jeune âge.
Pour ce qui est de la religion des enfants, ce ne sera jamais parce qu’ils auront été protégés de la rencontre des autres croyances qu’ils resteront attachés à celle de leurs parents. Ils trouveront un attrait seulement si leurs parents et d’autres qui partagent la même foi vivent eux-mêmes de manière authentique les valeurs fondamentales de leur tradition, au point d’en être façonnés et devenir de meilleurs êtres humains engagés dans les enjeux de l’humanité. Si la religion ne mène pas à cela, elle est simplement vaine et inutile.
Un enseignement religieux ne donnera rarement plus que ce que les maîtres en donnent à voir dans leur propre vie… Et pour cela, les catholiques québécois — et pas uniquement eux — ont bien des croûtes à manger.
Comment réagissez-vous ?