
(Article modifié le 30 janvier)
Le procès de la famille Shafia est terminé. Les jurés ont délibéré: les trois accusés ont été reconnus coupables de meurtres avec préméditation. Dès le lendemain des plaidoyers, alors que le jury commençait ses délibérations, ce reportage de Michèle Ouimet à Kaboul venait confirmer clairement que la notion de crime d’honneur avait bel et bien un lien avec les origines culturelles de la famille Shafia.
Michèle Ouimet a pu retracer la soeur de Tooba Yahya qui n’avait plus aucun contact avec celle-ci depuis 20 ans, soit depuis que la famille Shafia a quitté l’Afghanistan pour le Canada. Les récentes nouvelles lui avaient été communiquées par un cousin qui lui révélait que les trois filles et l’autre femme de Shafia avaient péri dans un accident. Au-delà de l’entrevue avec Soraya et sa famille à Kaboul, c’est la conclusion de ce reportage qui est troublante pour nos mentalités occidentales.
« Si quelqu’un ne respecte pas l’honneur, il n’est rien. »
Peut-on tuer au nom de l’honneur? ai-je demandé.
Oui, a répondu Soraya. Si quelqu’un commet un acte odieux, il mérite d’être éliminé.
Les Afghans ont raison de tuer au nom de l’honneur, a ajouté le fils de Soraya, Hamed. Il faut à tout prix respecter l’honneur.» […]
Le mari de Soraya, Habibullah, a été encore plus tranchant. C’est un homme de peu de mots, mais quand il s’agit de l’honneur, il parle. Si ses filles osaient bafouer son honneur, il n’hésiterait pas. «Je les mettrais dans un sac et je les éliminerais pour qu’on ne trouve plus jamais leurs traces en Afghanistan.»
Voilà exprimé on ne peut plus clairement ce qu’il faut entendre par un crime d’honneur, ce que confirme par ailleurs un article sur ce thème dans Wikipédia :
Un crime d’honneur est un crime perpétré en réaction à un comportement perçu comme ayant apporté le déshonneur à une famille, et ayant donc enfreint le code d’honneur. La plupart des victimes, qui ne sont pas nécessairement auteur des faits reprochés, sont des femmes.
Ces crimes sont typiquement le fait de membres de la famille de la victime ou de la communauté et, contrairement aux crimes dits passionnels, sont prémédités. Dans les sociétés où ils sont perpétrés, on les considère comme relevant de domaine privé et la justice poursuit rarement les criminels.
Le meurtre pour crime d’honneur serait répandu dans plusieurs pays du Moyen-Orient, comme le Pakistan, l’Égypte, la Turquie et, en lien avec l’affaire qui nous concerne, l’Afghanistan.
Incompatible avec nos valeurs
Étant favorable à une laïcité de reconnaissance (voir mon billet), je me pose alors cette question: Est-ce que le crime d’honneur est lié à la religion musulmane ou simplement à la culture des peuples du Moyen-Orient? Selon Yotam Feldner, spécialiste du Moyen-Orient,tout dépend de la manière dont on conçoit le lien entre la religion et la culture:
L’establishment religieux en Jordanie voit les crimes d’honneur comme un vestige du tribalisme arabe préislamique, car l’islam interdit de « rendre la justice soi-même. »
Plus loin, il dit encore ceci : « l’influence de l’islam sur la conduite des musulmans n’est pas limitée à ce qui est écrit dans les textes sacrés; plutôt, elle inclut les perceptions culturelles de l’islam ».
Cela signifie clairement qu’on peut être un musulman pratiquant, dans un pays comme le Canada, et qu’on puisse abandonner certaines traditions culturelles qui sont absolument incompatibles avec nos valeurs et nos droits fondamentaux. Le crime d’honneur concerne plus spécifiquement le rapport autoritaire des hommes sur les femmes. Nous avons depuis longtemps établi une égalité fondamentale entre les hommes et les femmes dans notre société. Un homme ne peut pas décider pour une femme ni de son habillement, ni du choix de son futur mari, ni de son style de vie ou de son occupation, ni même de garder ou non l’enfant qu’elle porte!
Une famille étrangère s’installant dans notre pays devrait donc connaître et respecter ces valeurs qui sont les nôtres afin d’éviter le conflit de loyauté qui ne peut que s’installer dans une famille à partir de la deuxième génération. C’est en effet les enfants des immigrants qui ont le plus besoin de s’intégrer pour cesser de se vivre de manière divisée. À la maison, ce sont les traditions culturelles d’origine qui sont imposées alors que dans la vie courante, ce sont les coutumes de la société d’accueil. Ce déchirement ne peut que provoquer des conflits à l’intérieur de la famille, car le choix d’immigrer est rarement le choix des valeurs de la société d’accueil, mais plutôt le choix de quitter une situation qui présente un caractère menaçant (famine, guerre, liberté d’expression, totalitarisme, etc.). Il y a déjà longtemps, le film Le violon sur le toit avait démontré cette tension propre aux familles migrantes. Les parents sont donc inévitablement en retrait par rapport aux valeurs de la société d’accueil alors que les enfants doivent faire les compromis nécessaires à l’école et ensuite au travail pour être admis dans les relations quotidiennes.
Plus que jamais, cette situation manifeste une nécessité de poser clairement les limites du multiculturalisme canadien. La différence sera toujours une richesse pour la société d’accueil. Mais certaines différences ne sont pas compatibles avec ce que nous sommes devenus comme peuple, notamment les traditions qui auraient pour conséquence un isolement social malsain. Certains courants puristes, religieux ou non, ont cette tendance à vouloir se séparer du monde pour ne pas en être contaminés.
Dans une société comme la nôtre qui se veut ouverte et tolérante, l’attitude de respect est plus que jamais à promouvoir, mais ne suffit pas. Il est urgent de développer des pratiques incitant les citoyens d’horizons variés à entrer en relations pour mieux se connaître, pour échanger sur leurs valeurs respectives, pour chercher ensemble ce qui permettra de construire, dans la sérénité, un vivre ensemble harmonieux.
Mise à jour: le 4 février dernier, 34 imams du Canada et des États-Unis publiaient une fatwa pour rappeler aux fidèles que les crimes d’honneur sont contraires aux préceptes de la religion musulmane.
Comment réagissez-vous ?