Un accommodement qui déraisonne

 

Photo: Le Journal de Montréal, Jean-Marc Gilbert

Dans une lettre d’opinion publiée par le journal Le Devoir, Antoine Baby dénonce une situation en apparence insignifiante, mais dont les conséquences peuvent être graves. Il s’agit d’un « accommodement » accordé à une fillette qui fréquente une classe de maternelle lui permettant de porter un casque « anti-bruit » lorsque sa classe écoute de la musique ou entonne des chants. Il s’agit donc d’une situation où l’enfant est privé de participer à la vie de sa classe, par le choix de ses parents qui ne souhaitent pas qu’elle soit confrontée à de la musique ou des chants. L’auteur de la lettre d’opinion y dénonce notamment un accroc à deux visées de l’instruction publique, l’apprentissage (on apprend par la musique et les chants à la maternelle) et la vie sociale (participer aux mêmes activités que les autres est un facteur d’intégration).

Il existe plusieurs types de laïcité. Celle qui doit émerger de tous les évènements survenus au Québec depuis dix ans devrait davantage nous ressembler et nous rassembler que de nous éloigner de cette manière. Il me semble, comme le dénonce M. Baby, que de fermer les oreilles aux autres cultures — ici on parle de la culture d’accueil ou majoritaire — est tout le contraire du principe de laïcité de reconnaissance (ou laïcité ouverte). La laïcité veut promouvoir une société où les croyants comme les athées devraient pouvoir s’épanouir le plus librement possible, dans la mesure où leurs attitudes et leurs comportements n’entravent pas le bien commun et ne transgressent aucune loi. La souplesse dans l’application des règles et même de certaines lois est simplement une manière de s’adapter à des réalités nouvelles que les minorités immigrantes transportent avec elles lorsqu’elles s’implantent chez nous, comme des tatouages qui font partie de leur propre personne et de leur culture.

Les interdits religieux

Toutefois, il existe des interdits dans chaque religion. Le plus évident est l’interdit du meurtre! Certains interdits peuvent parfois être reconnus et même défendus par l’État dans certaines régions du monde. L’interdit d’écouter de la musique, par exemple, dans un pays autrefois dominé par les Talibans, y était devenu un article de loi, avec les sanctions conséquentes. Mais quand de nouveaux citoyens arrivent dans un pays comme le nôtre, où la musique fait partie des moeurs, de la culture quotidienne, il est impossible de faire respecter des interdits semblables. Un jour ou l’autre — les enfants de la famille Shafia en sont un exemple — ces enfants seront confrontés aux moeurs de notre société, à ses valeurs généralement acceptées, ses coutumes et toute la culture ambiante. Il me semble donc qu’il vaut mieux ne pas aller jusque là, dans nos adaptations, et surtout éviter de rendre nos institutions scolaires ou autres responsables d’appliquer des interdits propres à certaines religions. Il n’est certes pas raisonnable d’appliquer de telles mesures compte tenu d’un ensemble de facteurs, En outre, il ne faut pas non plus que les institutions publiques deviennent instrumentalisées par les diverses religions, comme ce fut le cas au Québec au temps des commissions scolaires confessionnelles. En clair, les interdits proprement religieux qui ne trouvent pas d’application ou de signification agréée par le reste de la population devraient généralement être renvoyés au domaine privé, soit la résidence familiale ou le lieu de culte, ou encore dans des institutions privées accréditées.

Si nous devons dire non à des parents qui veulent interdire à leur enfant d’entendre ce qui se chante dans une maternelle, nous avons également des devoirs à faire comme membres de la culture majoritaire. Le premier devoir des citoyens et citoyennes de la majorité d’accueil est de s’ouvrir à la différence et chercher à connaître et à comprendre les particularités des religions qui sont présentes au Québec, comme le veut le programme Ethique et Culture religieuse ou comme Bernard Derome l’a bien montré avec sa série d’émissions Mon Dieu.


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Comments

2 réponses à “Un accommodement qui déraisonne”

  1. Avatar de Marie-Laurence
    Marie-Laurence

    J’ai un ami musulman pratiquant qui demeure dans la région et qui écoute de la musique. Je ne sais pas quelle interprétation ils (les parents) font du Coran, mais cet accommodement n’a aucun sens. La musique dans les classes de maternelle et à l’école n’est pas religieuse, elle est profane. Mon ami (muslman, pratiquant) écoute de la musique profane. Je pense que les parents sont en train d’isoler leur enfant. Elle va vivre dans une société laïque où le bruit, la musique seront présents et elle ne pourra pas toujours porter son casque.

    Je suis ouverte aux accommodements RAISONNABLES mais celui-ci est déraisonnable et même ridicule. La prochaine fois ce sera quoi? un bandeau pour les yeux quand les images seront contre les valeurs des parents?

    Ce sera beau au travail et dans les classes: des casques pour empêcher le bruit à nos frais, des bandeaux, des bureaux spéciaux, des séparateurs pour que les enfants garçons et filles ne soient pas côte à côte… (tant qu’à exagérer, il faut exagérer)

    Et je suis une de celles qui appuient le port du Kirpan, mais là… ça suffit.

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