Photo de fauxels provenant de Pexels
Au Québec — c’est déjà le cas dans la région de Montréal — nous devenons graduellement et irrémédiablement une société pluri-culturelle. Même si le Québec n’a jamais été parfaitement homogène, comme on a tendance à le croire en se remémorant le temps de la grandeur de l’Église catholique, la diversité qui s’installe résolument avec l’immigration devient de plus en plus visible. Le Québec prend désormais le visage de la diversité culturelle et religieuse, à l’instar de la plupart des États occidentaux.
Cette arrivée de communautés ethniques d’horizons religieux et culturels variés a suscité son lot de questionnements et de réactions. La Commission Taylor-Bouchard sur les accommodements raisonnables a permis d’en refléter une large part. Des penseurs ont pris le relais pour apporter leur contribution au débat. Par exemple, Jacques Grand’maison, à 80 ans, prêtre catholique, théologien, sociologue et militant de toujours pour la justice, a publié l’an dernier Société laïque et christianisme dans lequel il réaffirme son appartenance profonde à l’humanité dans ce qu’elle a de plus universelle, mais également à la foi chrétienne comme véhicule remarquable d’humanisation . Dans une entrevue, il déclare que « c’est dans les pays de souche chrétienne que la laïcité est née et s’est développée; il y a donc une certaine accointance ». Et il ajoute: « On rappelle aussi aux esprits laïques qu’ils doivent beaucoup au christianisme, dont les valeurs ont été laïcisées. »
De son côté, Guy Durand, théologien et juriste, spécialisé en éthique, a publié récemment La Culture religieuse n’est pas la foi. Identité du Québec et laïcité. L’auteur démontre que les origines chrétiennes du Québec sont vitales pour la reconnaissance de son identité propre et pour son avenir. Plus fort encore, il écrit que « Les valeurs chrétiennes sont nécessaires à la vie. » Sans aller aussi loin, le sociologue et blogueur Mathieu Bock-Côté ne veut rien de moins que
réconcilier les grandes sources de notre identité. Réconcilier le Québec moderne, et notamment son indispensable laïcité, avec le Québec de nos ancêtres, qui allait à l’Église. Catholiques ? Nous l’étions, nous le sommes moins. Laïcs ? Nous le sommes, mais nous ne sommes pas que cela. (Source)
Plusieurs souhaiteraient que notre laïcité soit désormais à l’abri de toute influence religieuse, reléguée exclusivement dans la sphère du privé, et que l’État se réduise à une neutralité complète envers toute religion en ne permettant à aucune d’elle de se manifester dans l’espace public. Or, le christianisme dont le Québec fut largement tributaire, a pour fondement la vie et la mort violente d’un prophète galiléen qui a notamment exercé une vraie critique anti-religieuse. Jésus a en quelque sorte invité à désacraliser les institutions religieuses par sa critique à l’endroit des chefs religieux de son époque, critique qui a été maintes fois reprise dans l’histoire par des « saints » contre les similarités de ce type de pouvoir religieux que l’Église catholique a tendance à reproduire. Au XXe siècle, les « révisions de vie » à partir de la Bible ont inspiré de nombreux chrétiens engagés dans l’Action catholique, tout en demeurant enracinés dans leur foi, à contribuer positivement à la sécularisation de la société québécoise et à l’inscription des valeurs chrétiennes dans l’identité historique des Québécois.
Il est vrai également qu’on trouve des croyants qui résistent et qui ne peuvent admettre de voir s’effriter la mainmise de leur Église sans craindre que soient détournées ou affadies les valeurs dont elle se faisait la grande promotrice. Les valeurs sans le véhicule qui les a engendrées deviendraient vaines. La société se laisserait alors entraîner invariablement dans la déchéance et le mal. À l’intention de ces religieux-intégristes, un certain Guy Paiement, jésuite très engagé, disait ceci peu de temps avant de décéder :
Nous ne sommes plus dans un monde régi par la religion. Nous sommes dans la longue marche de l’humanité qui cherche à aller au bout d’elle-même. L’essentiel n’est plus, pour l’Église, de sauver un imaginaire religieux. Il est d’apprendre à lire les signes que nous fait le Souffle de Jésus-Christ dans notre histoire et de chercher comment y répondre. (Source)
Une laïcité qui nous ressemble
Est-ce la peur, comme le pense Renart Léveillé, qui fait que les croyants défendent leur attachement à la mention d’origine des valeurs fondamentales de la société québécoise ? Possible, pour certains. Pour d’autres, c’est une question de ne pas séparer notre identité comme peuple, de ce qui en a été l’origine et l’essence. Pour que ces valeurs ne disparaissent pas au profit d’autres qui vont parfois jusqu’à sacraliser l’individu et l’économie, il faut préserver le domaine du spirituel, car c’est de cet espace « sacré » en nous que nous viennent les valeurs les plus fondamentales comme l’amour, la compassion, la solidarité, l’égalité, l’espérance envers et contre tout. Et généralement, au travers de ses misères, le christianisme parvient encore à convier ses adhérents à se mettre en marche dans la quête de sens et la recherche spirituelle.
Pour que la laïcité « à la québécoise » nous ressemble, elle doit, d’une certaine manière, se réconcilier avec son passé, faire le ménage dans ce que l’Église catholique a véhiculé de douloureux et d’asservissant pour en retenir ce qui a été lumineux et qui fait encore la fierté du peuple que nous sommes : ce tissu de solidarité sociale qui nous rend si différents du reste du continent, cette hospitalité qui nous honore, cette vision du corps qui ne permet pas d’en faire un objet qu’un autre peut s’approprier, cette égalité fondamentale entre humains, cette reconnaissance des droits des individus et des minorités, etc.
Pour que le Québec développe sa laïcité, il devrait donc faire comme tout être humain: reconnaître que tout n’était pas parfait de la part de ses parents, mais que l’amour était là le plus souvent, malgré tout, et que ce que nous sommes aujourd’hui, nous leur devons en grande partie. Il y a une forme de parentalité entre l’Église dans son rapport à la société d’antan et les valeurs qui nous restent aujourd’hui. Le reconnaître, comme la personne reconnaît le donné biologique et familial, est déjà un pas vers la maturité et l’autonomie.
Une laïcité qui nous rassemble
La laïcité « pure » comme en rêvent plus d’un, qui ne ferait plus de place au religieux, qu’il soit catholique ou autre, ne peut pas être une solution pour le Québec. Je me permets de citer encore J. Grand’maison:
La laïcité a ses limites. Il y a des ancrages historiques, des visions du monde qui débordent de la simple citoyenneté. La laïcité a besoin d’une éthique à elle. Ce n’est pas tout de critiquer la morale d’hier, il faut qu’elle se donne une profondeur spirituelle. À la fin de ma vie, ce qui me turlupine, c’est que j’ai connu la confessionnalité mur à mur. Est-ce que je vais connaître la même chose avec la laïcité? Il m’arrive de penser qu’il y a des éléments dans le discours laïque qui me rappellent ce qu’il y a de plus détestable dans mon héritage religieux. […] «Si tu n’acceptes pas que les groupes religieux interviennent dans le débat social, tu paves le chemin de l’intégrisme. Et le discours laïciste devient abstrait.» (Source)
Quand il ne serait plus qu’abstraction, le discours laïciste perdrait de sa pertinence. Quand il exclurait toute prise de parole de groupes religieux, il s’exposerait irrémédiablement aux revendications et tout ce qu’elles génèrent d’instabilité et de tensions. À l’occasion d’un discours adressé aux Brésiliens, mais qui s’applique totalement ici, Benoît XVI va dans le même sens.
Une « saine laïcité » ne doit pas considérer la religion comme un simple sentiment individuel à reléguer dans la sphère privée, mais comme une réalité à laquelle reconnaître une dimension communautaire et publique. (Source)
La laïcité que nous allons construire pour le Québec pourrait devenir exemplaire, en reconnaissant notamment la part de religieux qui se perpétue comme une quête intérieure en chacun des êtres humains. Cette quête, loin de se limiter à des manifestations extérieures ou de surface, comme peut parfois le donner à penser le programme Éthique et Culture religieuse (ECR) offert à tous nos élèves du primaire et du secondaire, conduit l’humain à se dépasser lui-même et à atteindre une stature qui le rend fécond et solidaire des autres et de l’univers tout entier.
Notre laïcité devrait donc se réjouir du fait religieux plutôt que de simplement le tolérer en l’accommodant minimalement. Elle devrait créer des espaces de parole pour les groupes religieux sur les débats de société, cadrant ainsi ces prises de paroles publiques en leur prêtant voix au sein même de l’espace démocratique. Les religions, lorsqu’elles n’ont pas à revendiquer leur place ou à se défendre contre des groupes hostiles, ont toujours contribué à la cohésion sociale là où elles sont implantées. Leur participation ne serait-elle pas une façon positive de les rendre partenaires de notre projet « laïque » de société?
Notre laïcité peut-elle être source de ralliement collectif au lieu de nous diviser davantage ? Ce billet est le premier d’une série que je désire publier. Je tenterai d’approfondir mon souhait d’une laïcité unificatrice en apportant quelques exemples et d’autres réflexions. Vous êtes invités à revenir de temps en temps et à entrer en dialogue avec moi sur ces questions vitales pour notre avenir.
Voici les quatre autres billets sur le même thème:
Pour une laïcité bien de chez nous (2)
Pour une laïcité bien de chez nous (3)
Comment réagissez-vous ?