Au cours des dix dernières années, nous avons vu poindre un grande nombre de scandales de pédophilie au sein de l’Église catholique, que ce soit en Irlande, en Australie, en Belgique, au Canada et plus particulièrement ici au Québec. La Congrégation de Sainte-Croix, celle qui a vu un simple frère portier « grandir » jusqu’à devenir un saint reconnu dans le monde entier, est au coeur de la tourmente avec des plaintes provenant d’anciens pensionnaires de trois de ses établissements. Le scandale a marqué. Quelques victimes, devenus des hommes murs, ont eu le courage de sortir de l’ombre pour dénoncer les sévices subis dans leur enfance ou leur adolescence. L’annonce récente d’une entente conclue entre ceux-ci et la Congrégation de Sainte-Croix est une étape importante pour le processus de guérison.
Perversion et religion
Jusque au début des années 1980, dans une société encore héritière d’une vaste collusion entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux, les congrégations religieuses occupaient le haut du podium en ce qui regarde l’éducation. Les écoles des frères, des religieuses et des pères étaient en grande majorité celles qui attiraient les jeunes des familles aisées et leur procuraient l’encadrement le plus adapté à un développement intégral, incluant les loisirs, les sports, les sciences et… la spiritualité. Ces écoles tenues par les élites religieuses bénéficiaient de l’appui sans réserve des élites de la société « laïque ». Les frères et les pères étaient quasi-vénérés pour l’éducation qu’ils prodiguaient aux enfants chéris du Québec.
Ce pouvoir était immense. Les besoins en personnel étaient énormes. Le critère pour y accéder: la vocation religieuse. Aujourd’hui, on le sait mieux, il est probable qu’une bonne part des frères et des pères enseignants n’aurait pas choisi une telle vocation s’ils avaient pu simplement enseigner sur la base de leurs compétences et non pas sur une vision de la chasteté. Il est probable également que le discernement des vocations ait pu, à un moment, échapper à une certaine vigilance quant aux tendances désordonnées qui pouvaient se manifester chez l’un ou chez l’autre et qu’on pouvait, à l’époque, confondre avec un simple « amour des enfants ».
Ceci n’explique pas tout. Mais nous sommes en face d’un système qui a permis que l’inexcusable arrive. Des individus, à commencer par un et un autre, et puis d’autres encore, se sont livrés peu à peu à des actions de plus en plus perverses, jusqu’à créer parfois de petites confréries de pédophiles secrètement actives dans des milieux où leur institution devait normalement protéger de telles déviations.
Reconnaître et réparer
La discrétion des responsables de la Congrégation de Sainte-Croix au cours des derniers mois a été vue par de nombreux journalistes et citoyens comme étant suspecte, ceux-ci se contentant occasionnellement d’intervenir par la voie de communiqués et refusant toute entrevue. Le dénouement du scandale des pédophiles dévoilé cette semaine indique à quel point ces mêmes responsables ont été plutôt actifs et finalement efficaces. Trop tard, assurément, mais correctement, à n’en point douter.
En admettant le tort causé aux victimes et à leur familles, la Congrégation de Sainte-Croix reconnaît l’importance de réparer. Une somme de 18 millions, qui représente plus que toutes les économies accumulées au cours des 140 ans de son existence, sera versée aux victimes et à leurs familles, selon une charte établie en accord avec leurs procureurs.
L’argent ne règle pas tout. Dix, vingt ou quarante années ont été « volées » à ces nombreux jeunes à la suite de ces abus sexuels et sévices corporels. La somme reçue sera toujours dérisoire en compensation pour ce qui leur aura été pris. Mais les excuses du Provincial sont sincères. Le message qu’il a pris la peine d’enregistrer s’adresse « aux victimes directes, à leurs familles et leurs proches, ensuite aux institutions dont cela a terni injustement l’image et à tous les religieux et laïcs » dont le comportement a été irréprochable, tous ceux qui n’ont pas à subir la fronde populaire pour les péchés de quelques-uns.
Benoît XVI, depuis qu’il siège à Rome, s’est avéré intraitable face aux prêtres et religieux pédophiles. Il n’a pas hésité à démettre de façon posthume le fondateur vénéré des Légionnaires du Christ, une organisation riche et très influente dans l’Église catholique, après la découverte de ses moeurs perverses totalement incompatibles avec le rôle qu’il occupait. Son mot d’ordre a été suivi par les conférences épiscopales et les grands ordres religieux. Il est probable que cela a influencé ceci. Néanmoins, voilà une Congrégation dont les membres, tous engagés à servir et à se donner généreusement, ont été humiliés et ravagés par les actions d’une minorité des leurs. Eux aussi auront à se relever de cette honte collective et à trouver leur propre chemin de libération, chemin qui commence par le pardon demandé et accordé.
Le pardon est l’unique voie de salut pour les victimes, les bourreaux et tous les autres qui portent les dommages collatéraux. J’aspire personnellement, en tant que catholique, à ce que tous les évêques, les congrégations religieuses, les instituts de vie consacrée, les associations de fidèles (et moi-même!) tirent la leçon de cette conclusion honnête. Je souhaite qu’ils voient à faire le grand ménage des moeurs, là où il reste des doutes, des suspicions. J’y aspire afin que nous puissions passer à autre chose.
Tant que le ménage ne sera pas terminé, et que des mesures concrètes de prévention ne seront pas définies, l’Église, par ses différentes institutions, continuera d’être un obstacle à la foi et donc à la rencontre de ce Jésus, Fils de Dieu, qui ne désire pourtant rien d’autre « que sa joie soit en nous et que notre joie soit parfaite » (cf. Jean 15,11).
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