Comme tant d’autres, j’ai assisté en observateur (peut-être même en « voyeur ») au cirque médiatique des derniers jours à la suite de la publication du livre posthume de Nelly Arcan dont un extrait rappelle, sous forme fictive, son passage à l’émission Tout le monde en parle. J’avais vu cette émission. J’ai revu l’extrait. J’ai de nouveau ressenti le même malaise qu’en 2007. Et pourtant je suis un homme…
La séductrice
Cette auteure que je n’ai jamais lue, mais dont je connaissais quelque peu la réputation, s’était présentée sur le plateau de l’émission en robe sexy, comme bien d’autres femmes avant elle. Cette femme-là avait un côté provocateur, des airs de femme fatale, aguichante, ne refusant pas pour elle-même les attributs de la femme objet, principal sujet de ses livres. Mais c’est bien de son dernier livre qu’elle aurait aimé parlé!
Si j’avais été sur ce plateau, avec ces hommes que certains décrivent aujourd’hui plus ou moins à mots couverts comme des cochons excités, aurais-je pu éviter de me laisser entraîner dans cette atmosphère lubrique générée par les remarques déplacées du fou du roi et d’un invité en particulier, d’une part, et les questions tendancieuses de l’animateur poussant à faire l’amalgame entre la personne de Nelly Arcan et ce qu’on peut déduire d’elle à partir de ses personnages de romans? Mon regard aurait-il porté ailleurs que sur son décolleté, quand l’aura de cette femme rayonnait fortement d’une sensualité qu’on ne peut séparer complètement de ses héroïnes? Elle disait que ce qu’elle écrivait, à force de détails, devenait « l’anti-thèse de l’érotisme ». Elle avait peut-être oublié que c’est justement ce que fait la pornographie, les détails, et qu’il semble bien que ça n’empêche pas un homme et même certaines femmes d’être férocement excités…
La femme fragile
Nelly Arcan s’est suicidée en 2009. Certains suicidaires considèrent qu’il faut du courage pour mettre un terme à sa vie. D’autres évoquent plutôt la lâcheté devant les défis auxquels toute vie doit plus ou moins être confrontée. Peu importe notre regard sur le suicide, c’est toujours une tragédie. Des gens se sentent coupables de l’acte ultime d’un autre, la plupart du temps les plus proches ou ceux qui auraient dû se montrer proches avant le geste fatal.
Sur le plateau de l’émission, Nelly Arcan a affiché, sans doute sans le vouloir, une fragilité et une sensibilité touchantes. Elle était visiblement affectée par la tournure de l’entrevue, jusqu’à supplier « Vous n’allez pas me faire ça » au moment où l’on voulait la contraindre à une partie de bras de fer. C’était le risque de participer à une émission de variétés qui veut plaire en provoquant et en rigolant, en déstabilisant les vedettes, parfois aussi en sensibilisant, il faut le dire.
Si l’exposition de la fragilité de cette femme a pu toucher deux millions de spectateurs, elle aura fait oeuvre d’authenticité : dans un monde idéal, on devrait pouvoir raconter sans craindre ses contradictions et se montrer soi-même, notamment vulnérable et fragile, ce qui est d’ailleurs le propre de la nature humaine. Certains courants féministes pourraient lui reprocher d’avoir exposé cette vulnérabilité dans un monde où la femme est encore infériorisée et objectivée. L’homme que je suis aurait simplement voulu la prendre dans ses bras, la consoler, lui faire retrouver son sourire. La femme fatale avait disparu, ne restait plus que la femme, vraie.
Notre responsabilité
Nelly Arcan s’est donné la mort. Elle a posé ce geste dans son intimité, sans personne pour voir ni pour interpréter le sens qu’elle a voulu lui donner. Visiblement, ses écrits qui paraissent à certains comme visionnaires et prophétiques, ne pouvaient que dissimuler une femme fragilisée par cette mise à nu perpétuelle. Les gens ont raison de dire que Nelly Arcan était une femme fragile, elle qui pourtant réussissait mieux que quiconque dans un domaine plus que compétitif en vivant de ses oeuvres. La réussite n’est jamais un gage de force !
Chose certaine, les hommes présents sur ce plateau n’ont de responsabilité que de s’être laissés entraîner — et c’est si facile! — dans une mise en scène visant à exacerber la sensualité, à l’image de ce qu’on voit chaque fois qu’on y invite Anne-Marie Losique. La différence entre ces deux femmes? L’une joue clairement un rôle, celui de femme fatale, alors que l’autre, celle qui a perdu, l’était au plus profond d’elle-même, tout en dénonçant qu’elle puisse être ça, elle et de plus en plus de femmes contemporaines.
Personnellement, je n’oserais attribuer ne serait-ce qu’une infime part de responsabilité aux artisans et participants de l’émission Tout le monde en parle dans le suicide de Nelly Arcan. Ce serait instrumentaliser ceux-là au service d’une interprétation d’un geste qui nous échappe tous. Cela n’enlève rien au fait que cette séquence-là n’est certainement pas un modèle à reproduire. Pour attirer les regards vers les organes féminins et masculins et attiser les passions, il suffit généralement de passer à une autre chaîne où, sans gêne, la télé-réalité nous entraîne. Nul besoin que Radio-Canada se mette à jouer dans cette cour. C’est peut-être une leçon à retenir à l’aube de la nouvelle saison de Tout le monde en parle…
Voici quelques articles bien écrits qui valent la peine d’être lus :
Un billet écrit par Nelly Arcan peu après son passage à l’émission
Sophie Durocher, Tout le monde parle de Nelly
Jocelyne Robert, Si vulnérable
Mélikah Abdelmoumem (amie de Nelly A.), Guy A. croqué par un fantôme
Nathalie Petrowsky, Nelly et les poux
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