Nous sommes à une époque où tout le monde peut trouver une raison de devenir la cible de groupes divers. On n’en finit plus d’inventer de nouveaux mots qui se terminent avec le suffixe « phobe »:
- Depuis longtemps, les femmes sont victimes des gynophobes. Un peu comme les ours, leur peur les entraîne au loin dès qu’une femme s’approche. Mais la peur se tourne de plus en plus souvent en violence.
- Les gais se plaignent des homophobes. Même si l’armée, dernier bastion de leur calvaire, a cessé de les harceler institutionnellement, on trouve encore chaque jour des cas de personnes mises en situations d’exclusion ou de harcèlement en raison de leur orientation sexuelle, et beaucoup chez les adolescents.
- Les Juifs dénoncent encore très fréquemment la judéophobie, nouveau nom pour l’antisémitisme.
- Les autres croyants ont trouvé là sans doute une inspiration, car on trouve désormais l’islamophobie, la christianophobie. On pourrait ajouter la raelophobie, la scientolophobie, la newageophobie, et encore la secretophobie, la penseepositivophobie !
- Et ce n’est pas terminé, même les personnes handicapées, qui n’avaient pas voix au chapitre jusqu’à présent, ont inventé l’handicapophobie.
- À quand la politicophobie (pour les politiciens), la médicophobie (pour les gens de la santé), l’itinérophobie (pour les gens sans domicile fixe), la gangderuphobie (pour… bon, vous avez compris).
Bref, tous les groupes qui se donnent une forme d’identité basée sur leur différence, quelle soit culturelle, sexuelle, professionnelle ou autre, vont sans doute un jour éprouver le sentiment d’être ostracisés, stigmatisés, parfois même ciblés comme des humains de seconde zone qui n’ont pas droit à l’existence, le plus souvent par des gens qui forment eux aussi, parfois sans le savoir, des groupes identitaires qui n’existent que pour lutter contre l’affirmation d’une différence (pensons notamment aux groupes qui militent pour la pureté d’une race, mais on peut aussi par extension pointer les mouvements pour supprimer les personnes âgées qui n’ont, à nos yeux, plus de qualité de vie et qui constituent un poids pour la société et leur famille).
Ras le bol des phobies
J’ai envie de faire un petit coup de gueule. J’en ai un peu marre de devoir ainsi apprendre tout le temps de nouveaux mots relatifs aux phobies liées à l’identité. Quel est donc ce besoin de se particulariser au point de devenir la cible des autres? Y a-t-il en nous cette tendance à vouloir tellement être différents qu’on en vienne à en faire une cause à défendre?
J’aime beaucoup plus les nouveaux mots qui finissent par « philes ». Qu’y a-t-il de mal à être gynophile, homophile, handicapophile, islamophile, etc. quand on ne se voit pas rattachés à l’un ou l’autre de ces groupes? Ne peut-on pas voir là une invitation à l’appréciation de la différence, basée sur la contribution à la richesse humaine collective, plutôt que la peur? Je milite désormais pour la disparition des phobes et leur mutation génétique en philes!
Je vous pose la question, et elle vaut aussi pour moi : se cache-t-il dans votre esprit un « phobe » à extraire et à convertir en « phile »?
J’ai personnellement expérimenté que la peur de la différence réside dans la non-rencontre. Lorsque j’ai rencontré des personnes vivant avec une déficience intellectuelle qui m’ont accueilli pour moi-même, sans égard à mon apparence, mon intelligence ou mes avoirs, j’ai commencé à changer ma phobie (non consciente) en philie. Aujourd’hui, je suis vraiment un ami des personnes vivant avec un handicap, même si je ne suis pas forcément l’ami de celui ou celle qui est plus imbécile qu’handicapée (peut-être suis-je encore imbécilophobe!). J’ai appris à m’engager avec des personnes qui ont certains moyens financiers bien supérieurs à mon niveau modeste. J’ai découvert des coeurs qui savent aimer. Je me suis engagé avec des militants pour la paix et la justice. J’ai découvert des passionnés pour l’égalité et la fraternité. Mes phobies se transforment en philies dès que j’accordre à l’autre le droit d’être ce qu’il est, avec sa différence, en particulier celle qu’il veut qu’on reconnaisse ouvertement.
Jack Layton a écrit quelques heures avant sa mort : « Mes amis, l’amour est cent fois meilleur que la haine. L’espoir est meilleur que la peur. » Les papes disent exactement la même chose. Rappelez-vous Jean-Paul II, à sa première apparition comme pape: « N’ayez pas peur ». Benoît XVI ne dit rien d’autre depuis des mois: « N’ayez pas peur ».
La peur est toujours un cul-de-sac, une impasse, un mur. L’ouverture à la différence rend l’avenir possible. Quand j’aurai peur d’un autre quel qu’il soit, je tenterai de me laisser imprégner de nouveau par ces appels à la non-peur: ne te referme plus sur toi, sur ta différence, ouvre-toi plutôt à l’autre et à ce qu’il peut t’apporter pour ta croissance. C’est ainsi que nous donnons à notre monde une possibilité d’avenir, ensemble.
Comment réagissez-vous ?