Dans la foulée de ma crise de la cinquantaine (je parle de mon cinquantième billet et pas encore tout à fait de mon âge), un ami fidèle m’a invité à faire davantage état de mes doutes. Cette impression que le doute ne semble pas transparaître de mes textes m’a perturbé quelque peu, car je doute, et si fort !
Il y a plusieurs années, lorsque j’ai lu Mon testament philosophique, de Jean Guitton, j’ai compris à quel point la foi et le doute sont des compagnons intimes et inséparables pour demeurer dans la quête du vrai. Dans un livre qui lui est dédié comme un hommage, Entretiens posthumes avec Jean Guitton, Henri Hude met dans la bouche de ce dernier cette affirmation forte :
La vie qui doute, donc la vie qui cherche la vérité et la vérité du Bien, est une vie qui se soumet par avance à cette vérité à laquelle elle tente de s’unir, à cette vérité du Bien, à cette perfection absolue du Bien. (p. 169)
« Se soumettre par avance », voilà des mots qui paraissent impossibles à faire nôtres dans une société où la liberté, et la liberté individuelle par-dessus tout, est devenue un absolu. Et pourtant, c’est bien en toute liberté que nous sommes appelés à consentir, à adhérer… à devenir croyants.
Dans Mon testament philosophique, Guitton donne l’essence de sa foi :
[…] je ne puis croire qu’à de l’invraisemblable. Car le vraisemblable ne serait, selon toute vraisemblance, qu’un produit humain. (p.64, Éd. Pocket)
Si l’un des plus grands philosophes du XXe siècle a pu douter de cette manière tout en se révélant croyant hors de l’ordinaire*, c’est donc que le doute et la foi peuvent et doivent demeurer liés comme l’ivraie et le bon grain de la parabole (cf. Matthieu 13:24-30.36-43). Si l’ivraie (le doute) est l’oeuvre de l’adversaire, elle n’en est pas moins l’épreuve à laquelle le blé (la foi) doit être confronté pour croître jusqu’à sa maturité. C’est le lien que je fais avec cette autre citation de Jean Guitton:
La preuve d’une idée ne va pas sans épreuve. L’épreuve est plus concluante, imposée par un adversaire. ( p.18, Éd. Pocket)
C’est pour cela que j’éprouve tant de difficultés à recevoir les affirmations de vérité, imposées comme des certitudes et des lois universelles. John Henry Newman, un homme de foi de grande renommée, devenu cardinal après son passage de l’Église anglicane à celle de Rome, n’a jamais pris les dogmes catholiques pour Vérité sans chercher sans cesse à entrer dans leur compréhension profonde. Il a cherché à comprendre la « grammaire de l’assentiment » avant de s’exposer lui-même aux dogmes et aux vérités confessées par l’Église. Le doute n’est donc pas seulement légitime, mais un instrument qui permet à la foi de grandir et de mûrir.
Je retiens cette phrase mise dans la bouche de Guitton par Henri Hude:
Nul ne sait jamais rien s’il ne l’a appris aussi par lui-même. Quand on a appris d’un autre une chose vraie, il reste à l’apprendre une seconde fois par soi-même et de la Vérité elle-même » (p. 63)
C’est ainsi que je me vis, comme croyant. Désirant ardemment adhérer, consentir à la foi, tout en cherchant avec d’autres les voies de la vérité. Comme Thomas, l’apôtre. Jésus ne le rejette pas parce qu’il doute, il l’invite à voir par lui-même :
Avance ton doigt ici, et vois mes mains; avance ta main et mets-là dans mon côté: cesse d’être incrédule, sois croyant. (cf. Jean 20,19-31)
* Jean Guitton a été l’un des rares laïcs à participer au Concile Vatican II et, fait étonnant, un ami intime de Marthe Robin, cette mystique catholique dont la vie entière est un mystère invraisemblable.
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