La blague d’Hérouxville

Des musulmanes à HérouxvilleLe documentaire fraîchement diffusé de Stefan Nitoslawski montre un André Drouin, auteur du « Code de vie d’Hérouxville », révélant la supercherie de sa démarche. André Drouin aurait écrit ce texte provocateur avec une conscience parfaite de l’absurdité de ses règles pour un petit village de la Mauricie où l’immigration est loin de faire l’actualité dans la vie quotidienne. Blague ou non, avec le recul, cette initiative d’une petite localité en région aura accéléré la plongée de toute la société québécoise dans le débat sur les accommodements raisonnables. Cette nouvelle, en effet, démontrait qu’il existe bel et bien des peurs et une forme de rejet d’une immigration qui ne comporte aucun processus d’intégration au sein de la culture majoritaire.

L’étranger n’est pas seulement l’immigrant

La grande majorité des Québécois pense que notre culture est faite d’ouverture et de tolérance — et c’est vrai –, mais quand on gratte un peu…

Comme tant d’autres familles vivant en région, mes parents sont un exemple d’accueil et d’hospitalité. Notre foyer a toujours été un lieu ouvert à tous. Mes parents avaient l’invitation facile et insistante. Ils ramenaient très souvent des gens de tous horizons. Il y avait la joie des rencontres, l’intérêt mutuel porté par les uns et les autres, et ça se terminait tard dans la nuit. Nous, les enfants, étions souvent témoins de ces fêtes tardives.

Enfant, j’avais le sentiment que mes parents étaient des gens ouverts et sans préjugés. Mais je me rappelle aussi avoir entendu, les lendemains de fêtes, des commentaires pas toujours flatteurs sur les différences de ces gens qui étaient venus. Plus tard, l’introduction de nos amis et surtout de nos conjointes fut un test pour l’ouverture. Je pense que celles-ci ont eu du mal car leur différence fut souvent un facteur de tension. Heureusement, le temps fait bien les choses et la compréhension, ensuite l’amour, emportent le tout. Les belles-soeurs et beaux-frères font désormais partie intégrante de la famille avec leurs différences. Mais nous parlons de différences au sein de la même culture.

Imaginons alors à quel point ces différences peuvent choquer lorsqu’elles proviennent de cultures africaines, asiatiques, arabes, etc. Au Québec, il est vrai que nous aimons bien les étrangers et les voir « nous choisir » ! Nous sommes rapidement familiers, notre simplicité séduit. Mais il faut aussi reconnaître que nous aimons déblatérer contre les voisins africains qui laissent exhaler des odeurs désagréables dans le hall du bloc-appartement; affirmer « s’ils veulent vivre ici comme chez eux, ils n’ont qu’à y retourner! » Ou, plus dur encore: « ces gens sont des batteurs de femmes et des extrémistes religieux, ils ne peuvent que semer le trouble dans notre société paisible ».

La xénophobie est rarement de surface. Elle est profonde. Tant que la rencontre ne risque pas de me faire déplacer de mes valeurs, de mes convictions, elle n’est pas dérangeante. Comme mes parents, on peut accueillir « des tonnes » d’étrangers avec plaisir, tant qu’ils s’intéressent à nous, à notre manière de vivre et qu’ils nous confirment dans le meilleur de nous-mêmes. Mais si leur installation permanente vient à modifier les paramètres de nos habitudes quotidiennes, c’est différent.

Je suis l’ami de quelques personnes d’origines étrangères et parmi elles des Arabes, musulmans ou chrétiens. Autant les uns que les autres, j’ai apprécié les connaître et découvrir leurs valeurs. Je ne deviendrais pas comme eux, car ma culture fait trop partie de mon identité, mais je suis intéressé par le sens qu’ils donnent à la vie, leur sens de la famille, leur foi qui les pousse à l’acceptation sereine de la réalité. Je trouve que leur amitié est une véritable richesse.

Demeurer nous-mêmes pour mieux nous ouvrir

Je crois fermement que nous devons conserver et même entretenir notre ouverture et l’enrichir par des relations authentiques, dans la durée, avec l’étranger quel qu’il soit. Par contre, il est vrai que nous ressentons aussi la peur d’être envahis, de n’être plus respectés pour ce que nous sommes, avec nos valeurs, notre religion. Devant une telle inquiétude, il faut résolument nommer le patrimoine de valeurs qui constitue notre identité collective tout en étant conscients que celle-ci n’est pas fixée pour toujours, au contraire.

Ce n’est pas aux tribunaux de trancher sur ces questions, comme ils devront malheureusement le faire dans le cas de la prière au conseil municipal de Saguenay. Il s’agit du devoir des élus, surtout les députés à l’Assemblée nationale, oui, ceux-là qui n’ont toujours pas pris leurs responsabilités après le rapport de la Commission Taylor-Bouchard.

Accueillir l’autre avec sa différence, se laisser toucher et même déplacer de soi, voilà une belle invitation pour sa propre croissance, en tant qu’individu, bien sûr, mais aussi en tant que nation. Pour que ça fonctionne, il faut avoir la liberté de le choisir. En laissant tout faire, en ne prenant pas d’orientations claires, nous risquons tout simplement de laisser se briser le tissu social et activer les clivages culturels. Si le retour d’André Drouin dans les médias suscite la conscience et la nécessité de nous redresser pour mieux nous tenir debout et nous affirmer dans le respect des autres et de ce que nous sommes, la blague d’Hérouxville pourrait y avoir contribué positivement.


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