Richard Martineau s’indigne devant les efforts que font un grand nombre de personnes pour essayer de comprendre les mécanismes internes qui poussent un homme, un jour, à péter les plombs au point de devenir, l’espace d’un instant, un criminel sanguinaire. Même Pierre Foglia y revient encore et pousse son analyse à jusqu’à l’Holocauste.
Plus capable de ces chroniques dépeignant le docteur Turcotte comme un être profondément normal, qui a juste pété une coche, « comme ça pourrait nous arriver tous ». Richard Martineau, « Pauvre monstre »
Si mon dernier billet va dans le sens de ce que dénonce M. Martineau, ce n’est pas pour diminuer la gravité des gestes que le Dr Turcotte a posés et qui restent, dans mon esprit et dans mon coeur de père, ce qu’il y a de plus horrifiant et de plus dégoûtant. Le procès en cours fixera la sanction que notre justice prévoit pour un tel crime et j’y souscrirai entièrement. Voilà pour la différence entre le bien et le mal…
Si j’ai pris la peine de réfléchir et d’écrire sur Ces monstres-là, ce n’est certes pas pour banaliser les gestes violents et criminels. Par contre, M. Martineau sait assurément qu’au XXIe siècle, en psychopathologie, la pensée binaire — tout est noir ou blanc — est depuis longtemps dépassée. Nous comprenons de mieux en mieux les mécanismes qui déclenchent la violence, à partir de leur soubassements psychologiques le plus souvent inconscients et des facteurs environnementaux et circonstanciels qui convergent.
Le bouton rouge
Ayant occupé un rôle de responsable d’organismes axés sur la générosité et le don de soi et où les intervenants valorisaient pour eux-mêmes cette qualité qui les conduisait jusqu’à nous, j’ai été témoin de situations paradoxales. Je pense à ce jeune de 20 ans, objecteur de conscience, pacifiste et disciple avéré de Gandhi. Il était ce que l’humanité peut produire de plus doux ! Mais en présence à chaque jour d’une personne ayant une déficience intellectuelle et des troubles de comportement, ses barrières naturelles contre la colère en lui se sont peu à peu effritées, sans même qu’il s’en aperçoive. Un jour, la colère est venue, tout d’un coup. Il a frappé ! Heureusement, son poing s’est détourné au dernier moment pour percer l’armoire en bois derrière la petite femme qui avait suscité en lui une telle charge de violence. Il a pu quitter la pièce et reprendre ses esprits, non sans conséquence pour son amour-propre et la conscience que cette violence-là existait en lui.
Dans une autre situation, cette fois-ci entre deux collègues dont l’une est devenue responsable de l’équipe, un homme dans la quarantaine, doux et calme comme on en rencontre peu, s’est soudainement trouvé en situation défensive et s’est mis à vouloir faire peur, hurlant des mots sur cette jeune femme, allant jusqu’à la poursuivre et donner deux coups de poing sur le mur juste à côté de la tête de celle-ci, perçant le gypse. Cela vous donne une idée de la violence du geste. Imaginez la peur de cette femme qui avait la certitude d’avoir rencontré le diable !
Dans les deux cas, on a parlé d’un « bouton rouge ». La première femme, handicapée et souvent pénible au quotidien, a peu a peu déterré un espace à l’intérieur du jeune homme où se trouvait ce fameux bouton rouge. Un jour, en raison d’une situation d’extrême tension, celle-ci a trouvé le bouton et a appuyé dessus, paf ! Même chose pour l’autre homme, vingt ans plus âgé, une discussion explosive a dégénéré et a fait une pression sur ce bouton rouge dont il ignorait qu’il existait et paf !
Pour moi, il s’agit du bouton rouge de la « déshumanité » ou du retour à l’état sauvage. Ce bouton rouge ne pourra jamais être une justification des gestes violents ou criminels. Mais il explique quand même une chose : en ignorant qu’il existe, on risque, un jour, que quelqu’un le découvre et qu’il se trouve à sa portée…
Gestion de la colère
J’ai en moi de l’agressivité, je le sais, je la ressens. Tant qu’elle est canalisée positivement, c’est une énergie créatrice qui pousse à l’action. Parfois, fatigué, je laisse tomber juste un peu mes protections et l’agressivité se tourne en impatience. Rien de grave, mais je sais qu’il faut faire marche arrière, respirer un peu, demander à ma conjointe de prendre la relève pour quelques minutes, histoire de présenter le meilleur de moi-même à mes enfants surtout. C’est une gestion, comme bien d’autres choses, qui demande un certain contrôle. Pour maintenir la protection contre les surtensions, je dois être conscient que ça existe, ne pas le nier comme l’ont fait les deux hommes de mes petites histoires.
M. Martineau, je ne suis pas psychologue. Je sais bien que la grande majorité d’entre nous ne se retrouvera jamais dans des conditions rendant accessible ce bouton rouge qui peut faire perdre tous nos repères d’humanité. Mais je sais que le bouton rouge est là, quelque part en moi… Je l’ai entr’aperçu, peut-être en songe ou simplement parce que j’ai été témoin de ces histoires. Parce que je sais qu’il est là, je ne peux simplement me réfugier dans une image illusoire de bonté ou m’élever au-dessus de tous ces autres qui, un jour, l’ont découvert trop tard, une fois déjà déclenché…
Comment réagissez-vous ?