Ça y est, l’ennemi public numéro 1 du monde occidental a été trouvé au Pakistan et tué par un groupe tactique américain. Tout d’un coup, on voit des foules en liesse près de « Ground Zero » à New York et partout aux États-Unis. Étrangement, ce n’est pas très différent de ce qu’on voit souvent dans le monde arabe lorsque survient une nouvelle semblable qui excite les foules au point où on arrive à se demander si les manifestants continuent d’avoir toute leur tête. Les gens heureux à ce point le manifestent dans un défoulement collectif. Mais est-ce vraiment du bonheur? Peut-on réellement ressentir de la joie authentique à l’annonce d’une opération violente qui a atteint sa cible avec succès? Fait-on la différence entre « justice » et « vengeance »?
Après les réjouissances
Il est évident que la traque amorcée depuis le 11 septembre 2001 contre Al Qaida et son représentant le plus célèbre vient d’être marquée par une étape déterminante dans la lutte contre le terrorisme international. Les représailles des groupes terroristes risquent toutefois de rendre l’euphorie de courte durée. L’histoire montre que la loi du Talion — « oeil pour oeil, dent pour dent » — n’a jamais fait cesser la violence et le désir de vengeance. Une perte subie dans un camp vaudra toujours plus chère que la perte infligée à l’autre camp. C’est une loi universelle. Ainsi donc, la seule suite possible de cette attaque ne peut être que de nouvelles manoeuvres pour perpétuer l’esprit de vengeance… Et il en sera ainsi sans fin.
Quelque chose doit changer. Notre monde doit changer. L’état du monde est inquiétant. Les conflits violents dans le monde ne sont pas en baisse, au contraire. Les activités terroristes partout où elles ont lieu génèrent de la peur, la peur entraîne le besoin de sécurité, l’urgence d’établir la sécurité entraîne la répression et la perte de libertés civiles, s’en suit une réduction de pouvoirs progressive pour le peuple pouvant aller jusqu’à la privation de ses droits fondamentaux… Or, le pouvoir au peuple et le respect des droits fondamentaux comptent actuellement parmi les réclamations les plus fortes des peuples du Moyen-Orient. Lorsqu’il est délégué aux mains d’une petite bande de forts et de protecteurs, le pouvoir s’érige en système totalitaire. Peu à peu, à cause de notre peur, il est possible d’imaginer que nous pourrions nous dépouiller de notre dignité personnelle et collective en acceptant de limiter nos droits humains, de vivre dans une société de non-droits.
Comment changer ce monde ?
Si le discours sécuritaire du Parti Conservateur du Canada a été moins bien reçu au cours de la dernière campagne électorale, je pense qu’il aurait pu en être autrement si l’assassinat de Ben Laden et ses suites inévitables avaient eu lieu quelques jours avant la fin. Just too bad pour Stephen Harper ! Chaque fois que nous réclamons plus de sécurité, la peur nous entraîne à taire le cri de notre conscience qui appelle au souci des autres, surtout des plus pauvres et des exclus, et à plus de solidarité entre nous tous, sans exception. Notre société marchande poursuit ses buts inlassablement : pousser toujours plus à consommer pour produire toujours plus de profits pour procurer toujours plus d’abondance à une minorité de l’humanité à laquelle nous voulons appartenir à tout prix. Cette manière de vivre pointe directement vers le clash des civilisations prédit par tant de prophètes de malheur… Mon amie Sylvie Bernard, qui dépose quotidiennement de petites réflexions ou trouvailles sur sa page Facebook, écrit ceci à propos d’un autre événement, beaucoup plus heureux, mais qui peut aussi, en raison de sa part de rêve et d’illusion, nous détourner de notre devoir de compassion active.
Le coût du mariage prinicier: la somme aurait pu nourrir 168 000 000 d’enfants pour une journée en Afrique. L’indécence dans toute sa splendeur! Ça vous dérange? Vous trouvez ça honteux? Put your money where your mouth is! Au lieu d’acheter le numéro spécial « Mariage princier » de n’importe quel magazine « populaire », remettez cette somme à un organisme d’aide alimentaire.
À sa façon, Sylvie nous dit qu’il faut changer quelque chose dans notre manière de penser et de vivre. Plus nous nous réfugierons dans notre mode de vie qui est un véritable scandale pour la grande majorité des habitants de cette planète, plus nous serons complices de ses vices, des inégalités qu’il génère, des jalousies qui poussent aux actions de dernier recours, y compris les émeutes et la violence tous azimuts.
Jean Vanier écrit ceci à propos de l’époque que nous vivons :
Il nous manque la seule connaissance vraiment nécessaire pour la survie de la race humaine : savoir comment transformer la violence et la haine en tendresse et en pardon. (Vivre une alliance dans les foyers de l’Arche)
Il importe de ne pas nous réjouir trop vite de la mort d’un homme et de ses proches, même si leurs actes passés ont été la cause réelle de souffrances et de deuils, de morts par milliers. La mise à mort d’un meurtrier coupable ne rendra jamais justice à ceux qui souffrent de la perte d’un proche, tout au plus suscitera-t-elle une réjouissance éphémère qui ne laissera après la vengeance que l’amertume et l’assèchement du coeur. Notre monde a besoin de coeurs touchés par la fragilité de l’existence, par la beauté de cette vulnérabilité humaine offerte comme un don pour le rapprochement et le vivre ensemble. J’aimerais compter parmi ces passionnés de tendresse et de compassion. Et vous ?
Comment réagissez-vous ?