Voici encore un sujet délicat. Tabou, même, car dès qu’une personne — et plus encore si elle est une personnalité publique — manifeste un tant soit peu une certaine forme d’attention bienveillante à tout ce qui s’appelle « pro-vie », elle devient la proie de toutes les hostilités, soupçonnée d’extrême-droite. J’ai été choqué par cette nouvelle où le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec a été sommé de se justifier d’avoir accordé une subvention de 1000$, à même son enveloppe discrétionnaire, à un organisme identifié comme étant « pro-vie ». Le ministre a admis, honteusement, avoir omis de vérifier les orientations (« l’idéologie ») de ce groupe de soutien aux femmes et a assuré qu’il n’aurait pas, l’ayant su, versé cette somme à un tel organisme, car dit-il « Au Québec on est pro-choix ».
Les arguments de la députée Agnès Maltais, qui interrogeait le ministre Yves Bolduc à l’Assemblée nationale, sont des plus simplistes : « La société a décidé d’être pro-choix. Si le ministre met de l’argent public dans un organisme pro-vie, il se trouve à faire un choix, un choix qui n’est pas celui de la société ». Mais sommes-nous tous d’accord sur cette description uniforme de « la société » ? De quel consensus parle-t-on ? Il me semble que le mot consensus dans la bouche de Mme Maltais sonne comme « uniformité ». D’abord, nous sommes dans une société démocratique. La majorité l’emporte, mais n’efface pas les opinions divergentes. Celles-ci peuvent, à un moment ou un autre, devenir majoritaires, car l’évolution de la société n’est jamais à sens unique. Et les faits démontrent qu’on est bien loin de cette unanimité. Je vous invite à parcourir les commentaires à la suite de cet article sur le site de Radio-Canada et à faire le décompte des « en accord » et « en désaccord ». Vous constaterez comme moi que le dit consensus est loin de ressembler à ce qu’en dit Mme Maltais et qu’au contraire nous sommes plus divisés que jamais.
Des équations faussées
Dans l’esprit de bien des gens, il semble qu’il existe deux équations qu’on peut réduire à leur plus simple expression, quand elles sont utilisées par l’autre camp:
– Pro-choix = pour l’avortement
– Pro-vie = contre le libre-choix des femmes
À mon avis, les deux équations sont fausses ou, quand elles sont vraies, elles s’avèrent dangereuses dans tous les cas. Personnellement, étant catholique, marié et père de cinq enfants adoptés, je ne sens pas d’affinités avec les mouvements pro-vie dont l’action est avant tout militante et politique. J’ai du respect pour ceux dont la mission est l’accueil inconditionnel des femmes qui se présentent à eux. En faisant le choix de les accompagner, en respectant leur liberté et leur conscience, ils donnent une valeur nouvelle au choix de poursuivre la grossesse en présentant des options réelles (garder l’enfant, le proposer à l’adoption). La femme enceinte peut alors entrer dans une meilleure compréhension de toutes les conséquences des choix qui lui sont offerts. Si l’orientation fondamentale de ces groupes est clairement défavorable à l’avortement comme technique de contraception et même contre toute suppression de vie humaine, ils sont malgré tout capables de respecter la personne et le choix qu’elle fera, peu importe si cela la mène à l’avortement. Je dirais même qu’il est plus important de poursuivre cette relation au-delà du geste abortif pour aider cette femme à se libérer de la culpabilité et de séquelles psychologiques souvent présentes chez un nombre important de ces femmes. Les conséquences sont réelles et de plus en plus de professionnels les reconnaissent.
Une étude scientifique effectuée sur une période de 30 ans publiée dans le British Journal of Psychatry « a montré que les femmes ayant subi un ou des avortement(s) présentaient un taux de désordres mentaux 30% plus élevé, en particulier associé à de l’anxiété ou la consommation de drogues. Au contraire aucun autre type de grossesse (même les grossesses avec fausses couches) n’a présenté de lien avec des troubles d’ordre mental. »
Si les organismes veulent défendre la vie, ils doivent aussi défendre la vie de la femme dont le choix a causé la suppression d’une autre vie, dans une approche axée sur l’amour infini et miséricordieux de Dieu. Je ne pense pas, malheureusement, que ce soit une priorité de tous ces groupes…
Je suggère que les deux équations précédentes soient remplacées par celles-ci, car elles correspondent davantage à la promotion qu’on fait à l’intérieur de chaque camp :
– Pro-choix = pour la liberté de choisir, sans contrainte, de poursuivre ou d’interrompre une grossesse non désirée.
– Pro-vie = pour l’assurance que la personne, libre en conscience de ses choix, reçoive l’information et l’accompagnement lui permettant de faire un choix éclairé, avec une préférence inconditionnelle pour la vie à naître.
C’est plus long comme équations, mais parfois les raccourcis ne sont pas aidants. En les formulant ainsi, je pense que je ne risquerais plus rien à me déclarer à la fois pro-choix ET pro-vie, car j’aurais le sentiment de respecter le libre-choix des femmes et le devoir des croyants de promouvoir une culture de la vie. Mais on est bien loin de là, car ce n’est pas suffisamment blanc ou pas assez noir, comme le reprocheraient les groupes plus militants, d’un côté comme de l’autre, qui ne supportent pas le gris en matière de jugement éthique.
Pour faire un choix libre, celui-ci doit être éclairé
Pour la députée péquiste Agnès Maltais, cette affaire illustre l’importance de mettre en place un mécanisme de « certification » qui permettrait de distinguer les pro-choix des pro-vie et, évidemment, privilégier les premiers si on veut accorder des subventions. Si on applique un tel processus de certification, il est probable que plus aucun organisme ne puisse offrir une information complète avant l’intervention et un suivi thérapeutique post-avortement, car l’interruption de grossesse deviendra de plus en plus un geste automatique dont on banalisera les conséquences. N’est-il pas important, avant de subir une intervention chirurgicale, de connaître les risques possibles, avant de prendre une décision? C’est pourtant ce qu’on fait pour une intervention cardiaque ou autre : on nous informe des risques et on nous fait signer un document qui confirme que nous sommes conscients.
Dans une correspondance tendue avec l’organisme Québec-Vie, à mon avis plus militant que « servant », l’abbé Raymond Gravel écrit ceci:
Je crois qu’il en est de même de l’avortement : si on pouvait aider les femmes enceintes qui vivent des peurs, des doutes, des souffrances, qui se sentent irresponsables et incapables d’avoir un enfant… Si on pouvait éduquer les jeunes à une sexualité responsable et responsabiliser les hommes qui font partie du problème, je crois qu’il n’y aurait plus d’avortement. (Source)
Loin d’être choqué par le fait qu’un ministre ou un député décide de soutenir des organismes de son milieu dont certains se vouent à la promotion de la vie, sans haine et dans le respect, je pense au contraire que c’est un signe d’une société en santé. Notre société sera toujours plus riche de ses diversités. Nous nous priverons de services de qualité lorsque nous mettrons un système de certification des « bien-pensants » et des « mauvais élèves », car pour cela il faudra un discernement des valeurs que nous sommes bien loin, comme société, d’être prêts à opérer…
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