Réhabilitation? Pardon? Et la douleur, bordel!

Marie Trintignant
Marie Trintignant

Le 8 avril, le TNM a annulé la participation de Bertrand Cantat (voir le communiqué).

Depuis le début d’avril que cette situation revient sans cesse dans le monde artistique et celui des blogueurs, commentateurs, émissions d’affaires publiques, etc. Le chanteur Bertrand Cantat, sorti de prison après avoir purgé la moitié de sa peine pour homicide involontaire sur sa femme Marie Trintignant et libéré de tout contrôle judiciaire depuis juillet 2010, devrait se pointer à Montréal au printemps 2012 au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) dans la pièce Des femmes de Wajdi Mouawad. Cette nouvelle a suscité des réactions violentes, quelques-unes pour pour défendre le choix du TNM et du célèbre metteur en scène, mais la plupart pour le condamner.

Bien sûr, les personnes qui annoncent cette association avec la figure mythique de l’ex-groupe rock Noir Désir parlent de réhabilitation pour justifier la présence sur scène de cet homme. Au niveau du droit pénal, une personne ayant été libérée peut en toute légalité tenter de refaire sa vie et la société (« nous ») doit même se faire un devoir de l’y aider. C’est clair, net… mais si peu évident quand même:

La réhabilitation, c’est de cesser le cycle de la délinquance; la réinsertion, c’est de réintégrer la société; le repentir, c’est le repentir…   Se foutre sous les projecteurs en cherchant les applaudissements laisse quiconque songeur quant au repentir. Parce qu’il y a quelque chose d’inexorablement indécent pour la famille de la victime, et de toutes les autres victimes, dans ce geste ostentatoire, et attentatoire. (cf. Véronique Robert)

Il me semble que cette citation à elle seule pointe vers l’essence de ce débat de société. Nous avons tous vu à quel point les familles des victimes d’actes violents ne sont jamais prêtes à passer l’éponge et à vivre comme si leur proche n’avait jamais été assassiné. La douleur est trop grande et elle ne cessera jamais d’être réveillée chaque fois qu’une situation similaire les touchera. Et c’est encore plus dur lorsque le meurtrier lui-même devient une célébrité dans un domaine qui ne fait que réveiller les plaies (la pièce de théâtre de Sophocle concerne le traitement injuste fait à des femmes qui finissent même par en mourir !). Cette douleur des familles demeure un fait difficile à dépasser. Le pardon n’est jamais une évidence et lorsqu’il arrive, en certains cas, c’est de manière mystérieuse que la sérénité est entrée dans le coeur de ces personnes.

Et alors, le pardon ?

Je suis chrétien. Je tente de suivre Jésus dans ma vie. Pour ce dernier, le pardon est une chose sacrée à tel point qu’il demande à ceux qui veulent le suivre de pardonner jusqu’à 70 x 7 fois (cf. Matthieu 18,21-35). Ça fait beaucoup de pardons, ça monsieur ! Alors je passe ma vie à tenter – mal ! – d’y parvenir. Je pardonne beaucoup. C’est ma démarche personnelle, c’est mon affaire. Parfois c’est l’affaire de la personne à qui je pardonne, quand je fais un geste envers elle. Rarement, c’est aussi l’affaire d’autres personnes, des témoins par exemple, ou de personnes qui ont pu subir les conséquences de mes fautes.

Dans le cas qui nous concerne, je dirais qu’il y a une autre valeur que je trouve également dans les Écritures de ma tradition spirituelle. L’exemple peut paraître éloigné, mais la règle qui en découle s’applique ici. En effet, appelés à vivre ensemble, des chrétiens de tradition juive et d’autres d’origines « païennes » sont confrontées à des pratiques jugées scandaleuses. Il arrive que la viande achetée au marché puisse parfois être de la viande qui a été « sacrifiée » dans des temples dédiés à des dieux grecs.  Et Paul, fondateur de communautés, lui-même de tradition juive, en arrive à donner la règle d’or qui suit :

Tout est permis, mais tout n’est pas utile; tout est permis, mais tout n’édifie pas. Que personne ne cherche son propre intérêt, mais que chacun cherche celui d’autrui. (1 Corinthiens 10, 23-24)

La société veut la réhabilitation et la réinsertion. Mais la société démontre une certaine prudence quand elle ne permet pas qu’un condamné libéré après avoir purgé sa peine (« payé sa dette envers la société ») puisse travailler auprès d’une clientèle qui s’apparente à ses victimes.Véronique Robert le dit ainsi:

J’ai un jeune client actuellement qui a presque fini de purger sa peine en maison de thérapie et qui vient d’apprendre qu’il ne pourra jamais réaliser son rêve de devenir ambulancier  en raison de son antécédent judiciaire de vol qualifié.  Où sont vos protestations, bonnes gens?

En éthique chrétienne, nous devons séparer l’acte mauvais de celui qui le commet. Le bon pape Jean XXIII avait écrit ceci : « On doit distinguer entre l’erreur toujours à rejeter et celui qui se trompe, qui garde toujours sa dignité de personne et son droit à l’amour. » Pour moi, Bertrand Cantat peut aspirer à une réhabilitation entière et sans entrave. Je m’invite moi-même à nourrir du respect pour l’homme qui garde sa dignité. Mais je dois aussi le plus grand respect à la famille de Marie Trintignant et envers les femmes victimes de violence conjugale toujours vivantes ou les familles de celles qui n’ont pas eu cette chance. Parce que des gens souffrent encore de son acte passé, je ne crois pas que Bertrand Cantat devrait moralement faire le choix de monter sur scène. La scène est justement le rappel par excellence de la vie passée de sa victime et un nouveau coup porté à sa famille qui ne sera jamais guérie de sa mort violente.

Sans aller jusqu’à demander à Bertrand Cantat de devenir chrétien (!), j’oserais l’inviter – et avec lui Wajdi Mouawad – à revenir sur sa décision de monter sur les planches, de s’exposer ainsi publiquement et de faire du mal… encore. Il y a bien d’autres façons, à l’instar de ce jeune qui ne sera jamais ambulancier, de refaire sa vie et de se réinsérer dans  la société. Si nos actes ne constituent pas notre personne, leurs conséquences nous poursuivent sans cesse, à moins de rompre le cycle. Et le seul qui peut le faire, c’est l’acteur de la faute lui-même…

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