
Depuis le 25 janvier, se déroule devant nos yeux la marche d’un peuple pour sa libération. Les Égyptiens, à la suite d’événements semblables en Tunisie, se sont levés et ont manifesté, dans une attitude pacifique inspirante et quasi-impeccable, pour que le régime autoritaire de Hosni Moubarak, installé depuis 30 ans, se désiste définitivement.
Mais les choses ont basculé, en cette journée historique du 2 février. Combien il était difficile de ne pas rester collé aux médias sociaux, Twitter en particulier, qui ont relayé sans cesse les informations en provenance de la place Tahrir dans la capitale (Le Caire). La foule a été prise d’assaut par des casseurs (thugs) dont une partie aurait été embrigadée par le pouvoir pour attaquer les manifestants et les forcer à quitter la place.
Des journalistes occidentaux ont été pris à partie dont des gens bien connus ici. Certains ont affirmé avoir été ciblés dès le début des attaques pour empêcher tout témoignage sur les affrontements. Mais les réseaux sociaux sont devenus une force réelle pour relayer des informations en direct d’événements semblables. Il semble évident aux yeux de tous que cette attaque avait été planifiée, organisée, à l’aide ou au moins avec la bénédiction du régime et de l’armée qui regardait les gens s’entre-tuer sans bouger le petit doigt. Le nombre des twits qui vont dans le même sens est si imposant qu’un profond sentiment de vérité se dégage de ces informations une fois mises ensemble.
Ici au Québec, nous avons si peu d’expérience de ce genre de manifestations qu’elles nous semblent presque extra-terrestres, hormis les émeutes qui surviennent après une victoire du Canadien en séries de la Coupe Stanley. Avons-nous déjà vu s’entre-tuer des groupes opposés ? Une caricature de Beaudet sur Jean Charest est d’ailleurs assez éloquente : elle présente notre premier ministre sérieusement impopulaire depuis deux ans, assis confortablement dans son salon, regardant les révolutions en Tunisie et en Égypte et qui dit « vive les pétitions en ligne ».
Certains voient dans ces renversements en cours une bonne nouvelle pour la liberté, les droits de la personne, l’éventualité de réformes démocratiques. D’autres y voient l’influence occulte de groupes islamistes qui fomenteraient ces révolutions pour instaurer des sociétés islamiques, comme en Iran après sa révolution. Les uns traitent les autres de naïfs ou de paranos, selon leur position. Il est certain que les deux voies sont possibles. Mais l’effet domino dans tout le Moyen-Orient est si soudain et si rapide, qu’il est difficile d’y voir la marque programmée des groupes intégristes. Par contre, lorsque le champ sera libre et qu’il faudra mettre de nouveaux gouvernements en place, toutes les influences seront là pour tenter de faire leur place. C’est inévitable.
Je pense qu’il faut garder confiance. C’est un mouvement de foules, un mouvement de jeunes imprégnés de la culture numérique. Ces jeunes sont épris de liberté et d’autonomie bien plus qu’attirés par une quelconque religion totalisante. Il est souhaitable que la sagesse et la raison prennent place au coeur des débats. Je cite quelques exemples qui montrent bien que tous les musulmans sont loin d’être des extrémistes :
- Après les attentats dans des églises coptes en Égypte, à Noël et au Jour de l’An, un bouclier humain formé de musulmans s’est constitué la semaine suivante autour d’une église pour protéger les chrétiens réunis pour leur office religieux, au risque de leur propre vie. Pendant la prière, le 2 février, on a vu ce phénomène sur la place Tahrir alors que des chrétiens ont fait une chaîne pour protéger les musulmans à l’heure de leur prière.
- Un groupe de 23 personnalités du monde musulman a lancé un appel pour un Islam plus authentique et plus respectueux des droits de tous.
- Le mouvement actuel des foules en Tunisie comme en Égypte est un réveil des jeunes contre le totalitarisme qu’il soit politique ou religieux et démontre une véritable aspiration aux valeurs démocratiques et aux droits humains.
Par contre, le radicalisme inhérent au phénomène religieux est un danger réel. Prenez le temps de visionner cet entretien avec Henri Boulad, un jésuite égyptien qui parle ouvertement du danger islamiste. Voici un homme qui est l’ami de nombreux musulmans et qui en accueillent des dizaines dans son école. Pour lui, ce n’est pas le musulman (la personne) qui présente un danger, mais la conception intégriste qui s’impose aux sociétés arabes depuis une quarantaine d’années. Il est donc important de bien comprendre les distinctions qui existent entre le croyant, d’une part, et la religion lorsque celle-ci est érigée en système politique.
Mon ami Waleed, musulman installé depuis quelques années au Québec, affirme que la relation chrétiens-musulmans s’est pratiquement vécue sans heurts pendant des siècles. Lui-même a été l’ami de chrétiens là-bas. J’ai confiance en lui, en sa vision, en sa spiritualité. Il est de ce peuple qui lutte pour plus de liberté, plus de justice, plus de dignité. Voici ce qu’il dit:
En Égypte, les chrétiens ont vécu là depuis toujours. Toute ma vie, au Moyen-Orient, je n’ai jamais entendu parler de problèmes majeurs jusqu’à cette explosion récemment [dans une église copte]… qui fut un crime terrible, mais je t’assure qu’il n’y a pas d’enseignement dans l’Islam, prêchant de faire de telles choses. Bien sûr, il y aura toujours des individus stupides de chaque côté de la clôture qui pourront causer des dommages et feront le tour du monde, mais il ne faut pas généraliser.
Ma prière, aujourd’hui, est tout entière tournée vers les peuples du Moyen-Orient, peu importe leur appartenance religieuse, pour que peu à peu leurs efforts de libération portent fruit. Et que nous devenions nous-mêmes de plus en plus solidaires, de toutes les manières possibles. Une solidarité réelle va nous forcer à changer certaines choses dans notre mode de vie, c’est inévitable. Souhaitons que cette transition, dans le temps, soit vécue dans la plus grande paix.
Et je conclus en recopiant la prière de mon ami Waleed qu’il a diffusée sur Facebook, sans même comprendre rien de ce qu’il écrit :
دعاء اذا دعوته تمضي سنة ولا تستطيع الملائكه الأنتهاء من كتابة حسناتك ؟؟؟ قال رجل من السلف لا اله الا الله عدد ما كان و عدد ما يكون وعدد الحركات والسكون وبعد مرور سنه كامله قالها مرة أخرى… فقالت الملائكه: اننا لم ننتهي من كتابة حسنات السنة الماضية تخ…
Et il dit : « si vous avez confiance en moi, dites simplement Amen ! »
Amen !
Comment réagissez-vous ?