Je dirais a priori que « ce n’est qu’une apparence de grosse nouvelle ». Mais il y a quelque chose à en dire… Dans un livre intitulé Lumière du monde relatant les entretiens accordés à un journaliste allemand par le pape Benoît XVI, ce dernier répond notamment à une question à propos de la polémique sur le préservatif qui avait explosé lors de son voyage en Afrique. Le Pape avait déclaré que la distribution massive de préservatifs n’était pas la solution pour lutter contre le sida, et pouvait même aggraver le problème, car une telle pratique risquait d’encourager le vagabondage sexuel. C’est une logique assez simple, mais le pape s’était alors attiré l’indignation de tous les médias du monde occidental.
Et voici que dans ce livre Benoît XVI se dit prêt à envisager, dans des circonstances exceptionnelles, que le préservatif serait un moindre mal que la transmission du SIDA. Est-ce que le pape a changé son fusil d’épaule ? Les blogueurs considérés « conservateurs » affirment que cela ne change rien. Les « progressistes » semblent dire que cette ouverture n’est pas banale. Ils ont probablement tous raison.
Reprenons quelques éléments. L’Église catholique affirme que la sexualité active, pour être facteur de bonheur dans le couple, doit s’inscrire dans une relation engagée au sein d’un mariage indéfectible. Ça, c’est depuis toujours. Concédons que si tout le monde est marié et que si tous les gens mariés font l’amour exclusivement à l’intérieur de leur couple, on n’aurait pas tant de situations problématiques ! Mais cet idéal chrétien n’est plus beaucoup partagé par la majorité, quoique, dans le fond, quand on y pense bien…
Bien sûr il y a la question de la contraception. Depuis l’encyclique Humanae Vitae, en 1968, le condom et tous les moyens non naturels pour éviter la procréation ont été interdits aux catholiques dans le cadre d’une relation sexuelle même au sein du couple marié. L’Église dit qu’il existe des méthodes éprouvées qui permettent de contrôler assez efficacement les grossesses non désirées. L’Église prône notamment l’abstinence. Le Collège des médecins de famille du Canada « valide » d’une certaine façon cette approche en indiquant que c’est le seul moyen efficace à 100 %. Il existe par ailleurs une méthode naturelle à indices combinées qui serait plus efficace que la pilule. Pour les cas où ça ne marcherait pas et où on découvrirait le petit signe positif lors d’un test de grossesse, l’Église dit quelque chose comme : « de toute façon, votre relation amoureuse doit demeurer ouverte à la vie et cet enfant qui n’est pas souhaité peut être l’occasion pour vous d’une croissance humaine encore plus grande. » Bref, dans l’idéal, pas besoin de condom, juste un peu de maîtrise au cœur de la passion, sinon on fait avec ! Cette position a l’avantage d’être très claire… Mais nous savons tous qu’une majorité de catholiques n’en ferait pas leur choix de vie délibéré.
Les questions qui sont posées à l’Église et qui font davantage problème le sont dans le cadre de partenaires multiples. Pour la morale catholique, il n’est pas acceptable de multiplier les partenaires, car on s’éloigne clairement de l’idéal de l’amour qui demeure l’union entre un homme et une femme jusqu’à la fin de leur vie. Point. La multiplicité des partenaires est une situation moralement grave pour l’Église, c’est donc un péché pour les catholiques, par forcément pour les autres car ils n’ont pas à être contraints à agir selon une foi religieuse s’ils n’y adhèrent pas. Comprenons donc que l’Église, s’exprimant à l’intention des catholiques qui forment plus d’un milliard d’humains, ne peut pas et ne pourra sans doute jamais compromettre sa vision d’une union amoureuse idéale en approuvant l’usage du condom ! Sur ceci, le Pape ne change absolument rien.
Mais regardons le cas où un catholique serait dans une situation plus grave au plan de la morale, engagé dans la prostitution, selon l’exemple donné par le Pape, et qu’il serait porteur du VIH. Comprenons qu’il est dans une situation « explicite » de péché, toujours selon la morale catholique. Donc, si cet homme utilise un condom alors qu’il s’adonne à l’exercice de son « travail », cet acte consisterait en un moindre mal que de contaminer un partenaire. L’utilisation du préservatif est, dans ce sens, évidemment utile, et même souhaitable, pour éviter au maximum la transmission du sida. C’est une question de responsabilité, dit le pape :
Dans certains cas, quand l’intention est de réduire le risque de contamination, cela peut quand même être un premier pas pour ouvrir la voie à une sexualité plus humaine, vécue autrement. […] Cela peut être un premier pas vers une moralisation, un début de responsabilité permettant de prendre à nouveau conscience que tout n’est pas permis et que l’on ne peut pas faire tout ce que l’on veut.
Le vrai message n’est donc pas « l’autorisation du préservatif ». Ce que l’Église a à dire sur l’amour humain est infiniment plus grand que l’usage ou non d’un condom. Et la pertinence de cet enseignement est rarement citée. Dommage, car il y a là une richesse de sens pouvant contribuer à l’humanisation de la sexualité et par conséquent au bonheur des amoureux.
Alors, rien de changé, sauf que… la brèche ouverte aura tôt ou tard produit son oeuvre. Je vois déjà se profiler une pastorale de cheminement par cette seule ouverture. Ma perception est la suivante : l’idéal, pour le moins qu’on y adhère, est un objectif à atteindre. Avant d’y parvenir – si on finit par y parvenir en ce monde – il faut souvent bien des détours qui appellent la compassion, la miséricorde dans la langue chrétienne. Dans la logique développée par Benoît XVI, il se pourrait que, dans des cas exceptionnels, des situations très particulières, certaines pratiques jugées mauvaises par l’Église, soient perçues comme un pas vers plus d’humanité, en marche vers une prise de conscience d’une responsabilité mature, que la vie peut et doit être vécue dans une vision plus radicale du bonheur. Je crois donc, personnellement, que c’est un pas vers plus de compassion dans la pastorale de l’Église que cette minuscule brèche aura créé dans un livre qui n’a rien d’officiel, rien d’infaillible, et donc tout entier à réfléchir librement…
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