– Bonjour ! Vous allez où ?
– Je me rends jusqu’à Chicoutimi.
– Super ! J’attends depuis plus d’une heure. Merci de vous être arrêté !
Et la conversation suit, agréable… Où vas-tu ? Que fais-tu ? Et ensuite c’est à mon tour… Je suis de retour dans la région depuis quelques semaines. Mon travail ? Agent de pastorale… !?! Silence durant 3-4 secondes. Ça peut être long 3-4 secondes vous savez. C’est un moment rempli de suspense. Puis la réplique vient :
– Ça fait quoi un agent de pastorale ?
Et la porte s’ouvre sur une conversation qui dure plus d’une heure. On passe des sujets comme la naissance, le baptême du petit qui va naître, l’amour, les espoirs, les relations avec les amis qui changent avec le temps, lorsque le couple se forme dans la durée, la vie en général, l’état du monde… et Dieu ! Cette conversation tranche de manière radicale avec l’hostilité ambiante envers le clergé, l’Église catholique à laquelle j’appartiens. Et je me dis que ce jeune homme n’est pas unique.
Sa soif de raconter sa vie, de dire les vraies choses, de parler même de son intimité n’est pas un phénomène accidentel. Son désir de recevoir du feedback, d’être en dialogue non plus. J’ai la conviction que notre monde souffre de ne pas avoir de lieu, de temps pour la rencontre qui « goûte bon » et qui laisse un sourire quand on se quitte, même si on sait qu’on ne se reverra jamais.
Ce jeune homme m’a fait du bien en me racontant ses rêves, son bonheur d’être papa pour la première fois. Le plaisir de raconter que sa blonde « c’est la bonne », enfin, pour construire un projet de vie, s’installer, devenir une famille. La spontanéité avec laquelle mon jeune « pouceux » est entré dans ce niveau d’humanité m’indique à quel point nos contemporains, moi-même y compris, avons besoin de nous raconter, de dire notre vie, nos espoirs, notre soif spirituelle.
Nous aurions pu parler du gala de l’ADISQ, d’Occupation double ou de n’importe quel sujet dont « tout le monde parle » et demeurer dans nos sécurités intérieures. Nous avons choisi, passé les 3-4 secondes d’hésitation, d’entrer dans la matière de nos vies personnelles et de nous en nourrir mutuellement.
« Nombreux sont ceux, aujourd’hui, dans le monde moderne, qui ont soif de spirituel et soif de silence, d’intériorité et de prière. En un sens, l’urgence de cette soif et de cette faim est aussi impérieuse que celle de pallier les besoins matériels des pays en voie de développement. En effet, à moins que ceux qui vivent dans l’abondance ne recouvrent la santé de l’âme grâce à l’expérience spirituelle, ils seront incapables de ressentir la véritable compassion d’où émerge l’amour de la paix et de la justice. L’homme moderne doit trouver un moyen de recouvrer cette santé, un moyen à la fois nouveau et séculaire :
une voie traditionnelle qui l’atteint là où il est. »Laurence Freeman, o.s.b. La parole du silence, Éd. Le jour, 1995, p. 9 et 10.
Je termine cette réflexion avec le texte suivant qui exprime admirablement bien mon désir d’être croyant dans le monde d’aujourd’hui.
LA PARABOLE DU VITRAIL
Un vitrail dans la nuit est un mur opaque, aussi sombre que la pierre dans laquelle il est enchâssé. Il faut la lumière pour faire chanter la symphonie des couleurs dont les rapports constituent sa musique. C’est en vain que l’on décrirait ses couleurs, c’est en vain que l’on décrirait le soleil qui les fait vivre. On ne connaît l’enchantement du vitrail qu’en l’exposant à la lumière qui le révèle en transparaissant à travers sa mosaïque de verre. Notre nature [humaine] est le vitrail enseveli dans la nuit. Notre personnalité est le jour qui l’éclaire et qui allume en elle un foyer de lumière. Mais ce jour n’a pas sa source en nous. Il émane du soleil, du Soleil vivant qui est la Vérité en personne. C’est ce Soleil vivant que les hommes cherchent dans leurs ténèbres. Ne leur parlons pas du Soleil, cela ne leur servira de rien. Communiquons-leur sa présence en effaçant en nous tout ce qui n’est pas de Lui. Si son jour se lève en eux, ils connaîtront qui Il est et qui ils sont dans le chant de leur vitrail. La vie naît de la VIE. Si elle jaillit en nous de sa source divine clairement manifestée, qui refusera de s’abreuver à cette source en l’ayant reconnue comme la Vie de sa vie ?
Maurice Zundel. Vérité et liberté.
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