Se réaliser, dans l’équité et l’ouverture…

Après une pause pour aborder le sujet délicat des prêtres pédophiles, je reprends la présentation du top 5 des valeurs montantes du sociologue G. Bajoit. Je vais aborder les trois valeurs dans le même article, car elles me semblent complémentaires et la combinaison des trois fait qu’elles s’interpellent mutuellement.

La 3e valeur identifiée par Bajoit concerne les droits de l’individu et surtout le droit à son autoréalisation. Chacun a droit de se sentir bien dans son corps, dans sa tête et dans son coeur. Chacun a droit de disposer librement de lui-même, de choisir ses relations, d’inventer son existence conformément à ses choix et à ses goûts, bref d’être le sujet de son existence en se construisant une identité personnelle et de s’autoréaliser comme personne. Being yourself dans tous les domaines : couple et famille, école, travail, vie sociale, etc.

Cette tendance est à la fois confirmée et nuancée par Marcel Gauchet, un autre sociologue, qui la présente moins en terme de droit que de tendance profonde : « Depuis les années 2000 semble émerger un nouveau visage de l’individualisation que j’ai appelé le « subjectivisme affectif et identitaire ». L’accent est désormais porté sur l’expression de soi, la quête tourmentée de l’identité personnelle, le culte des émotions, la recherche de la reconnaissance. Ce ne sont plus l’indépendance personnelle ou le statut de droit de l’individu qui occupent le premier plan, mais l’expérience intime et les relations privées avec autrui. »*

Rien qu’à voir toutes les applications Facebook sur la connaissance de soi (« Quel chef d’État seriez-vous »; « Signification de votre nom »; « Quel personnage de la série xyz vous correspond le plus », etc.) il est évident que la recherche d’identité a du succès. Mais ce n’est pas seulement une recherche pour soi, car elle s’expose allègrement. Nos contemporains qui utilisent les médias sociaux comme Facebook sont à la fois en quête d’identité et en besoin d’être reconnus. Sans rien critiquer de « mes amis Facebook »,  je constate que la plupart d’entre eux manifestent assez bien cette recherche d’identité, ce culte des émotions et ce besoin de reconnaissance. N’est-ce pas ce que vous constatez vous-même ?

Le plus important, c’est de se réaliser comme personne, réaliser ses rêves également. Ces valeurs sont telles qu’elles peuvent parfois faire oublier qu’il y a les autres, qu’il existe une réalité locale et globale. Il est difficile de se réaliser sans le faire avec les autres. Dès que je cherche ma voie, je me trouve connecté sur celle des autres. J’ai alors le choix de faire avec ou sans les autres. Pour un chrétien, cette quête ne peut se faire aux dépens des autres sans qu’il y perde quelque chose d’essentiel. En effet, la notion de « salut », c’est-à-dire d’un bonheur dans l’au-delà qui prend racine dans le présent, implique une solidarité réelle.

C’est là qu’arrivent les 4e et 5e valeurs montantes de Bajoit: l’équité et l’ouverture sur le monde. Je trouve intéressant de les mettre en rapport avec la troisième qui semble tellement tournée vers l’individu. Cependant, il faut comprendre comment se décline ces deux valeurs dans l’actualité. Ainsi, l’équité est affaire de reconnaissance: de sa créativité, de ses compétences, de ses performances, de ses responsabilités. Recevoir équitablement est lié essentiellement à ce qui me distingue. Cela signifie, par exemple, que je puisse être rémunéré selon mes compétences et ma contribution à la société sans égard à ce que gagnent les autres, et surtout sans gêne. Les écarts de revenus choquent de moins en moins, en principe.

On est loin alors de l’égalitarisme. Cependant, l’équité, telle que valorisée actuellement, implique la participation de l’État dans l’exercice d’une solidarité sociale visant à réduire les inégalités et l’exclusion. L’État doit assurer l’égalité des chances pour tous, dans un esprit humanitaire et civique. Sur la base d’un terrain où tous ont une chance égale, les distinctions peuvent se déployer et permettre à des individus de se démarquer… Ce n’est pas très loin de la parabole des Talents racontée par Jésus (voir Luc, chapitre 19, 11-17). Celui-ci invite chacun à développer ses talents au maximum et à les mettre au service du Maître qu’il identifie à Dieu-Père. Sans cette référence à l’Autre ou au minimum une ouverture à l’autre, il est risqué de se mettre à son propre service et de profiter exclusivement de ses talents pour soi-même…

J’ajoute ici la 5e valeur de Bajoit : l’ouverture sur le monde. Je suis fasciné par le besoin des gens d’échanger, de se faire proches (par le biais d’un média social, une interface, pas vraiment en direct, donc). Bajoit dit que nos contemporains veulent vivre dans la tolérance et le respect des différences culturelles et du pluralisme, dans un cadre qui valorise à la fois le local et le global. C’est beau. Qui ne s’est pas soucié et ensuite réjoui du destin extraordinaire des 33 mineurs chiliens ? Qui ne s’est pas laissé affecter par le tremblement de terre en Haïti ? Les exemples sont nombreux de situations qui ont touché les gens et les ont mis sur la route d’une réelle compassion. Beaucoup se laissent aussi impressionner par les appels plus locaux à la générosité.

Il est vrai que l’ouverture et la tolérance sont plus faciles à réaliser lorsque la cause est plus loin et n’entrave pas mon propre quotidien. C’est plus difficile de soutenir, par exemple, les sinistrés du Pakistan quand j’ai un voisin du Moyen-Orient avec qui je n’arrive pas à développer une relation chaleureuse ou lorsque je me laisse influencer par le fait qu’un père immigrant a frappé sa jeune fille jusqu’à la mort pour des raisons apparemment religieuses. Je développe de la peur, et la peur génère de l’hostilité… Ce sera toujours plus difficile d’avoir cette tolérance de proximité, car elle me conduit à changer quelque chose dans ma propre vie, de mon autonomie, de mon identité… et donc retour à la 3e valeur montante !

J’arrête, j’ai déjà exagéré. Si vous m’avez lu jusqu’ici, peut-être aurez-vous envie de réagir à ces propos. Apportez votre grain de sel, complétez ce qui manque selon votre point de vue. Entrons en dialogue !

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