Alors là, ça fait très mal ! Tous ces scandales dans l’Église catholique romaine, ceux de pédophilie masculine en particulier, finissent par m’écorcher, me conduisant à une tristesse profonde, intolérable. Le reportage de l’émission Enquête à Radio-Canada est spécialement bouleversant. Le silence troublant… le silence complice… le silence coupable!
Les abuseurs sexuels commettent des crimes. Ils doivent être jugés et punis, envoyés en thérapie pour leur propre rédemption, gardés à l’écart tant qu’une récidive est possible. Il n’y a aucun doute là-dessus. Notre société a depuis longtemps fait ce choix de condamner les abus de toutes sortes.
Le problème, c’est « les autres », ceux qui savent et qui ne disent rien. Dans de telles situations, il est extrêmement difficile d’être pour une partie sans être contre l’autre. Surtout quand l’une des parties appartient à une institution au sein de laquelle sont commis ces crimes. L’institution devrait immédiatement relayer les plaintes reçues aux autorités. C’est une vérité si simple ! Mais voilà que des hommes en poste d’autorité au sein de l’institution évitent de faire ce qui devrait être accompli en chaque occasion : reconnaître le mal causé et demander pardon; protéger les victimes de fait et potentielles; sanctionner les fautifs en les remettant à l’autorité judiciaire; réparer les torts si possible; corriger les méthodes d’encadrement, dénouer les solidarités douteuses, etc.
Le reportage montre clairement que cela est loin d’avoir été fait. La solidarité institutionnelle a été plus forte que la justice et la compassion, deux valeurs pourtant hautement promues dans l’Évangile auquel l’institution a fait serment d’allégeance. Il est possible, de manière rationnelle, de comprendre les fondements de cette solidarité. Une institution, quelle qu’elle soit, est constamment en lutte pour maintenir sa réputation et son crédit de confiance. C’est une question de vie ou de mort. La dynamique institutionnelle ne peut se permettre que des fautes individuelles entravent sa progression ou son maintien. L’institution est un organisme vivant qui ne veut pas mourir et qui prendra tous les moyens pour l’éviter.
C’est pour contrer cette propension que l’être humain a inventé, au cours de l’histoire, le prophétisme comme un grain dans l’engrenage des systèmes déviants. Le prophétisme repose sur la responsabilité individuelle et sur un appel intérieur. Relisez l’histoire : chaque fois qu’une institution religieuse, politique, industrielle, dévie dans des pratiques coupables, des individus finissent par se lever pour la dénoncer. L’institution se défend bec et ongles jusqu’à commettre encore plus de mal. Ce n’est que lorsque la vérité sort au grand jour que l’institution finit par s’amender… ou s’éteindre.
Alain Gravel dit : « C’est ce qui arrive lorsqu’on impose la loi du silence. On finit par rendre coupable tout le monde par association. » Dans le reportage, j’ai été touché par cet ex-frère Kennedy qui a choisi de se soustraire de l’institution. C’est là qu’il a trouvé la liberté de parole. C’est alors qu’il s’est mis en chemin pour dénoncer l’institution et reconnaître ses propres torts au sein de celle-ci. J’ai été rassuré par le prêtre Tom Doyle qui, tout en restant dans son ordre dominicain, s’est suffisamment senti libre pour prendre le parti des victimes. Je veux considérer ces gens d’Église que je connais et tant d’autres inconnus qui sont engagés sincèrement au service de leurs concitoyens. Je voudrais leur dire combien je trouve injuste qu’ils aient tous à porter ce fardeau du jugement public indifférencié.
Je voudrais surtout offrir ma volonté et mon désir de changer les choses, ensemble. Cette Église, tout comme moi, est appelée au repentir. Elle devra s’humilier jusqu’à reconnaître que sa perfection réside dans l’humanité d’hommes et de femmes appelés à devenir plus lucides sur eux-mêmes et sur leur appartenance. Le risque pour un groupe religieux de devenir vindicatif, hautain et moralisant est inhérent à la nature humaine. Pour cela, il faut des mesures de pouvoir et de contre-pouvoir, il faut que la parole soit libérée, que la vérité soit constamment recherchée.
Quelle joie les Frères de Sainte-Croix pourront-ils célébrer ce mois-ci alors que le Frère André, l’un des leurs, certainement le plus pauvre et le plus humble, reçoit une reconnaissance universelle de vertus ? N’est-ce pas paradoxal de constater qu’en cette Congrégation comme en tant d’autres, on ait vu surgir le pire et le meilleur ? C’est « l’humanitude » dans toute sa splendeur. « Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. » (Jean 8, 32).
Comment réagissez-vous ?