Quelle valeur accordez-vous à la qualité de la vie ? Au bien-être public ? Aux droits de l’individu ? À l’équité ? À l’ouverture sur le monde ? Ces cinq valeurs sont pointées par B. Bajoit, sociologue*, comme le top 5 des valeurs qui marquent notre identité collective, dans les sociétés occidentales. Aujourd’hui, je vais m’arrêter sur la première, la qualité de la vie.
La qualité de la vie concerne d’abord le droit d’en jouir pleinement. Nos contemporains aspirent à profiter de tout ce que la vie peut leur apporter. Les biens de consommation et les avancées de la science et des technologies servent d’abord et avant tout cet objectif très simple qui consiste à éviter les difficultés et les limites, la douleur et les complications, pour « se vivre » sans contraintes. On comprend alors que toute situation qui imposerait un certain oubli de soi, une générosité sans retour, une situation intolérable au plan, par exemple, de la maladie ou de la vieillesse, prenne une dimension d’urgence à régler. Cette valeur est positive car elle conduit à rechercher toujours plus de bonheur. Par contre, la qualité de vie à tout prix n’a-t-elle pas pour conséquences de « tasser » au passage des personnes, des proches même, qui présentent un obstacle à « ma » qualité de vie.
J’estime que certaines problématiques actuelles sont à mettre en rapport avec ce besoin quasi absolu « d’être bien ». L’intensité des recherches menées pour identifier les risques de mettre au monde un enfant ayant une différence génétique (par exemple la trisomie 21) ou physiologique me paraît aller dans ce sens, car l’effet produit, lorsque le couple ou la future mère reçoit le pronostic, c’est l’avortement dans une forte proportion des cas. Le commissaire à la santé et au bien-être du Québec a proposé et obtenu du Gouvernement que les tests de dépistage systématique de la trisomie 21 soient proposés à toutes les femmes. Un enfant porteur de trisomie 21 est, dans cette tendance, assurément un obstacle à la qualité de vie « pour lui-même d’abord » (discutez-en quand même avec les personnes concernées) et surtout pour les parents. « Vous vous reprendrez une autre fois, vous aurez plus de chances d’avoir un enfant bien portant ».
C’est un peu pareil à la fin de la vie. La commission sur l’euthanasie et l’aide au suicide qui a commencé à se promener dans les villes du Québec prépare le terrain à une banalisation de la valeur autrefois absolue du « droit à la vie » pour la rempacer par un « droit à la fin de vie », donc à la mort. Lorsque les souffrances de fin de vie deviennent intolérables, l’urgence devient leur cessation par tous les moyens possibles, l’ultime étant la mort elle-même, décidée par soi-même ou par d’autres s’il le faut. Puisque la qualité de la vie n’est plus là, vaut mieux en finir.
Il faut cependant ne pas oublier de consulter le fondateur des soins palliatifs au Canada, le Dr Balfour Mount, qui accompagne depuis une trentaine d’années des personnes en fin de vie. Il a si souvent rencontré des gens qui lui disaient que leur « bonheur » était plus grand, malgré la maladie, que durant toute leur vie d’avant, qu’il devient difficile de croire que la qualité de la vie est uniquement associée à « ne pas souffrir ». Il y a une qualité de vie qui est liée à l’attitude intérieure, dans le domaine de l’esprit. L’accompagnement des proches est nécessaire pour soutenir une personne en chemin vers cette autre qualité de vie.
Il y aurait une multitude d’exemples pris à même nos vies pour montrer à quel point nous nous méprenons lorsque nous associons qualité de vie et absence de difficulté ou de souffrance. La vie de couple et ses ruptures serait un thème à considérer parmi d’autres.
Comment peut-on revoir cette valeur (qualité de vie) pour la réfléchir, la mettre en question, lui donner un peu de profondeur ? J’aimerais bien trouver autour de moi des gens qui voudraient ouvrir la question…
Prochain sujet : la 2e valeur montante relative aux droits de l’individu.
Jocelyn Girard
* Bajoit, C., Le Changement social. Approche sociologique des sociétés occidentales contemporaines. « Cursus – Sociologie », Paris, Armand Collin, 2003, page 66 et ss.
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